Sujet 2016, groupement académique 2
Dernier essai le - Score : /20
Sujet

Sujet

I. Question relative aux textes proposés (11 points)
Quels regards les auteurs de ce corpus portent-ils sur l'institution muséale ?
Texte 1
[L'héroïne Gervaise vient de se marier avec Coupeau. À la suite de la cérémonie, et comme le temps est maussade, la compagnie se réfugie au Louvre où le musée dévoile ses curiosités.]
« La nudité sévère de l'escalier les rendit graves. Un huissier superbe, en gilet rouge, la livrée galonnée d'or, qui semblait les attendre sur le palier, redoubla leur émotion. Ce fut avec un grand respect, marchant le plus doucement possible, qu'ils entrèrent dans la galerie française. Alors, sans s'arrêter, les yeux emplis de l'or des cadres, ils suivirent l'enfilade des petits salons, regardant passer les images, trop nombreuses pour être bien vues. Il aurait fallu une heure devant chacune, si l'on avait voulu comprendre. Que de tableaux, sacredié ! Ça ne finissait pas. Il devait y en avoir pour de l'argent. Puis, au bout, M. Madinier les arrêta brusquement devant le Radeau de la Méduse ; et il leur expliqua le sujet. Tous, saisis, immobiles, se taisaient. Quand on se remit à marcher, Boche résuma le sentiment général : c'était tapé. […] Puis, la noce se lança dans la longue galerie où sont les écoles italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu'on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violent tapage de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête. M. Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortège, qui le suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en l'air. […] Des siècles d'art passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheresse fine des primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse et belle de lumière des Hollandais. Mais ce qui les intéressait le plus, c'étaient encore les copistes, avec leurs chevalets installés parmi le monde, peignant sans gêne ; une vieille dame, montée sur une grande échelle, promenant un pinceau à badigeon dans le ciel tendre d'une immense toile, les frappa d'une façon particulière. Peu à peu, pourtant, le bruit avait dû se répandre qu'une noce visitait le Louvre ; des peintres accouraient, la bouche fendue d'un rire ; des curieux s'asseyaient à l'avance sur des banquettes, pour assister commodément au défilé ; tandis que les gardiens, les lèvres pincées, retenaient des mots d'esprit. Et la noce, déjà lasse, perdant de son respect, traînait ses souliers à clous, tapait ses talons sur les parquets sonores, avec le piétinement d'un troupeau débandé, lâché au milieu de la propreté nue et recueillie des salles. »
Émile Zola, L'Assommoir (1877), Paris, Flammarion, coll. « Garnier-Flammarion », 2008, pp. 101-103.

Texte 2
[À l'issue d'une succession de scènes plus burlesques les unes que les autres, le personnel et les visiteurs d'un très grand musée finissent par vivre l'apocalypse de l'art.]
«  (À bout de souffle arrivent les uns après les autres des employés du musée, les vêtements maculés de terre ou déchirés ils se précipitent, désemparés, sur le conservateur.)
EMPLOYÉ 1
Monsieur, toutes les statues phéniciennes sont couvertes de champignons et d'algues…
EMPLOYÉ 2 (en larmes)
Monsieur Mosk, les trois salles de la Renaissance vénitienne sont envahies de rhododendrons, de pétunias, de grosses fleurs de toutes les couleurs, il y a aussi des arbres qui passent dans les parquets, et du maïs, du maïs partout !
EMPLOYÉ 3
Monsieur, des abeilles, des mouches, des papillons sont entrés au premier, des milliers d'insectes s'agglutinent sur les Vélasquez et les mangent.
EMPLOYÉ 4 (deux tableaux craquelés entre les mains)
Monsieur, ce sont des Chardin et des Fantin-Latour, ils n'ont pas tenu, l'air est trop pur.
MONSIEUR MOSK (accablé)
Les cons, ils ont bouché le trou d'ozone !… Le Louvre ? Est-ce qu'on a joint le Louvre ?
LA SECRÉTAIRE
Il ne répond plus.
MONSIEUR MOSK
Et la Tate Gallery ? Et le Prado ? Et le Guggenheim ? Et les Offices ?
LA SECRÉTAIRE
Silence total. On a juste reçu un dernier mail de la pinacothèque de Munich, l'intégralité de leur collection a été saccagée par mille deux cents chèvres.
MONSIEUR MOSK
Les Dürer ? Il n'y en a plus ?
LA SECRÉTAIRE
Non monsieur.
 (Un employé en loques, une grenouille dans la main, arrive en se traînant.)
MONSIEUR MOSK
La Chine ?
EMPLOYÉ 5
Les vases Ming, les chevaux Tang, et les statuettes Wang ont tous été détruits par des lézards, des tritons et des grenouilles.
