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Sujet

Sujet

I. Question relative aux textes proposés (6 points)
À partir du corpus proposé, analysez ces textes afin de dégager des conditions permettant d'accéder à la lecture d'œuvres littéraires.
II. Questions ayant trait à la grammaire, à l'orthographe et au lexique (6 points)
II. 1. Grammaire
Dans le passage suivant du texte 2, relevez les procédés permettant de rapporter le discours des personnages.
Ils se mirent à rire. Le docteur s'excusa et prit congé, car il avait une visite à faire. Les autres commandèrent une nouvelle tournée de vermouth. L'homme à la rhubarbe, sans crier gare, se jeta sous le guéridon en faisant signe aux autres de faire comme s'il n'était pas là.
« Ma femme est arrivée, dit-il dans un murmure, mais ne vous retournez pas. »
Il y eut un moment de silence. Puis Rosario s'exclama : « Moi, je suis resté à la troisième lecture […] ».
II. 2. Orthographe
Identifiez les terminaisons dans les formes verbales conjuguées du passage suivant (texte 1) :
Presque toutes lui parurent encore plus bêtes que les romans. Car il existe pour le théâtre une histoire convenue, que rien ne peut détruire. Louis XI ne manquera pas de s'agenouiller devant les figurines de son chapeau, Henri IV sera constamment jovial, Marie Stuart pleureuse. Richelieu cruel ; enfin, tous les caractères se montrent d'un seul bloc, par amour des idées simples et respect de l'ignorance, si bien que le dramaturge, loin d'élever, abaisse ; au lieu d'instruire, abrutit.
Comme Bouvard lui avait vanté George Sand, Pécuchet se mit à lire Consuelo, Horace, Mauprat, fut séduit par la défense des opprimés, le côté social et républicain, les thèses.
Suivant Bouvard, elles gâtaient la fiction, et il demanda au cabinet de lecture des romans d'amour.
II. 3. Lexique
Relevez et précisez la signification des verbes et expressions qui indiquent que les personnages lisent des livres dans le texte de Flaubert (à partir de « Pécuchet, travaillant la littérature historique ») et celle des verbes et expressions qui montrent que le libraire oralise des écrits dans celui de Vecchioni (à partir de « Il y eut un moment de silence »).
Textes
Texte 1
« Ils lurent d'abord Walter Scott. Ce fut comme la surprise d'un monde nouveau. Les hommes du passé qui n'étaient pour eux que des fantômes ou des noms devinrent des êtres vivants, rois, princes, sorciers, valets, gardes-chasse, moines, bohémiens, marchands et soldats, qui délibèrent, combattent, voyagent, trafiquent, mangent et boivent, chantent et prient, dans la salle d'armes des châteaux, sur le banc noir des auberges, par les rues tortueuses des villes, sous l'auvent des échoppes, dans le cloître des monastères. Des paysages artistement composés entourent les scènes comme un décor de théâtre. On suit des yeux un cavalier qui galope le long des grèves. On aspire au milieu des genêts la fraîcheur du vent, la lune éclaire des lacs où glisse un bateau, le soleil fait reluire les cuirasses, la pluie tombe sur les huttes de feuillages. Sans connaître les modèles, ils trouvaient ces peintures ressemblantes, et l'illusion était complète. L'hiver s'y passa. Leur déjeuner fini, ils s'installaient dans la petite salle, aux deux bouts de la cheminée ; et en face l'un de l'autre, avec un livre à la main, ils lisaient silencieusement. Quand le jour baissait, ils allaient se promener sur la grande route, dînaient en hâte, et continuaient leur lecture dans la nuit. […] Pécuchet consultait la Biographie universelle et entreprit de réviser Dumas au point de vue de la science. L'auteur, dans Les Deux Diane, se trompe de dates. Le mariage du Dauphin François eut lieu le 15 octobre 1548, et non le 22 mars 1549. Comment sait-il (voir Le Page du Duc de Savoie) que Catherine de Médicis, après la mort de son époux, voulait recommencer la guerre ? Il est peu probable qu'on ait couronné le duc d'Anjou, la nuit, dans une église, épisode qui agrémente La Dame de Montsoreau. La Reine Margot, principalement, fourmille d'erreurs. Le duc de Nevers n'était pas absent. Il opina au Conseil avant la Saint-Barthélemy, et Henri de Navarre ne suivit pas la procession quatre jours après. Henri III ne revint pas de Pologne aussi vite. D'ailleurs, combien de rengaines ! Le miracle de l'aubépine, le balcon de Charles IX, les gants empoisonnés de Jeanne d'Albret ; Pécuchet n'eut