Sujet 2023 de français, groupement académique 1
Dernier essai le - Score : /20
Sujet

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L'épreuve est notée sur 20. Une note globale égale ou inférieure à 5 est éliminatoire. Durée de l'épreuve : 3 h ; coefficient 1
L’épreuve prend appui sur un texte (extrait de roman, de nouvelle, de littérature d’idées, d’essai, etc.) d’environ 400 à 600 mots.
Elle comporte trois parties :
  • une partie consacrée à l’étude de la langue, permettant de vérifier les connaissances syntaxiques, grammaticales et orthographiques du candidat ;
  • une partie consacrée au lexique et à la compréhension lexicale ;
  • une partie consacrée à une réflexion suscitée par le texte à partir d’une question posée sur celui-ci et dont la réponse prend la forme d’un développement présentant un raisonnement rédigé et structuré.
Corrigé

Corrigé

I. Étude de la langue (6 points)
Les questions récurrentes à bien préparer pour gagner en efficacité :
\bullet la justification orthographique (accords avec rupture ou coordination, sujet inversé et participe passé) / la réécriture ;
\bullet l'analyse des pronoms : nature et fonction, voire identification du référent ;
\bullet l'analyse des formes verbales : mode, temps et emploi ;
\bullet les natures et fonctions des éléments de la phrase ;
\bullet l'analyse de la phrase complexe.
\bullet À la marge, on trouve des questions sur la ponctuation.
1. 
Dans le premier paragraphe, identifiez les temps et modes des verbes conjugués mis en caractères gras ci-dessous, et justifiez leur emploi.
Le verbe « est né » est conjugué au passé composé de l'indicatif. Il indique une action passée accomplie.
Le verbe « serait » est conjugué au conditionnel présent de l'indicatif. Il indique une action possible. La condition est implicite.
Le verbe « existait » est conjugué à l'imparfait de l'indicatif. Il indique une action passée non bornée.
Le verbe « sert » est conjugué au présent de l'indicatif. Il a une valeur de vérité générale – on peut aussi dire « omnitemporelle ».
2. 
Délimitez les propositions qui forment cette partie de phrase complexe et précisez la manière dont elles sont reliées.
\bullet Pour ce type de question, il faut citer les différentes propositions pour bien prouver que l'on sait les délimiter et bien préciser la différence entre la juxtaposition et la coordination qui relient deux propositions indépendantes et la relation de dépendance de la principale et de sa subordonnée.
Cette phrase complexe est composée de trois propositions. Les deux premières sont des propositions indépendantes coordonnées : « On avait bâti ces deux maisons, puis l'auvent, le four à pain, la bûcherie et le moulin, de part et d'autre d'une rivière » et « l'on pouvait entendre les soupirs de soulagement dans les voitures lorsque la route étroite devenait petit pont ». Cette deuxième proposition comporte une proposition principale – « l'on pouvait entendre les soupirs de soulagement dans les voitures » – et une proposition subordonnée circonstancielle de temps – « lorsque la route étroite devenait petit pont ».
Remarque :
L'identification de la nature et de la fonction de la subordonnée n'est pas un attendu.
3. 
Dans la phrase suivante, précisez la nature, la fonction et le référent des pronoms en caractères gras.
Le pronom personnel « y » est COI de la locution verbale « prenant part ». Il reprend le GN « des autres vies ».
Le pronom relatif « dont » est complément du nom du GN « les deux battants ». Il reprend le GN « la porte médiévale ».
4. Réécrivez ce passage en mettant les sujets au masculin pluriel :
Ils sentaient bon la fleur d'oranger. Ils semblaient attentifs et tranquilles. Ils avaient les joues rondes et pâles, des cheveux bruns, de grands yeux noirs. Des bébés de la région, qui lui appartenaient.
5. 
Dans la proposition suivante :
… il avait fallu rouler sur des routes minuscules et sinueuses. (ligne 11)
a) Indiquez la nature et la fonction de « minuscules » et « sinueuses ».
b) Réécrivez cette proposition en utilisant une expansion du nom d'une autre nature.
\bullet Ne pas oublier que ne peuvent être coordonnés, en principe, que des éléments qui ont la même fonction. On peut ainsi coordonner différents mots ou groupes de mots qui sont épithètes.
Les adjectifs « minuscules » et « sinueuses » sont épithètes coordonnées du nom « des routes ».
On peut remplacer ces adjectifs épithètes par une subordonnée relative épithète : Il avait fallu rouler sur des routes qui étaient minuscules et sinueuses.
II. Lexique et compréhension lexicale (4 points)
1. 
a) Analysez la formation et le sens des adjectifs « inadapté » et « inachevé » .
b) Dans le premier paragraphe, comment ces adjectifs caractérisent-ils le discours porté sur l'enfant ?
\bullet Il s'agit moins de pouvoir expliquer le processus de formation du mot que d'en délimiter les éléments significatifs : le radical et les affixes.
Le participe passé « inadapté », employé ici comme adjectif, est composé du préfixe in-, qui signifie « le contraire », du radical adapt- et du suffixe , qui marque la forme du participe passé du verbe. Il signifie « qui n'est pas adapté », c'est-à-dire « qui ne présente pas ce qu'il faut pour pouvoir s'intégrer dans son milieu ».
L'adjectif « inachevé », employé ici comme adjectif, est composé du préfixe in-, qui signifie « le contraire », du radical achev- et du suffixe , qui marque la forme du participe passé du verbe. Il signifie « qui n'est pas achevé », c'est-à-dire « qui n'a pas été mené jusqu'à son terme ».