 (Il écrase celle qu'il a dans la main. L'orage redouble, le vent devient tornade, les murs du musée vibrent.)
EMPLOYÉ 4
Monsieur Mosk, qu'est-ce qu'on fait ?
MONSIEUR MOSK
Est-ce qu'il reste du béton, du plastique, de la résine pour se battre ?
 (Un employé blessé, le bras bandé, soutenu par Martine l'infirmière, traverse la salle.)
Martine
Tout le xxe siècle s'est écroulé, il a voulu sauver un Picabia, il s'est cassé le bras !
 (Coup de tonnerre. Le mur du musée se fend, une branche d'arbre apparaît, puis une seconde. Mosk, ivre de rage, lance ses troupes dans la résistance.)
MONSIEUR MOSK
Ah non ! Ne reculez pas ! On ne va pas céder, battez-vous avec ce qui reste, l'art d'aujourd'hui, prenez les Pollock, les Tinguely, les Calder, les Beuys, les Koons, les Garouste, les Cortot, les Tapiès, les Alechinsky, tapez, tapez, nous ne retournerons pas dans les cavernes ! Sauvons la planète que nous avons inventée ! À bas la nature, vive l'art !
 »
Jean-Michel Ribes, Musée haut, musée bas (2004), Actes Sud, 2004, pp. 160-161.

Texte 3
[Jean Clair, de son véritable nom Gérard Régnier, est un conservateur général du patrimoine. Après Malaise dans les musées en 2007, il publie en 2011 un pamphlet dans lequel il s'en prend aux musées, à l'art contemporain, à ses marchands et ses collectionneurs.]
« Les musées ne ressemblent plus à rien. La silhouette du nouveau musée d'Art contemporain de Metz rappelle à la fois les Buffalo Grill qu'on voit le long des autoroutes, un chapeau chinois et la maison des Schtroumpfs. Dans l'élévation d'un nouveau musée, on retrouvera souvent, in nuce(1), dans son mélange de modernité fade et d'emprunts hasardeux, le kitsch qu'on verra envahir l'architecture des mégalopoles, de Las Vegas à Dubaï. Construire un musée pose à l'architecte un problème insoluble. À quoi sert un musée ? D'un temple on savait la destination. D'une école aussi (encore un peu, à vrai dire). D'un aéroport, assurément. D'un stade, absolument, et même on en redemande, par dizaines, en tout lieu. Mais d'une collection d'objets arrachés à leur lieu d'origine et disposés dans l'oubli de leur fonction ? […] Ennui sans fin de ces musées. Absurdité de ces tableaux alignés, par époques ou par lieux, les uns contre les autres, que personne à peu près ne sait plus lire, dont on ne sait pas pour la plupart déchiffrer le sens, moins encore trouver en eux une réponse à la souffrance et à la mort. Morosité des sculptures qui n'offrent plus, comme autrefois la statue d'un dieu ou d'un saint, la promesse d'une intercession. Dérision des formules et prétention des audaces esthétiques. Entrepôts des civilisations mortes. À quoi bon tant d'efforts, tant de science, tant d'ingéniosité pour les montrer ? Et puis désormais, la question, obsédante : pour qui et pour quoi ? Les foules qui se pressent en ces lieux, faites de gens solitaires qu'aucune croyance commune, ni religieuse, ni sociale, ni politique, ne réunit plus guère, ont trouvé dans le culte de l'art leur dernière aventure collective. C'est pour cela qu'on les voit visiter l'un après l'autre les grands musées comme elles allaient autrefois au temple ou au Vel' d'Hiv'(2). Elles ne s'y déplacent qu'en groupes et s'y photographient réciproquement comme pour étouffer, par l'uniformité de leur comportement et l'identité de leurs réactions, le soupçon qui les effleure parfois que, là non plus, il n'y a rien à attendre. […] Roger Caillois(3) se souvenait qu'au musée de Séoul, dans les années 1970, il voyait les visiteurs s'incliner et déposer leurs offrandes – monnaie, billets ou fruits – devant des bouddhas qui pourtant étaient là exclusivement à titre d'œuvres d'art. « J'ai réfléchi, ajoute-t-il, qu'il était douteux que je surprenne jamais au Louvre, voire au Prado, fût-ce une dévote en train de se signer ou de se recueillir devant un Christ en croix, ce qu'elle n'eût pas manqué de faire en rase campagne devant un calvaire ou même un reposoir. » Dans les musées d'aujourd'hui, les gens ne prient pas en effet devant les œuvres d'art qui sont pourtant, dans leur immense majorité, des œuvres religieuses, ils les photographient, ils parlent fort, ils ricanent parfois. Les lieux qui les conservent sont aussi désormais victimes de vandalisme et de vols, commis à une fréquence de plus en plus haute. »
Jean Clair, L'Hiver de la culture (2011), Paris, Flammarion, 2011.