plus confiance en Dumas. Il perdit même tout respect pour Walter Scott, à cause des bévues de son Quentin Durward. Le meurtre de l'évêque de Liège est avancé de quinze ans. La femme de Robert de Lamarck était Jeanne d'Arschel et non Hameline de Croy. Loin d'être tué par un soldat, il fut mis à mort par Maximilien, et la figure du Téméraire, quand on trouva son cadavre, n'exprimait aucune menace, puisque les loups l'avaient à demi dévorée. Bouvard n'en continua pas moins Walter Scott, mais finit par s'ennuyer de la répétition des mêmes effets. L'héroïne, ordinairement, vit à la campagne avec son père, et l'amoureux, un enfant volé, est rétabli dans ses droits et triomphe de ses rivaux. Il y a toujours un mendiant philosophe, un châtelain bourru, des jeunes filles pures, des valets facétieux et d'interminables dialogues, une pruderie bête, manque complet de profondeur. En haine du bric-à-brac, Bouvard prit George Sand. Il s'enthousiasma pour les belles adultères et les nobles amants, aurait voulu être Jacques, Simon, Bénédict, Lélio, et habiter Venise ! Il poussait des soupirs, ne savait pas ce qu'il avait, se trouvait lui-même changé. Pécuchet, travaillant la littérature historique, étudiait les pièces de théâtre. Il avala deux Pharamond, trois Clovis, quatre Charlemagne, plusieurs Philippe-Auguste, une foule de Jeanne d'Arc, et bien des marquises de Pompadour, et des conspirations de Cellamare. Presque toutes lui parurent encore plus bêtes que les romans. Car il existe pour le théâtre une histoire convenue, que rien ne peut détruire. Louis XI ne manquera pas de s'agenouiller devant les figurines de son chapeau, Henri IV sera constamment jovial, Marie Stuart pleureuse. Richelieu cruel ; enfin, tous les caractères se montrent d'un seul bloc, par amour des idées simples et respect de l'ignorance, si bien que le dramaturge, loin d'élever, abaisse ; au lieu d'instruire, abrutit. Comme Bouvard lui avait vanté George Sand, Pécuchet se mit à lire Consuelo, Horace, Mauprat, fut séduit par la défense des opprimés, le côté social et républicain, les thèses. Suivant Bouvard, elles gâtaient la fiction, et il demanda au cabinet de lecture des romans d'amour. À haute voix et l'un après l'autre, ils parcoururent La Nouvelle Héloïse, Delphine, Adolphe, Ourika. Mais les bâillements de celui qui écoutait gagnaient son compagnon, dont les mains bientôt laissaient tomber le livre par terre. Ils reprochaient à tous ceux-là de ne rien dire sur le milieu, l'époque, le costume des personnages. Le cœur seul est traité, toujours du sentiment ! Comme si le monde ne contenait pas autre chose ! Ensuite, ils tâtèrent des romans humoristiques, tels que le Voyage autour de ma chambre, par Xavier de Maistre ; Sous les Tilleuls, d'Alphonse Karr. Dans ce genre de livres, on doit interrompre la narration pour parler de son chien, de ses pantoufles ou de sa maîtresse. Un tel sans-gêne d'abord les charma, puis leur parut stupide, car l'auteur efface son œuvre en y étalant sa personne. Par besoin de dramatique, ils se plongèrent dans les romans d'aventures ; l'intrigue les intéressait d'autant plus qu'elle était enchevêtrée, extraordinaire et impossible. Ils s'évertuaient à prévoir les dénouements, devinrent là-dessus très forts, et se lassèrent d'une amusette indigne d'esprits sérieux. L'œuvre de Balzac les émerveilla, tout à la fois comme une Babylone et comme des grains de poussière sous le microscope. Dans les choses les plus banales, des aspects nouveaux surgirent. Ils n'avaient pas soupçonné la vie moderne aussi profonde. — Quel observateur ! s'écriait Bouvard. — Moi je le trouve chimérique, finit par dire Pécuchet. Il croit aux sciences occultes, à la monarchie, à la noblesse, est ébloui par les coquins, vous remue des millions comme des centimes, et ses bourgeois ne sont pas des bourgeois, mais des colosses. Pourquoi gonfler ce qui est plat, et décrire tant de sottises ! Il a fait un roman sur la chimie, un autre sur la Banque, un autre sur les machines à imprimer, comme un certain Ricard avait fait « le cocher de fiacre », « le porteur d'eau », « le marchand de coco ». Nous en aurions sur tous les métiers et sur toutes les provinces, puis sur toutes les villes et les étages de chaque maison et chaque individu, ce qui ne sera plus de la littérature, mais de la statistique ou de l'ethnographie. »
