I. Question relative aux textes proposés (11 points)
Les musées font partie, depuis au moins les débuts de l'époque moderne, de ces institutions discrètes qui conservent la mémoire des populations et de l'histoire de l'art. Les points de vue sur leur utilité sociale et culturelle sont néanmoins contrastés, comme en témoignent les textes du dossier, parmi lesquels figurent des extraits de L'Assommoir d'Émile Zola (1877) et de l'ouvrage Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes (2004), documents auxquels s'ajoutent un pamphlet du conservateur Jean Clair (L'Hiver de la culture, paru en 2011) et une présentation rédigée par l'une des conservatrices du musée du Louvre, Dominique de Font-Réaulx, laquelle, dans sa contribution « De l'émerveillement au musée » au volume Mythes fondateurs, d'Hercule à Dark Vador (2015), plaide pour une dynamique de projet. Ces textes, dans leur ensemble, permettent de porter des regards croisés sur l'institution muséale, tout en nous invitant à traiter, dans un premier temps, l'hétérogénéité mémorielle et artistique qui lui est propre, et dans un deuxième temps les apports culturels variables des musées et de leurs collections.
L'institution muséale est sans doute, avant tout, marquée par une grande hétérogénéité de collections et d'objets. Cette diversité suscite une forme de fascination, comme le ressentent d'abord les personnages de L'Assommoir d'E. Zola devant les « curiosités » du Louvre, au moment où ils sont accueillis par un « huissier superbe », dont la « livrée galonnée d'or […] redoubl[e] leur émotion ». Même dans la vision apocalyptique qu'en donne J.-M. Ribes au sein de Musée haut, musée bas, on relève des « salles de la Renaissance vénitienne […] envahies de rhododendrons, de pétunias [et] de grosses fleurs de toutes les couleurs ». Une telle institution a pu autrefois, même selon J. Clair, offrir la « promesse d'une intercession » entre le profane et le sacré, « conjugu[ant ainsi] agrément et surprise », comme le rappelle de son côté D. de Font-Réaulx. Les œuvres conservées dans les musées appartiennent à des périodes et des civilisations variées, pour certaines réunies autour d'une même thématique, avec une vocation documentaire et sociohistorique clairement défendue par cette dernière auteure, qui parle de « plusieurs mondes à explorer », à l'instar de J.-M. Ribes qui, à travers « Monsieur Mosk », défend l'art contre la nature seule.
Une telle diversité fait en revanche l'objet de nombreuses critiques des auteurs, qui dénoncent alternativement une « enfilade [de] petits salons » et des « images […] trop nombreuses pour être bien vues » (Zola), des « entrepôts [de] civilisations mortes », mêlés « d'emprunts hasardeux » et de « kitsch » (J. Clair), voire de « collection[s] saccagée[s] » (J.-M. Ribes). Même D. de Font-Réaulx déplore la présence, dans le Louvre, d'une « succession d'ailes sans lien les unes avec les autres » et de divers « culs-de-sac ». Les musées seraient-ils livrés entièrement aux marchands et aux collectionneurs ? C'est la question que pose Jean Clair, qui dénigre ouvertement des collections « d'objets arrachés à leur lieu d'origine et disposés dans l'oubli de leur fonction ». Directement ou indirectement, les auteurs, en dépit de la divergence de leurs prises de position sur les musées d'aujourd'hui et d'hier, semblent plaider pour un renouvellement général de l'institution muséale, quand bien même on assisterait à un « écroul[ement] » du « siècle » selon J.-M. Ribes, aux vandalismes et aux incivilités (J. Clair), et parallèlement à un « ennui » (ibid.) conforté par la lassitude que Zola met en scène dans L'Assommoir ; au point même de provoquer chez ses personnages un « gros mal de tête » face au « tapage de couleurs » des tableaux, ces mêmes œuvres que J. Clair décrit comme « aligné[e]s » de manière absurde. Pour autant, la vocation encyclopédique des collections muséales a encore une portée éducative et culturelle, comme le défend D. de Font-Réaulx, qui représente les musées comme le lieu d'un possible « émerveillement » et d'un réel plaisir d'apprendre.
Contrairement à ce que l'on pourrait supposer à première vue, un tel questionnement ne s'applique pas qu'à l'institution muséale : il concerne également, dans le monde qui nous est contemporain, tout établissement garant d'une mémoire historique et artistique livrée à la désaffection du public. Si l'on ne peut en dire autant des bibliothèques, qu'en est-il des lieux du patrimoine et des collections d'objets liés à la culture scientifique ? La question, assurément, mérite d'être posée.