Texte 4
[Dominique de Font-Réaulx est conservatrice en chef au musée du Louvre et directrice du musée national Eugène-Delacroix. Elle présente ici le projet « La Petite Galerie », qui permet aux visiteurs de débuter leur visite au sein du musée du Louvre par la rencontre avec une cinquantaine d'œuvres d'art issues de périodes et de civilisations variées, mais réunies autour d'un même thème.]
« Un dictionnaire courant de la langue française donne, dans une de ses éditions récentes, la définition suivante du verbe « s'émerveiller » : « éprouver un étonnement agréable devant quelque chose d'inattendu qu'on juge merveilleux ». Telle quelle, elle paraît constituer un programme idoine(4) pour la Petite Galerie, nouvelles salles dédiées à l'éducation artistique au Louvre. Conjuguer agrément et surprise semble en effet la condition essentielle de la mise en œuvre d'un apprentissage au sein d'un lieu qui, s'il a été fondé pour contribuer à l'éducation artistique, n'est pas un établissement éducatif. Cela offre ainsi au musée quelques libertés et lui permet de placer au cœur de ses missions celle de susciter, avant tout, plaisir et étonnement […]. La Petite Galerie s'inscrit ainsi pleinement au sein du Louvre. Tout musée est par nature et intention un lieu d'émerveillement. Le Louvre, fondé en 1792 comme musée de la Nation, a placé au cœur de ses premières missions l'éducation artistique et la délectation esthétique. Déployées aujourd'hui sur plus de 75 000 m2, présentant des milliers d'œuvres, de l'invention de l'écriture au milieu du xixe siècle, ses galeries offrent autant de surprises, autant de révélations. Plus grand musée du monde, il se déploie comme une encyclopédie, dont chaque vitrine, chaque mur serait une entrée. Installé dans l'ancien palais des rois de France, reconstruit à l'initiative de Napoléon III au Second Empire, il offre du monument tous les charmes du dédale, mais contraint à une succession d'ailes sans lien les unes avec les autres, aux culs-de-sac, à des retours obligés. Le Louvre a gardé du palais les décors, et l'on trouve ainsi des antiquités grecques dans la salle de bal d'Henri II, des antiquités romaines dans les appartements d'Anne d'Autriche, des antiquités égyptiennes sous les plafonds commandés par Charles X aux jeunes artistes de son temps. Il est un magnifique terrain d'aventures, il déploie plusieurs mondes à explorer, comme autant de galaxies. [Il s'agit] de rappeler combien le musée est un lieu d'épanouissement et de découvertes, un lieu ouvert sur l'histoire ancienne du monde comme sur ses questionnements contemporains. Un lieu privilégié pour revenir à soi, dans un double mouvement de plaisir et d'apprentissage, comme l'a écrit récemment Claude Calame : « La jouissance que l'on éprouve face aux représentations s'explique en effet par le fait qu'elles sont un moyen d'apprentissage et de (re)connaissance. » »
Dominique de Font-Réaulx, « De l'émerveillement au musée », in Mythes fondateurs, d'Hercule à Dark Vador, sous la direction de Dominique de Font-Réaulx et de Frédérique Leseur, Paris, coédition Le Seuil/Louvre éditions, 2015.

II. Connaissance de la langue (11 points)
1. 
a) 
Dans la phrase suivante extraite du texte 1, identifiez précisément la nature et la fonction des mots soulignés :
« La nudité sévère de l'escalier les rendit graves. »

b) Justifiez l'orthographe de « nudité ».
2. 
Indiquez la nature de « qu' » dans les deux phrases ci-dessous (texte 1) :
« Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu'on ne comprenait pas […] »

« Peu à peu, pourtant, le bruit avait dû se répandre qu'une noce visitait le Louvre […] »

3. 
Lisez les phrases suivantes :
1. Monsieur, des abeilles, des mouches, des papillons sont entrés au premier.
2. Le bruit avait dû se répandre qu'une noce visitait le Louvre.
3. Les chevalets y étaient installés.
4. Monsieur, toute la Haute-Égypte est couverte de champignons et d'algues.
5. Tout le xxe siècle s'est écroulé.
a) Parmi les phrases ci-dessus, identifiez les verbes à la voix passive et donnez leur équivalent à la voix active.
b) Identifiez la forme (mode, temps, personne, voix) de tous les verbes en précisant leur infinitif.
4. 