Gustave FLAUBERT, « Bouvard et Pécuchet », in Œuvres complètes, tome 2, Le Seuil, « Intégrale », 1976, pp. 243-244

Texte 2
« Les voix se mélangeaient et, au début, je ne parvins guère à les distinguer l'une de l'autre, puis, au fur et à mesure, j'y réussis. « Et qu'est-ce qu'il a lu ? demanda un homme au teint resplendissant, que je ne connaissais pas, et qui avait de la liqueur de rhubarbe à la commissure des lèvres. — L'histoire d'un fou, lui répondit le fabricant de chaises Sante Mazzizze, qui était allé à la "lecture littéraire". L'histoire d'un paladin de Charlemagne(1) qui découvre être cocu, et qui au lieu de s'en prendre à sa débauchée de femme se met à taper dans tout ce qu'il rencontre : troncs, branches, pierres, racines, mottes de terre, etc. — Angélique… interrompit le docteur Mancuso, qui était fort cultivé. — Quoi ? demanda l'homme jovial qui avait de la rhubarbe sur les lèvres. — La femme aimée de Roland s'appelait Angélique. — Oui, peut-être bien, reprit Sante Mazzizze, mais quel ennui, comme c'est emmerdant ! — Il lisait bien, au moins ? demanda Tore, qui allumait les lampes. — Très mal. Il n'a pas arrêté de s'interrompre et de tousser. Puis, par moments, il n'avait plus de voix. Au point, parfois, de sembler être une autre personne, avec une autre voix. — Et ensuite ? interrompit N'toni, le mécanicien. — Après ? Eh bien, après, on s'est tous tirés. Il n'y a que ce crétin de Rosario qui est resté et a entendu la suite. » Rosario s'était abandonné à ses pensées et n'avait rien suivi de la conversation. Lorsqu'il entendit son nom, il se retourna : « Qui ? moi ? — Oui, toi. Qu'est-ce que "monsieur" le libraire a lu après l'histoire d'Angélique ? — C'est Marlboro. L'autre s'appelait Marlboro, intervint quelqu'un qui, de toute évidence, avait été là. Je m'en souviens parce que je fume des Kent. — Pandoro, espèce d'idiot ! fit en écho Sante Mazzizze, d'un air hautain. Essaye au moins de te souvenir des noms ! — On s'en fiche, reprit le personnage jovial qui en était à sa troisième rhubarbe. Nous, on veut savoir ce qu'il a lu après. — L'histoire d'un fou ! s'exclama Rosario, très fier d'avoir été l'unique témoin de l'événement. — Et encore ? firent-ils presque tous en chœur. — Oui. Un guerrier de l'Antiquité devenu furieux à cause d'une histoire de bouclier qu'il voulait obtenir et qu'on refusait de lui donner ; enfin, d'après ce que je crois avoir compris. Et qui du coup est devenu fou et a tué tous les bœufs du campement. — Les bœufs d'un campement ? fit le docteur Mancuso, d'un air sceptique, ce qui, cultivé comme il l'était, ne lui était encore jamais arrivé. — Oui, ceux que les Grecs de l'Antiquité avaient, pendant la guerre de Troie, pour manger. — Ah ! alors tu as bien entendu. Et ça t'a plu ? — Oui, assez. — Et ce soir, tu y retournes ? — Pas même en rêve. » Ils se mirent à rire. Le docteur s'excusa et prit congé, car il avait une visite à faire. Les autres commandèrent une nouvelle tournée de vermouth. L'homme à la rhubarbe, sans crier gare, se jeta sous le guéridon en faisant signe aux autres de faire comme s'il n'était pas là. « Ma femme est arrivée, dit-il dans un murmure, mais ne vous retournez pas. » Il y eut un moment de silence. Puis Rosario s'exclama : « Moi, je suis resté à la troisième lecture. — Pourquoi ? — Comme ça. Je n'avais rien à faire. Vous savez, j'ai eu aussi l'impression qu'il ne regardait pas la salle. Il n'a pas même remarqué que nous étions assis devant lui. — Qu'est-ce qui te fait dire ça ? — Parce qu'il s'est mis à parler tout seul et à dire des choses à voix haute comme si personne ne l'écoutait. Il continuait à s'appeler Henri… — Tu es sûr ? — Oui, et il racontait qu'il était tombé de cheval et faisait croire à tout le monde qu'il était fou, alors que ce n'était pas vrai… — Fou, encore ! s'exclama Sante. — Oui, mais cette histoire, il ne la lisait pas, il la disait : Henri IV, ou Henri V, je ne me souviens plus, peut-être un roi ?… »(2) L'atmosphère, échauffée par le vermouth, se rafraîchit tout à coup. Les visages se firent sérieux. On entendait jusqu'au moindre bruit sur la place, que jusqu'alors leurs voix avaient couvert : bruit de pas, vol d'oiseaux, cris lointains, fenêtres qui battaient, bruit des commandes passées, voitures qui freinaient. »
Robert VECCHIONI, Le libraire de Sélinonte, LGF, « Le Livre de Poche », 2009, pp. 34-37

(1)Roland furieux de l'Arioste (1532).