II. Connaissance de la langue (11 points)
1. a) Nature et fonction des mots soulignés (texte 1)
L'adjectif qualificatif sévère a pour fonction, dans « la nudité sévère », d'épithète liée et postposée au nom nudité, qu'il qualifie. Quant au pronom personnel les, il constitue un complément d'objet direct du verbe rendre (« rendit »), dont l'emploi attributif permet à l'adjectif qualificatif graves de faire fonction d'attribut de l'objet les.
b) Justification de l'orthographe du mot nudité (texte 1)
Le nom commun nudité, comme de nombreux dérivés d'adjectifs (ici nu), et ce depuis le bas latin (ou par retour, depuis l'époque classique, d'emprunts au latin aussi appelés « encyclopédiques »), se termine en -té. Le féminin n'est pas indiqué par une marque flexionnelle spécifique (le -e), comme dans « pelletée » ou « nuitée », mais reste incorporé au mot. Parmi d'autres exemples de la même gamme, on relèvera les noms « parité », « égalité » ou « timidité ».
2. Nature du mot qu' dans deux phrases (texte 1)
Dans la première phrase, et plus spécifiquement dans la construction « avec des figures qu'on ne comprenait pas », que élidé consiste dans un pronom relatif (avec en l'occurrence pour antécédent le nom figures).
Dans la deuxième, que élidé consiste dans une conjonction de subordination, introduisant la subordonnée conjonctive « qu'une noce visitait le Louvre », à la suite du verbe se répandre.
3. a) Verbes à la voix passiveParmi les constructions verbales représentées dans les cinq phrases proposées, seules les phrases 3 et 4 correspondent vraiment à des emplois du verbe au passif. Ainsi :
- les chevalets y étaient installés donne, à la voix active, on installait [ou avait installé] les chevalets ;
- toute la Haute-Égypte est couverte de champignons et d'algues donne, à la voix active, des champignons et des algues couvrent toute la Haute-Égypte.
On peut y ajouter l'un des constituants de la phrase 2 : concrètement,
se répandre témoigne ici d'un emploi pronominal du verbe avec un « sens passif » : c'est bien quelqu'un qui « répand le bruit », lequel ne se disperse pas de lui-même.
b) Formes des verbesDans les phrases 1 à 5, plusieurs configurations existent :
- « sont entrés » : il s'agit du verbe entrer conjugué au passé composé (indicatif), à la 3e personne du pluriel (Personne 6 ou P6) et à la voix active ;
- « avait dû » : le verbe devoir figure ici à l'indicatif plus-que-parfait, 3e personne du singulier (P3) et à la voix active ;
- « visitait » : il s'agit du verbe visiter conjugué à l'indicatif imparfait, accordé à la 3e personne du singulier (P3) et formulé à la voix active ;
- « étaient installés » : il s'agit du verbe installer conjugué à l'indicatif imparfait, 3e personne du pluriel (P6), mais à la voix passive ;
- « est couverte » : le verbe couvrir figure ici à l'indicatif présent, 3e personne du singulier (P3), à la voix passive ;
- « s'est écroulé » : le verbe de forme pronominale s'écrouler apparaît dans cette phrase au passé composé (indicatif), à la 3e personne du singulier (P3), et à la voix active.
4. Analyse morphologique du mot civilisation
Le nom commun civilisation, qui dérive « improprement » du verbe civiliser, a pour radical civilis- et pour suffixe nominal -ation. On peut segmenter le radical civilis- depuis sa base adjectivale civil-, tout comme c'est le cas pour minim-is-er.
III. Analyse de supports d'enseignement (13 points)
1. Objectifs et compétences de la séance (doc. 1)
Les objectifs formulés par l'enseignant pour la séance concernée sont d'« aider les élèves à dépasser le sens premier », tout en leur faisant « percevoir les indices du merveilleux ». Simultanément, il s'agit de les amener à « reconnaître et décrire des œuvres visuelles ». Compte tenu de ces éléments, on peut prévoir qu'à terme l'objectif soit de dépasser la compréhension littérale pour aboutir à une compréhension fine des inférences contenues dans le texte.
Les compétences visées ici consistent de ce fait, du côté des élèves, à manifester leurs capacités à prélever des informations essentielles en vue de répondre à un questionnaire précis (« des éléments de réponse dans un texte »), et à formuler des points de vue en les présentant de manière claire et concise (« rendre compte de sa lecture et exprimer ses réactions »).
2. Démarche pédagogique (doc. 1)
Les remarques que nous pourrions faire sur la démarche pédagogique proposée sont de plusieurs ordres.
Rappelons avant tout que, dans son déroulement, la séance débute par une « lecture de la quatrième de couverture » et ensuite « de l'extrait par l'enseignant » (les élèves « ferme[nt alors] les yeux »), après quoi les élèves répondent à 3 questions sur une fiche photocopiée « à compléter », avant que n'interviennent d'une part une « correction collective au tableau », et d'autre part « un travail interdisciplinaire en lien avec les arts visuels ».
On admettra une certaine opportunité dans la démarche consistant au repérage d'éléments significatifs, et à une « correction » confirmant ou non les hypothèses formulées, notamment à partir de la compréhension littérale (les Programmes parlent de « compréhension de textes informatifs et documentaires », mais aussi « littéraires », à l'occasion de quoi « l'élève apprend à comprendre le sens d'un texte en en reformulant l'essentiel et en répondant à des questions le concernant »). On imagine également que la phase de correction collective a été (ou sera) l'occasion d'un échange oral en classe, conduisant de ce fait les élèves à justifier leurs réponses et à rechercher un consensus.