Vous ferez l'analyse morphologique du mot « civilisation » (texte 3).
III. Analyse de supports d'enseignement (13 points)
À partir de la séance proposée par un enseignant à une classe de CM1 (documents 1 et 2, dont un extrait de l'album Un bleu si bleu, de Jean-François Dumont, Paris, Père Castor-Flammarion, 2003), vous répondrez aux questions suivantes :
1. Analysez les objectifs et les compétences formulés par l'enseignant pour cette séance.
2. Quelles remarques pouvez-vous faire sur la démarche pédagogique proposée ?
3. En prenant appui sur l'extrait, quelles autres modalités d'exploitation du texte pourriez-vous envisager ?
4. Le travail interdisciplinaire proposé vous paraît-il pertinent ? Quels prolongements proposeriez-vous ?
Document 1
Séance n° 4 : Littérature
Objectifs
– Aider les élèves à dépasser le sens premier et percevoir les indices du merveilleux.
– Aider les élèves à reconnaître et décrire des œuvres visuelles.
Compétences
– Prélever des éléments de réponse dans un texte.
– Rendre compte de sa lecture et exprimer ses réactions.
Déroulement
1. Lecture de la quatrième de couverture et de l'extrait par l'enseignant : le maître lit sans que les élèves aient le texte ; il leur a demandé de fermer les yeux.
2. Réponse individuelle et par écrit aux questions (fiche photocopiée à compléter).
Réponses attendues :
1 : dans un musée.
2 : parce que dans un musée, il y a des tableaux.
3 : parce que l'histoire est fictionnelle et merveilleuse ; les codes de la réalité ne fonctionnent pas.
3. Correction collective au tableau.
Le maître écrit les réponses au tableau et les élèves les recopient dans leur classeur.
4. Prolongement : travail interdisciplinaire en lien avec les arts visuels.

La 4e de couverture de cet album précise :
« Un petit garçon dans une grande ville grise. Un rêve étrange et merveilleux, celui d'une couleur, un bleu. Un bleu profond et lumineux à la fois, qui n'existe pas dans les boîtes de peintures. Alors, armé d'un carnet et d'un pinceau, le petit garçon part à la recherche de la couleur de son rêve. Un bleu si bleu qu'il est bien difficile à retrouver… »
Document 2
Prénom :
Date :
Séance :
Un bleu si bleu
« Le petit garçon prit son carnet et son pinceau, dévala l'escalier de son immeuble, et sauta dans le bus de la ligne 7, qui le déposa devant le musée. Dans le grand bâtiment, il s'approcha d'un tableau où une dame souriait en le regardant. Il trempa son pinceau dans le bleu de sa robe, et fit une petite tache sur la page de son carnet. Mais ce n'était toujours pas son bleu. Un peu plus loin, il trempa son pinceau dans un coin de ciel, au-dessus d'un paysage de montagne, puis dans l'écharpe d'un gros bonhomme coiffé d'une couronne, et s'assit, découragé. Aucun de ces bleus n'était le bleu de ses rêves.
Intrigué par ce petit garçon qui lui semblait si abattu, le gardien du musée vient s'asseoir à côté de lui.
— Que cherches-tu donc dans ces tableaux, pour y tremper le bout de ton pinceau ?
— Je cherche le bleu de mes rêves, un bleu doux et fort à la fois, un bleu si bleu qu'il donne envie de s'y blottir.
Le gardien réfléchit en se grattant le menton.
— Je n'ai pas beaucoup voyagé, j'ai passé ma vie dans ce musée. Mais en écoutant les visiteurs, on apprend beaucoup de choses. Un jour, j'ai entendu parler du bleu de la mer, profond et lumineux à la fois. Ça pourrait être le bleu que tu cherches. »
Répondre aux questions
1. Où se retrouve le petit garçon ?
2. Pourquoi le texte parle-t-il de tableaux ?
3. Selon vous, comment le petit garçon réussit-il à faire une tache sur son petit carnet ?
(1)In nuce : littéralement « dans la noix », signifie « en résumé ».
(2)Vel' d'Hiv' : le vélodrome d'Hiver, enceinte sportive populaire.
(3)Roger Caillois : sociologue et critique littéraire français du xxe siècle.
(4)Idoine : adapté, qui convient parfaitement.