(2)Henri IV : personnage de la pièce éponyme de Luigi Pirandello (1922).
Corrigé

Corrigé

I. Question relative aux textes proposés (6 points)
Proposition de corrigé
Entrer en littérature par la voie d'œuvres littéraires riches et variées est l'une des compétences construites par l'école, de la fin de l'école primaire au baccalauréat. Deux œuvres littéraires, proposées à notre analyse, Bouvard et Pécuchet, de Gustave Flaubert et Le libraire de Sélinonte de R. Vecchioni s'interrogent sur les conditions permettant d'accéder à la lecture littéraire. Les deux textes proposés dans le corpus permettent de s'interroger sur les conditions susceptibles de favoriser l'entrée en littérature, qu'elles relèvent du lecteur, du contexte de lecture ou du texte lui-même.
Afin d'entrer en littérature et apprécier les finesses d'un écrivain, le lecteur doit posséder une culture solide. On voit ainsi Pécuchet redécouvrir l'œuvre de Walter Scott en confrontant les contextes historiques des romans à l'Histoire. La culture littéraire du lecteur l'ouvre en effet à une compréhension plus fine du texte littéraire. Pécuchet se fonde sur sa connaissance des stéréotypes de personnages et de structures narratives pour repérer rapidement les caractéristiques de l'écriture de Walter Scott ou de George Sand. Par ailleurs, sa familiarité avec les genres littéraires l'autorise à émettre un jugement de goût sur les bonnes ou les mauvaises pièces d'un auteur, tandis que Rosario, le personnage du Libraire de Sélinonte n'est même pas capable de reconnaître la nature du texte théâtral dans la déclamation du libraire.
On voit combien la constitution d'une culture littéraire est importante. Jean Hébrard, inspecteur général de l'Éducation Nationale, souhaite que les élèves sortent de l'école primaire avec une bibliothèque dans la tête. L'acculturation est bien la construction d'une bibliothèque mentale de références élaborée à grand renfort de lectures contrastées. C'est ce dont disposent Bouvard et Pécuchet, même s'ils n'en font pas toujours le meilleur usage dans le roman flaubertien ; c'est ce qui manque aux auditeurs du libraire de Sélinonte pour en faire de bons lecteurs, curieux et avides de savoir.
Favoriser l'accès à la lecture littéraire n'engage pas que des conditions liées au statut du lecteur et de son texte, le contexte de lecture a aussi son rôle à jouer.
C'est ce que l'on voit dans le roman de Flaubert qui montre combien la lecture est l'expérience d'une rencontre entre un lecteur et un texte. L'auteur nous donne à imaginer ses personnages confortablement installés au coin du feu, au calme et sans contrainte horaire, prêts à profiter de leur voyage immobile. Le libraire de Sélinonte est lui aussi transporté dans un autre monde, dans un univers parallèle, loin de tout parasitage extérieur.