En revanche, il est assez déconcertant que la phase de lecture par l'enseignant soit directement suivie d'une « réponse individuelle et par écrit aux questions ». De même, la correction commune se réduit à une « copie » des bonnes réponses reportées au tableau. Ces dernières, en passant, sont peu conformes aux exigences des Programmes, qui requièrent une mise à l'écrit à l'aide de phrases entièrement formulées, contrairement aux « dans un musée » et autres « parce que […] » prévues par la fiche de séance.
Plus anecdotiquement, l'exigence consistant à faire « fermer les yeux » aux élèves, tout au long des deux lectures, nous paraît ambitieuse pour une classe de CM1 (comme à d'autres niveaux, du reste).
3. Autres modalités d'exploitation du texte (doc. 2)
Compte tenu de l'extrait, les autres modalités d'exploitation du texte que l'on pourrait envisager relèvent d'une part d'activités orales, d'autre part d'entraînements à la compréhension fine, et enfin de production d'écrits. La séance porte certes sur des activités de lecture/compréhension et non sur la production d'écrit, et ne prévoit vraisemblablement pas d'échanges oraux soutenus en classe, mais il est possible de lui appliquer d'autres modalités.
Pour ce qui concerne les échanges, plusieurs éléments dans l'extrait se prêtent à l'exercice de la recherche collective d'inférences et d'implicites. Ceux-ci s'appuient surtout sur la tension entre réel et « merveilleux » (le « pinceau » prélevant des couleurs jusque « dans un coin de ciel », puis « dans l'écharpe d'un gros bonhomme coiffé d'une couronne »), ainsi que sur l'ordinaire et l'extra-ordinaire (que dire d'un « gardien d[e] musée » permettant qu'un enfant « tremp[e] le bout de [s]on pinceau » dans les tableaux ?). Il en est de même pour les antinomies parcourant le texte (dedans/ dehors, enfermement/ voyage). Rappelons que les Programmes, pour ce qui concerne la lecture littéraire au cycle 3, suggèrent que les élèves rendent compte de leur lecture, expriment leurs réactions ou leurs points de vue et échangent entre eux sur ces sujets, avec des interprétations diverses rapportées aux éléments du texte qui les autorisent ou, au contraire, les rendent impossibles.
Entre compréhension fine et lecture interprétative, un questionnement soit par l'oral, soit par écrit, pourrait donner plus de sens à l'activité, en allant notamment de l'explicite à l'implicite, avec de vrais enjeux d'analyse littéraire. L'illustration, par exemple, peut permettre de faire des hypothèses sur le sens, mais aussi de compléter, de confirmer ou non ce que les élèves comprennent de cet extrait d'Un bleu si bleu.
En termes de production d'écrits, on pourrait imaginer d'accroître le rôle pédagogique des questions, par exemple en demandant aux élèves de spécifier quels mots du texte leur ont permis de répondre, de sorte à les amener à produire une corroboration de leur première compréhension. Le rôle de cette question serait d'amener les élèves à être en capacité d'utiliser les éléments du texte afin d'en prélever les informations dans le cadre d'un questionnaire plus précis. Cette démarche gagnerait à s'accompagner d'une narration de la suite, soit de la trame narrative, soit du dialogue entre l'enfant et le gardien du musée.
4. Pertinence du travail interdisciplinaire et prolongements possibles (doc. 1 et 2)Le
travail interdisciplinaire proposé dans le descriptif de séance tient sa pertinence de ce que la peinture, et même le lieu du musée, sont des ingrédients propices à un prolongement « en lien avec les arts visuels ». Son caractère judicieux est donc indéniable, mais là encore la démarche nécessite de nombreux ajustements.
Le texte support, extrait de l'ouvrage de littérature de jeunesse
Un bleu si bleu de Jean-François Dumont, est particulièrement bien choisi : la situation qu'il présente contient des pistes favorables pour une mise en relation avec les arts visuels. En termes de
prolongements éventuels, on peut alors imaginer les scénarios suivants :
- la création d'une planche de bande dessinée avec une douzaine de vignettes (représentant alternativement le départ de l'enfant depuis « l'escalier de son immeuble » [1], son entrée dans le musée [2], l'épisode de la « dame souria[nte] » [3] suivi du désappointement de l'enfant [4], l'anecdote du « coin de ciel bleu » [5], celle du « gros bonhomme coiffé d'une couronne » [6] suivi d'un autre désappointement [7], après quoi d'autres vignettes représenteraient le dialogue entre le protagoniste et le gardien) ;
- une recherche de différentes tonalités du bleu (par exemple azur, marine, cyan, outremer, indigo, etc.), avec des mélanges appuyés de gris et de blanc, sur un carnet dans lequel les élèves échangeraient des descriptions et des commentaires ;
- un inventaire des représentations du bleu dans différents tableaux, tels qu'on peut en relever dans de nombreux musées (on évoquera aussi la possibilité de « périodes bleues » chez plusieurs peintres, tels que Picasso, Matisse, Van Gogh, Chagall et quelques autres).