Corrigé

Corrigé

I. Question relative aux textes proposés (11 points)
Remarques
• Cette analyse se prête académiquement à un plan recouvrant d'un côté les avantages, de l'autre les inconvénients (ou plutôt le caractère inutile et vain) des musées, interrogeant par là même, en effet, « l'institution muséale » en tant que telle. Les avis des auteurs sont assez directs et marqués, avec d'un côté une défense et illustration des établissements concernés, de l'autre une critique, par moments sarcastique, de leurs apports sociaux et culturels. Les points de divergence entre les auteurs étant pour le moins prononcés, on ne peut se saisir uniquement des avis tantôt laudatifs, tantôt dénonciateurs, qu'ils expriment sur les musées. Nous avons donc traité ici dans une première partie de l'hétérogénéité mémorielle et artistique propre à l'institution muséale, et dans une deuxième partie des apports culturels contrastés des musées et de leurs collections.
Les musées font partie, depuis au moins les débuts de l'époque moderne, de ces institutions discrètes qui conservent la mémoire des populations et de l'histoire de l'art. Les points de vue sur leur utilité sociale et culturelle sont néanmoins contrastés, comme en témoignent les textes du dossier, parmi lesquels figurent des extraits de L'Assommoir d'Émile Zola (1877) et de l'ouvrage Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes (2004), documents auxquels s'ajoutent un pamphlet du conservateur Jean Clair (L'Hiver de la culture, paru en 2011) et une présentation rédigée par l'une des conservatrices du musée du Louvre, Dominique de Font-Réaulx, laquelle, dans sa contribution « De l'émerveillement au musée » au volume Mythes fondateurs, d'Hercule à Dark Vador (2015), plaide pour une dynamique de projet. Ces textes, dans leur ensemble, permettent de porter des regards croisés sur l'institution muséale, tout en nous invitant à traiter, dans un premier temps, l'hétérogénéité mémorielle et artistique qui lui est propre, et dans un deuxième temps les apports culturels variables des musées et de leurs collections.
L'institution muséale est sans doute, avant tout, marquée par une grande hétérogénéité de collections et d'objets. Cette diversité suscite une forme de fascination, comme le ressentent d'abord les personnages de L'Assommoir d'E. Zola devant les « curiosités » du Louvre, au moment où ils sont accueillis par un « huissier superbe », dont la « livrée galonnée d'or […] redoubl[e] leur émotion ». Même dans la vision apocalyptique qu'en donne J.-M. Ribes au sein de Musée haut, musée bas, on relève des « salles de la Renaissance vénitienne […] envahies de rhododendrons, de pétunias [et] de grosses fleurs de toutes les couleurs ». Une telle institution a pu autrefois, même selon J. Clair, offrir la « promesse d'une intercession » entre le profane et le sacré, « conjugu[ant ainsi] agrément et surprise », comme le rappelle de son côté D. de Font-Réaulx. Les œuvres conservées dans les musées appartiennent à des périodes et des civilisations variées, pour certaines réunies autour d'une même thématique, avec une vocation documentaire et sociohistorique clairement défendue par cette dernière auteure, qui parle de « plusieurs mondes à explorer », à l'instar de J.-M. Ribes qui, à travers « Monsieur Mosk », défend l'art contre la nature seule.
Une telle diversité fait en revanche l'objet de nombreuses critiques des auteurs, qui dénoncent alternativement une « enfilade [de] petits salons » et des « images […] trop nombreuses pour être bien vues » (Zola), des « entrepôts [de] civilisations mortes », mêlés « d'emprunts hasardeux » et de « kitsch » (J. Clair), voire de « collection[s] saccagée[s] » (J.-M. Ribes). Même D. de Font-Réaulx déplore la présence, dans le Louvre, d'une « succession d'ailes sans lien les unes avec les autres » et de divers « culs-de-sac ». Les musées seraient-ils livrés entièrement aux marchands et aux collectionneurs ? C'est la question que pose Jean Clair, qui dénigre ouvertement des collections « d'objets arrachés à leur lieu d'origine et disposés dans l'oubli de leur fonction ». Directement ou indirectement, les auteurs, en dépit de la divergence de leurs prises de position sur les musées d'aujourd'hui et d'hier, semblent plaider pour un renouvellement général de l'institution muséale, quand bien même on assisterait à un « écroul[ement] » du « siècle » selon J.-M. Ribes, aux vandalismes et aux incivilités (J. Clair), et parallèlement à un « ennui » (ibid.) conforté par la lassitude que Zola met en scène dans L'Assommoir ; au point même de provoquer chez ses personnages un « gros mal de tête » face au « tapage de couleurs » des tableaux, ces mêmes œuvres que J. Clair décrit comme « aligné[e]s » de manière absurde. Pour autant, la vocation encyclopédique des collections muséales a encore une portée éducative et culturelle, comme le défend D. de Font-Réaulx, qui représente les musées comme le lieu d'un possible « émerveillement » et d'un réel plaisir d'apprendre.