Mais la médiation de la parole est elle aussi déterminante pour favoriser l'entrée en littérature. La lecture à voix haute rend les textes plus accessibles, si elle est fluide et expressive. L'école a bien compris cela puisqu'elle favorise ce type de médiations à travers la récitation, la mise en voix, le partage à d'autres, la théâtralisation. Si, dans le premier texte, c'est la qualité médiocre de l'œuvre oralisée qui décourage l'écoute du public, dans le second texte, c'est la mauvaise prestation orale qui est en cause. Mais ce qui rend surtout la lecture vivante, ce sont les réactions et les échanges de Bouvard et de Pécuchet, leurs interprétations personnelles des textes qui sont aptes à approfondir leur compréhension mutuelle. Dans le texte de Vecchioni, le fait de relater les lectures entendues suscite les réactions des autres personnages et ravive un instant leur intérêt pour des œuvres qu'ils n'ont pas su entendre.
Bouvard et Pécuchet profitent du cabinet de lecture pour enrichir leurs lectures. Dans le deuxième texte, des séances de lecture sont organisées par le libraire pour encourager la lecture en réseau autour d'un thème. Bouvard et Pécuchet, quant à eux, viennent d'eux-mêmes à la lecture et programment donc librement leurs choix.
Mais si le lecteur a besoin de repères culturels pour entrer en littérature, les auteurs de ces œuvres doivent aussi respecter certaines conventions pour entretenir l'intérêt du lecteur et le tenir en haleine jusqu'à la dernière page.
Les deux textes proposés à notre analyse insistent sur la nécessité de susciter l'identification du lecteur aux personnages et aux contextes des œuvres. C'est grâce à l'effet de réel que le lecteur ou l'auditeur peut se reconnaître dans tel ou tel personnage et partager ses émotions. « Madame Bovary, c'est moi », disait à ce propos très justement Flaubert en citant son roman le plus célèbre.
D'autre part, la littérature doit favoriser un questionnement sur les valeurs fondatrices de nos sociétés. On voit que Pécuchet est particulièrement sensible à l'œuvre de George Sand pour les thèses sociales et politiques que cette œuvre véhicule. Flaubert met aussi en évidence le génie de l'écrivain capable de transfigurer le réel pour en donner une nouvelle vision, à l'image de Balzac dans sa Comédie Humaine.
Enfin, l'œuvre doit stimuler la curiosité du lecteur, soit en bousculant les codes établis, soit en renouvelant l'art de la narration, de façon à créer la surprise comme le suggère le texte de Flaubert.
À l'aide de personnages culturellement antinomiques, Flaubert puis un siècle plus tard Vecchioni s'interrogent chacun à leur manière sur les conditions d'accès au monde des livres. À la culture du lecteur doivent répondre la proximité affective du texte et le caractère ludique de son engagement dans l'aire du jeu proposée par les mots. Néanmoins, la lecture littéraire est d'abord appropriation personnelle et expérience de l'indicible, c'est-à-dire une expérience personnelle que rien ne peut remplacer.
Proposition de plan
Les correcteurs du CRPE n'auront pas de plan préétabli au moment des corrections, mais une énumération d'axes possibles que les candidats peuvent organiser comme ils l'entendent, pourvu que cela soit visible et tout de suite accessible pour le correcteur !
Voici un exemple de plan possible :
1. Les conditions qui relèvent du lecteur
a. La constitution d'un bagage culturel
Le texte 1 oppose deux séries de personnages antinomiques, Sante Mazzize et Rosario, peu cultivés, par opposition au docteur Mancuso qui, lui, reconnaît immédiatement les œuvres lues.
En tant que lecteur cultivé, Pécuchet est soucieux de confronter Dumas et Scott à la réalité historique.
b. La constitution d'une culture littéraire
La lecture de Scott semble facilitée par le repérage de stéréotypes littéraires.
Dans les deux textes, on voit que la connaissance des genres littéraires facilite l'entrée en lecture des personnages, leur ignorance, en revanche, conduit à la mécompréhension (les auditeurs ne comprennent pas que le texte lu est un texte théâtral qui a ses règles et son mode d'interprétation).
Dans les deux textes, la construction de références littéraires facilite la lecture : les classiques lus reconnus par le médecin, les œuvres lues par Bouvard et Pécuchet.
2. Les conditions qui relèvent du contexte de lecture
a. La création d'une atmosphère favorable pour entrer en lecture
Le texte 1 insiste sur un certain confort de lecture, lecture au coin du feu, sans horaire, dans le calme.
Le texte 2, quant à lui, fait revivre une ambiance conviviale, propice aux conversations littéraires.
b. L'oralisation
Les deux textes mettent en évidence l'importance de la lecture à voix haute, lecture expressive qui, si elle est efficace, favorise l'entrée en littérature. La lecture du libraire ne suspend pas les auditeurs à ses lèvres car elle manque de fluidité. Celle de Bouvard et Pécuchet est gâchée par le manque d'intérêt du texte.
Les deux textes montrent l'importance des échanges entre lecteurs autour des œuvres pour les faire vivre.
c. L'aide au lecteur
Les deux textes évoquent le rôle non négligeable des professionnels, comme le libraire ou des lieux (le cabinet de lecture).
Ils insistent aussi sur l'intérêt des pratiques de lecture en réseau, lecture par genres ou auteurs dans le texte 1, lecture thématique dans le texte 2.
1. Les conditions qui relèvent du texte lui-même
a. Vivre d'autres vies
Dans le texte 1, la lecture favorise l'identification aux personnages du récit en créant l'illusion référentielle. Le texte 2, en revanche, montre le désintérêt des auditeurs quand les personnages ont perdu le contact avec la réalité.
b. Entreprendre un voyage immobile
Le texte 1 propose une narration suffisamment complexe pour susciter l'adhésion du lecteur et solliciter sa réflexion.
c. Entrer dans un questionnement métaphysique
Les textes 1 et 2 suscitent un questionnement métaphysique sur les valeurs essentielles. Dans le premier texte, l'interrogation passe par la confrontation avec le point de vue de l'auteur.
Recommandations
Cette partie de l'épreuve présente de multiples difficultés : d'une part, elle exige une bonne compréhension des documents, qui implique une certaine habitude à lire vite et bien. L'un des exercices les plus productifs dans votre préparation consistera à trier, dans tous types de textes, les moments où vous sentez que l'auteur prend position, exprime un point de vue, conclut, déduit, parmi tout ce qu'il y a dans les documents d'exemples, de commentaires, de redites et de reformulations intermédiaires. Concrètement, dans chacun des cas, c'est un tiers à la moitié du texte qui donnera des éléments de réponse à la question qui vous est posée (qu'il s'agisse d'une synthèse ou d'une analyse). Bien comprendre le texte, c'est donc saisir ce qui, à l'intérieur, donne des éléments de réponse à la question que soulève l'épreuve.
Ensuite intervient la gestion du temps : vous disposez d'1h30 à 1h45 maximum pour traiter cette partie de l'admissibilité, autrement dit de très peu de temps. Il s'agit donc de vous organiser d'abord matériellement : voilà ce que je mets dans telle marge, voilà ce que j'applique dans l'autre. Ce que je fais de mes surligneurs, ce que j'entoure, comment je numérote, ce que je barre éventuellement : ces opérations matérielles, au concours, font gagner de précieuses minutes. Si, avant l'épreuve, vous ne savez pas comment manipuler matériellement vos supports, vous prenez un vrai risque. Par ailleurs, il convient de minuter votre pratique de l'épreuve : tant (de minutes) pour la compréhension-surlignage (ou autre), tant pour les brouillons (au moins pour l'introduction et les débuts de paragraphe : à ne jamais bâcler !), tant pour l'écriture (des phrases assez courtes en général et qui s'enchaînent correctement), et tant pour la relecture (on estime à un sixième le nombre de points que permet de « récupérer » une bonne relecture !).
Le reste renvoie bien entendu à l'écriture elle-même. À ce titre, toutes les indications sont données sur le site SIAC du Ministère (www.guide-concours-professeurs-des-ecoles.education.gouv.fr).
L'épreuve vise à évaluer (notamment) : « la capacité à comprendre et exploiter des textes ou des documents pour en faire une analyse, une synthèse ou un commentaire rédigé avec clarté et précision, conformément aux exigences de polyvalence attachées au métier de professeurs des écoles.[…] »
Indications méthodologiques
• La production écrite du candidat doit permettre au jury d'évaluer son aptitude au raisonnement, à la structuration ordonnée d'une pensée logique ainsi que sa capacité à exposer de façon claire, précise et simple une problématique complexe.
Qu'on se rassure toutefois sur ce mot de complexe employé ci-dessus : dans l'esprit des examinateurs, cela signifie que la « question relative aux textes » contient au moins deux questions sous-jacentes (vos « parties » du plan, qui ici sont données par l'intitulé lui-même !).