Contrairement à ce que l'on pourrait supposer à première vue, un tel questionnement ne s'applique pas qu'à l'institution muséale : il concerne également, dans le monde qui nous est contemporain, tout établissement garant d'une mémoire historique et artistique livrée à la désaffection du public. Si l'on ne peut en dire autant des bibliothèques, qu'en est-il des lieux du patrimoine et des collections d'objets liés à la culture scientifique ? La question, assurément, mérite d'être posée.
II. Connaissance de la langue (11 points)
1. 
a) Nature et fonction des mots soulignés (texte 1)
L'adjectif qualificatif sévère a pour fonction, dans « la nudité sévère », d'épithète liée et postposée au nom nudité, qu'il qualifie. Quant au pronom personnel les, il constitue un complément d'objet direct du verbe rendre (« rendit »), dont l'emploi attributif permet à l'adjectif qualificatif graves de faire fonction d'attribut de l'objet les.
b) Justification de l'orthographe du mot nudité (texte 1)
Le nom commun nudité, comme de nombreux dérivés d'adjectifs (ici nu), et ce depuis le bas latin (ou par retour, depuis l'époque classique, d'emprunts au latin aussi appelés « encyclopédiques »), se termine en -té. Le féminin n'est pas indiqué par une marque flexionnelle spécifique (le -e), comme dans « pelletée » ou « nuitée », mais reste incorporé au mot. Parmi d'autres exemples de la même gamme, on relèvera les noms « parité », « égalité » ou « timidité ».
2. 
Nature du mot qu' dans deux phrases (texte 1)
Dans la première phrase, et plus spécifiquement dans la construction « avec des figures qu'on ne comprenait pas », que élidé consiste dans un pronom relatif (avec en l'occurrence pour antécédent le nom figures).
Dans la deuxième, que élidé consiste dans une conjonction de subordination, introduisant la subordonnée conjonctive « qu'une noce visitait le Louvre », à la suite du verbe se répandre.
Remarques
• Ce dernier cas est tout à fait intéressant, en ceci que la subordonnée conjonctive « qu'une noce visitait le Louvre » n'est en fait pas exactement le complément d'objet direct du verbe se répandre, mais le complément (différé) du nom bruit. Reformulée, la construction donnerait le bruit qu'une noce visitait le Louvre avait dû se répandre.
• Notons que l'on ne compte pas, dans ces configurations, de que adverbial, qu'il fût exclamatif (que de monde !) ou exceptif (je n'ai vu que vous).
3. 
a) Verbes à la voix passive
Parmi les constructions verbales représentées dans les cinq phrases proposées, seules les phrases 3 et 4 correspondent vraiment à des emplois du verbe au passif. Ainsi :
  • les chevalets y étaient installés donne, à la voix active, on installait [ou avait installé] les chevalets ;
  • toute la Haute-Égypte est couverte de champignons et d'algues donne, à la voix active, des champignons et des algues couvrent toute la Haute-Égypte.
On peut y ajouter l'un des constituants de la phrase 2 : concrètement, se répandre témoigne ici d'un emploi pronominal du verbe avec un « sens passif » : c'est bien quelqu'un qui « répand le bruit », lequel ne se disperse pas de lui-même.
b) Formes des verbes
Dans les phrases 1 à 5, plusieurs configurations existent :
  • « sont entrés » : il s'agit du verbe entrer conjugué au passé composé (indicatif), à la 3e personne du pluriel (Personne 6 ou P6) et à la voix active ;
  • « avait dû » : le verbe devoir figure ici à l'indicatif plus-que-parfait, 3e personne du singulier (P3) et à la voix active ;
  • « visitait » : il s'agit du verbe visiter conjugué à l'indicatif imparfait, accordé à la 3e personne du singulier (P3) et formulé à la voix active ;
  • « étaient installés » : il s'agit du verbe installer conjugué à l'indicatif imparfait, 3e personne du pluriel (P6), mais à la voix passive ;
  • « est couverte » : le verbe couvrir figure ici à l'indicatif présent, 3e personne du singulier (P3), à la voix passive ;
  • « s'est écroulé » : le verbe de forme pronominale s'écrouler apparaît dans cette phrase au passé composé (indicatif), à la 3e personne du singulier (P3), et à la voix active.
4. 
Analyse morphologique du mot civilisation
Remarques
• Pour le traitement des questions dites « de lexique », plusieurs notions sont incontournables. Concernant notamment la formation des mots, rappelons qu'il n'en est que deux possibles en français : soit par dérivation, soit par composition.
• La langue dérive un mot d'un autre généralement par affixation : dans ce cas, à un lexème, elle ajoute un affixe (en début de mot, un préfixe ; en fin de mot, un suffixe).