Indiquons que les commentaires exprimés par les correcteurs dans les jurys de concours sont sans appel : les documents sont-ils bien compris ? l'orthographe et la construction des phrases sont-elles correctes ? l'ensemble est-il organisé ? ce qui est repris répond-il à la question posée (la problématique) ? Ce sera suffisant pour un maximum de points !
• Le corpus propose de confronter deux extraits de romans, le premier, Bouvard et Pécuchet de Flaubert, est un classique du xixe siècle, datant de 1881, le second, un roman contemporain : Le libraire de Sélinonte. Le roman de Flaubert, qui n'est pas le plus connu de l'auteur, met en scène deux personnages avides de lecture mais incapables d'entreprendre une lecture fine. C'est une parodie de la bêtise triomphante. Le second roman raconte la persécution du mystérieux libraire, amateur de lectures publiques, qui finira par s'en aller, déçu par l'inculture des habitants de Sélinonte. Le récit dénonce l'intolérance née du manque de culture.
• Rappelons enfin que, contrairement à la synthèse (qui reprend les textes par la seule reformulation et sans éléments de commentaire), l'analyse vous permet de citer les auteurs indirectement (en reformulant) et directement (entre guillemets), tout en commentant soit ce qu'ils affirment, soit la manière dont ils s'y prennent pour exprimer leur avis. Ainsi, vous pouvez librement, dans ce type d'exercice, décrire leur démarche discursive, insister sur ce qui rapproche et sur ce qui distingue les documents, mais aussi expliquer en quoi ils se complètent, ce qui rend l'exercice particulièrement souple.
Quant à la conclusion, celle-ci reste à votre discrétion : il n'y a aucune obligation à en produire une, surtout si l'analyse se suffit à elle-même. Quoi qu'il en soit, vous devrez vérifier lors de la relecture :
  • si vous avez bien confronté les textes les uns aux autres ;
  • si vous avez effectivement organisé votre rédaction (paragraphes, transitions, parties…) ;
  • si vous n'avez pas compilé des résumés ;
  • si vous n'avez pas donné un point de vue personnel sur la question ;
  • et si votre formulation est correcte et claire !
II. Questions relatives à la grammaire, à l'orthographe et au lexique (6 points)
II. 1. Grammaire
Le discours direct
Repérage
Rosario s'exclama : « Moi, je suis resté jusqu'à la troisième lecture […] »
« Ma femme est arrivée, dit-il dans un murmure, mais ne vous retournez pas ».
Analyse
Dans les deux citations repérées, le discours est délimité par l'usage des guillemets et signalé par l'utilisation d'un verbe introducteur du discours, « s'exclama » et « dit-il ». Il se caractérise aussi par une rupture énonciative dans le texte : on passe du récit au discours, ce qui est signifié par l'emploi des pronoms de première et deuxième personnes, ainsi que par un système de temps ayant pour temps principal le présent, en opposition avec le système du récit marqué par l'usage de la troisième personne du singulier et le système passé simple / imparfait.
La différence entre les deux extraits repérés concerne principalement la place du verbe introducteur. En effet, dans le premier exemple, la proposition introductive se trouve antéposée et séparée du discours par le double point ; dans le deuxième exemple, elle est incise, tournure qui se caractérise par l'inversion du sujet et le détachement de la proposition entre virgules.
Le discours indirect libre
Repérage
Le docteur s'excusa et prit congé, car il avait une visite à faire.
Analyse
Le discours indirect libre se caractérise par une insertion totale du récit dans le discours : il conserve le même système d'énonciation (troisième personne et passé simple / imparfait) et, contrairement au discours indirect, ne se caractérise pas par l'usage de la subordination. On l'identifie avant tout par le sens : présence d'un verbe ou d'une expression suggérant la prise de parole suivis de la formulation de ces paroles. Dans l'exemple ci-dessus, « s'excusa » et « prit congé » permettent de comprendre que la proposition coordonnée qui suit exprime la justification donnée par le docteur pour expliquer son départ.
Recommandations
Pour répondre à cette question, il faut mobiliser ses connaissances sur la notion de discours qui se décline selon des modalités différentes :
  • discours direct ;
  • discours indirect ;
  • discours indirect libre.
Puis il faut rechercher dans le passage proposé ce qui suggère les paroles des personnages et les classer selon le type de procédé utilisé.
II. 2. Orthographe
Toutes les formes repérées sont au mode indicatif. Les désinences de temps sont en gras, les désinences de personne et de nombre en italique.

Premier groupe
Deuxième groupe
Troisième groupe et auxiliaires
Présent
Existe
Abaisse
Se montrent
Abrutit
Peut
Imparfait
Gâtaient

Avait (vanté)
Futur
Manquera

Sera
Passé simple
Demanda

Se mit
Fut (séduit)
parurent

Analyse
Les désinences de temps : au présent, on trouve -e pour le premier groupe, le radical seul pour les autres groupes ; l'imparfait se marque par -ai quel que soit le groupe, le futur -r pour le premier groupe et l'auxiliaire être. Le passé simple est caractérisé par la voyelle -a au premier groupe, -i, -u ou -in au troisième groupe. C'est le cas de la voyelle -u dans « parurent » et des voyelles -i et -u dans « mit » et « fut », voyelle qui a fusionné avec le radical.
Pour les désinences de personne, la troisième personne du singulier est marquée par -t pour les deuxième et troisième groupes. Le premier groupe se démarque par l'absence de désinence de personne dans les formes relevées, sauf au futur où l'on trouve la désinence -a pour tous les groupes.
La troisième personne du pluriel se caractérise par -nt (présent), -ent (imparfait) ou -rent (passé simple).
Recommandations
Afin de répondre à cette question, le plus simple est de relever et classer les formes verbales par temps, puis de les regrouper si possible selon les terminaisons employées. On rappellera qu'une forme verbale peut cumuler plusieurs désinences marquant le temps, le mode, la personne ou le nombre et qu'il est parfois difficile, voire impossible de distinguer radical et désinence, notamment au passé simple, l'un des temps les plus complexes de la langue française.
II. 3. Lexique
Texte 1
Deux expressions suggèrent une lecture rapide : « il avala » et « ils parcoururent ». Néanmoins, le premier verbe évoque plutôt une précipitation due à l'enthousiasme ; on avale une œuvre quand on est saisi par le suspense de l'intrigue et que l'on est impatient d'en connaître l'aboutissement. En revanche, « ils parcoururent » évoque davantage une lecture partielle, en diagonale, moins motivée par la quête du sens.
« Ils tâtèrent » renvoie à une lecture encore plus superficielle et fragmentaire. En effet, ce verbe évoque l'idée d'une lecture fondée uniquement sur une première impression. Enfin, deux autres verbes insistent sur l'entrée en lecture : « Pécuchet se mit à lire » et « ils se plongèrent dans », qui suggère la lecture heuristique, lecture plaisir dont la métaphore aquatique met en évidence l'immersion dans un nouvel univers, l'évasion hors de la réalité. Il répondrait en ceci au verbe « avaler » déjà analysé, car il entre dans le même champ métaphorique de la lecture comme voyage intérieur.
Texte 2
Dans ce texte, la lecture à haute voix du libraire est décrite du point de vue de l'un de ses auditeurs, Rosario, qui s'est mépris sur la nature de cette lecture et la perçoit de manière très personnelle. Ce passage par la focalisation interne, par le regard subjectif d'une personne, induit la compréhension globale de l'extrait.
On peut ainsi relever « il s'est mis à parler tout seul », « dire des choses à voix haute », « continuait à s'appeler Henri », autant d'occurrences qui témoignent de l'incompréhension de Rosario face à la déclamation du libraire, mais suggèrent au lecteur que le libraire incarne le personnage dont il lit les répliques.
« Il racontait qu'il… », « faisait croire à tout le monde qu'il… » : ces deux expressions replacent volontairement le libraire dans une position de conteur ; « raconter » exprime clairement l'idée d'une narration à voix haute destinée à un public ; « faire croire à » précise qu'il s'agit d'une fiction.
Enfin, « il ne lisait pas, il la disait » rectifie l'ambiguïté du terme raconter en indiquant que cette mise en voix s'appuie sur un texte qu'elle respecte, tout en ajoutant intonation et expressivité dues à l'interprétation.
La succession de ces termes dans le texte met en évidence la prise de conscience progressive de ce que fait le libraire avec ce texte. Loin d'être saisi d'un délire inexplicable, il met en scène dans une lecture expressive et dramatisée, le texte théâtral de Pirandello.
Recommandations
Cette question porte sur des textes littéraires complexes, elle questionne donc les connaissances des candidats sur leur capacité à comprendre ou à interpréter un mot ou une expression en fonction du contexte langagier.