  • Quand la dérivation d'un mot à un autre ne modifie pas leur catégorie grammaticale (crier > décrier), on appelle cela la dérivation propre.
  • Dans le cas contraire (lune > alunir), la dérivation est dite impropre (les autres possibilités ne sont pas abordées par le CRPE).
• La composition, elle, renvoie au fait qu'une unité lexicale est formée de plusieurs mots : ainsi portemanteau, autoroute, poil à gratter, vis-à-vis sont tous des composés. Il suffit dans ce cas d'indiquer quels sont les lexèmes utilisés pour former l'unité.
Le nom commun civilisation, qui dérive « improprement » du verbe civiliser, a pour radical civilis- et pour suffixe nominal -ation. On peut segmenter le radical civilis- depuis sa base adjectivale civil-, tout comme c'est le cas pour minim-is-er.
III. Analyse de supports d'enseignement (13 points)
Remarques
• Concernant cette troisième partie de l'épreuve, les réponses sont pour moitié d'entre elles assez faciles à fournir (questions 1. et 2.), les autres laissant aux candidat(e)s une réelle marge de manœuvre. Cette marge vous conduisant à imaginer, selon votre propre documentation et d'après vos représentations à vous, d'autres « modalités d'exploitation du texte » et des « prolongements » possibles, elle est à double tranchant : les documents ne constituent plus qu'un support intermédiaire, et c'est à vous de procurer des pistes.
• Pour préparer au mieux ce type de questions (une constante au CRPE), nous vous suggérons de consulter régulièrement des « livrets de l'enseignant » et autres « fiches pédagogiques » (notamment de circonscriptions), mais également les ressources figurant sur le portail Eduscol au titre de l'accompagnement des Programmes de 2015 et 2016. Qui plus est ici, il est requis d'exposer, à partir de la question 2., ce que vous déduisez de la mise à profit de la démarche pédagogique représentée (exercice de compréhension, apprentissage de la prise d'informations, distribution des rôles dans la classe, phases d'autocorrection, mise en place d'ateliers…). Toute description d'activité qui prendrait en compte l'un des aspects de la pratique pédagogique et/ou des contenus, comme le caractère plus ou moins adapté du support, le questionnement soumis aux élèves, les éléments d'aide éventuels, la diversité des inférences du texte, etc., sera la bienvenue.
1. Objectifs et compétences de la séance (doc. 1)
Les objectifs formulés par l'enseignant pour la séance concernée sont d'« aider les élèves à dépasser le sens premier », tout en leur faisant « percevoir les indices du merveilleux ». Simultanément, il s'agit de les amener à « reconnaître et décrire des œuvres visuelles ». Compte tenu de ces éléments, on peut prévoir qu'à terme l'objectif soit de dépasser la compréhension littérale pour aboutir à une compréhension fine des inférences contenues dans le texte.
Les compétences visées ici consistent de ce fait, du côté des élèves, à manifester leurs capacités à prélever des informations essentielles en vue de répondre à un questionnaire précis (« des éléments de réponse dans un texte »), et à formuler des points de vue en les présentant de manière claire et concise (« rendre compte de sa lecture et exprimer ses réactions »).
2. Démarche pédagogique (doc. 1)
Les remarques que nous pourrions faire sur la démarche pédagogique proposée sont de plusieurs ordres.
Rappelons avant tout que, dans son déroulement, la séance débute par une « lecture de la quatrième de couverture » et ensuite « de l'extrait par l'enseignant » (les élèves « ferme[nt alors] les yeux »), après quoi les élèves répondent à 3 questions sur une fiche photocopiée « à compléter », avant que n'interviennent d'une part une « correction collective au tableau », et d'autre part « un travail interdisciplinaire en lien avec les arts visuels ».
On admettra une certaine opportunité dans la démarche consistant au repérage d'éléments significatifs, et à une « correction » confirmant ou non les hypothèses formulées, notamment à partir de la compréhension littérale (les Programmes parlent de « compréhension de textes informatifs et documentaires », mais aussi « littéraires », à l'occasion de quoi « l'élève apprend à comprendre le sens d'un texte en en reformulant l'essentiel et en répondant à des questions le concernant »). On imagine également que la phase de correction collective a été (ou sera) l'occasion d'un échange oral en classe, conduisant de ce fait les élèves à justifier leurs réponses et à rechercher un consensus.
En revanche, il est assez déconcertant que la phase de lecture par l'enseignant soit directement suivie d'une « réponse individuelle et par écrit aux questions ». De même, la correction commune se réduit à une « copie » des bonnes réponses reportées au tableau. Ces dernières, en passant, sont peu conformes aux exigences des Programmes, qui requièrent une mise à l'écrit à l'aide de phrases entièrement formulées, contrairement aux « dans un musée » et autres « parce que […] » prévues par la fiche de séance.
Plus anecdotiquement, l'exigence consistant à faire « fermer les yeux » aux élèves, tout au long des deux lectures, nous paraît ambitieuse pour une classe de CM1 (comme à d'autres niveaux, du reste).
3. Autres modalités d'exploitation du texte (doc. 2)
Compte tenu de l'extrait, les autres modalités d'exploitation du texte que l'on pourrait envisager relèvent d'une part d'activités orales, d'autre part d'entraînements à la compréhension fine, et enfin de production d'écrits. La séance porte certes sur des activités de lecture/compréhension et non sur la production d'écrit, et ne prévoit vraisemblablement pas d'échanges oraux soutenus en classe, mais il est possible de lui appliquer d'autres modalités.
Pour ce qui concerne les échanges, plusieurs éléments dans l'extrait se prêtent à l'exercice de la recherche collective d'inférences et d'implicites. Ceux-ci s'appuient surtout sur la tension entre réel et « merveilleux » (le « pinceau » prélevant des couleurs jusque « dans un coin de ciel », puis « dans l'écharpe d'un gros bonhomme coiffé d'une couronne »), ainsi que sur l'ordinaire et l'extra-ordinaire (que dire d'un « gardien d[e] musée » permettant qu'un enfant « tremp[e] le bout de [s]on pinceau » dans les tableaux ?). Il en est de même pour les antinomies parcourant le texte (dedans/ dehors, enfermement/ voyage). Rappelons que les Programmes, pour ce qui concerne la lecture littéraire au cycle 3, suggèrent que les élèves rendent compte de leur lecture, expriment leurs réactions ou leurs points de vue et échangent entre eux sur ces sujets, avec des interprétations diverses rapportées aux éléments du texte qui les autorisent ou, au contraire, les rendent impossibles.
Entre compréhension fine et lecture interprétative, un questionnement soit par l'oral, soit par écrit, pourrait donner plus de sens à l'activité, en allant notamment de l'explicite à l'implicite, avec de vrais enjeux d'analyse littéraire. L'illustration, par exemple, peut permettre de faire des hypothèses sur le sens, mais aussi de compléter, de confirmer ou non ce que les élèves comprennent de cet extrait d'Un bleu si bleu.
En termes de production d'écrits, on pourrait imaginer d'accroître le rôle pédagogique des questions, par exemple en demandant aux élèves de spécifier quels mots du texte leur ont permis de répondre, de sorte à les amener à produire une corroboration de leur première compréhension. Le rôle de cette question serait d'amener les élèves à être en capacité d'utiliser les éléments du texte afin d'en prélever les informations dans le cadre d'un questionnaire plus précis. Cette démarche gagnerait à s'accompagner d'une narration de la suite, soit de la trame narrative, soit du dialogue entre l'enfant et le gardien du musée.
4. Pertinence du travail interdisciplinaire et prolongements possibles (doc. 1 et 2)
Le travail interdisciplinaire proposé dans le descriptif de séance tient sa pertinence de ce que la peinture, et même le lieu du musée, sont des ingrédients propices à un prolongement « en lien avec les arts visuels ». Son caractère judicieux est donc indéniable, mais là encore la démarche nécessite de nombreux ajustements.
Le texte support, extrait de l'ouvrage de littérature de jeunesse Un bleu si bleu de Jean-François Dumont, est particulièrement bien choisi : la situation qu'il présente contient des pistes favorables pour une mise en relation avec les arts visuels. En termes de prolongements éventuels, on peut alors imaginer les scénarios suivants :
  • la création d'une planche de bande dessinée avec une douzaine de vignettes (représentant alternativement le départ de l'enfant depuis « l'escalier de son immeuble » [1], son entrée dans le musée [2], l'épisode de la « dame souria[nte] » [3] suivi du désappointement de l'enfant [4], l'anecdote du « coin de ciel bleu » [5], celle du « gros bonhomme coiffé d'une couronne » [6] suivi d'un autre désappointement [7], après quoi d'autres vignettes représenteraient le dialogue entre le protagoniste et le gardien) ;
  • une recherche de différentes tonalités du bleu (par exemple azur, marine, cyan, outremer, indigo, etc.), avec des mélanges appuyés de gris et de blanc, sur un carnet dans lequel les élèves échangeraient des descriptions et des commentaires ;
  • un inventaire des représentations du bleu dans différents tableaux, tels qu'on peut en relever dans de nombreux musées (on évoquera aussi la possibilité de « périodes bleues » chez plusieurs peintres, tels que Picasso, Matisse, Van Gogh, Chagall et quelques autres).