La narratrice oppose les deux adjectifs pour qualifier l'enfant handicapé. Elle souligne qu'aucun des deux n'est satisfaisant par sa connotation péjorative. Elle glose le sens de l'adjectif « inadapté » pour préciser que si l'enfant ne peut pas occuper la même place que les autres, il n'en fait pas moins partie de la famille.
2. Dans le deuxième paragraphe, commentez l'emploi du lexique de la mer.
Dans le deuxième paragraphe, le paysage montagneux est comparé à la mer. La métaphore est filée. Elle est annoncée par les « pas chaloupés » de ceux qui descendent de voiture comme les marins descendent de bateau. Le relief montagneux – « la montagne imposait son roulis » – et la végétation qui le recouvre – « des vagues énormes, immobiles, mousseuses d'écume verte » – sont comparés à des vagues. Le relief est ainsi rapproché de la forme des vagues et les arbres de l'écume. Le vent est également comparé au « grondement d'océan ». La métaphore se termine par la comparaison entre la maison et une « île protégée des tempêtes », qui renforce le caractère isolé de l'habitation.
III. Réflexion et développement (10 points)
À la lumière du texte de Clara Dupont-Monod, de votre culture et de vos réflexions personnelles, vous vous interrogerez sur les relations que les êtres humains entretiennent avec la norme.
\bullet Le mot « norme » est polysémique, il faut l'envisager au regard du texte proposé, qui l'aborde dans le sens de conformité en ce qui concerne les caractéristiques humaines à partir d'une majorité de cas mais aussi d'étalon.
\bullet La question posée invite à catégoriser les différents comportements humains face à la norme et donc à ce qui serait considéré comme hors norme. On peut élargir le propos au comportement.
La norme est la reconnaissance de ce qui est le plus répandu ainsi que l'étalon pour juger de cette conformité à la majorité des cas. Dans S'adapter, roman autobiographique publié en 2021, Clara Dupont-Monod évoque l'arrivée d'un enfant handicapé dans une famille. Elle pose la question de la perception, qui dépend du prisme de ce qui est considéré comme normal chez un nourrisson. Nous verrons comment la narratrice montre que la norme en tant qu'étalon est tangible aussi bien dans la langue que dans la façon de percevoir la différence. Il s'agira ensuite de s'interroger sur le sentiment ambivalent suscité par les personnes hors norme, entre répulsion et fascination. Enfin, nous verrons que les normes sociétales sont tout aussi discriminantes quand elles se figent.
Dans le roman S'adapter, l'arrivée d'un enfant handicapé dans une famille est l'élément déclencheur de l'histoire. La narratrice décrit par allusion le handicap de l'enfant, dont le corps est « mou » et le « regard mobile et vide ». Elle insiste plutôt sur la difficulté à définir cette caractéristique de l'enfant. Elle tait le terme institutionnel de « handicapé » et propose des mots moins spécifiques dont elle souligne cependant la connotation tout aussi négative. Elle exclut ainsi les mots « abîmé » et « inachevé », qu'elle juge « déplacé[s] » car ils impliqueraient l'exclusion. Le comparant « un objet hors d'usage, bon pour la casse » montre également la portée déshumanisante de ces termes qui sous-entendent que les individus ne présentant pas toutes les fonctionnalités humaines ne font pas partie de l'humanité. Elle choisit donc le mot « inadapté », même si elle concède que « sa laideur [est] un peu dégradante », parce qu'il définit le mieux la place de l'enfant par rapport aux autres : il est « hors du cadre fonctionnel » attendu, tout en étant vivant, tout en faisant partie de la famille, en y occupant une place particulière, comme le met en relief la comparaison avec « l'ombre au coin d'un tableau, à la fois intruse et pourtant volonté du peintre ». Le terme « inadapté » fait écho au titre et annonce le travail de la famille, qui va devoir s'adapter pour accueillir cet enfant qui reste « au bord des autres vies, pas complètement intégré à elles mais y prenant part malgré tout ».
La narratrice raconte ensuite comment la perception du nourrisson a été biaisée par la norme, par les attendus de conformité de la famille : « Au départ, la famille ne discerna pas le problème. » Elle l'explique par les traits réguliers de l'enfant, qui est considéré comme « très beau ». Tous ceux qui viennent célébrer cette naissance interprètent leur perception de l'enfant en fonction des attendus valorisants que l'on veut attribuer à un nourrisson. Il est ainsi qualifié de « si sage », l'adverbe intensif « si » soulignant la perception erronée : il est sage parce qu'il ne peut pas bouger. Le verbe « semblait » modalise que ce qui est perçu comme des qualités – « attentif et tranquille » – cache la raison de cette absence de mouvement. Enfin, la narratrice montre que l'acceptation de l'enfant passe par sa conformité à des critères physiques identitaires : « un bébé de la région, qui lui appartenait » grâce à la couleur de ses yeux – « ici, les bébés avaient les yeux noirs ». La juxtaposition des attributs du sujet « accepté » et « semblable aux autres » contient un lien implicite de cause : c'est parce qu'il présente ces traits extérieurs attendus qu'il est accepté. La conclusion de cette première acceptation, « tout était dans l'ordre », souligne que la famille et les invités, en cherchant à s'assurer de la conformité du nourrisson, ne voient pas ce qui marque sa différence. Cependant, on peut également y voir une démonstration que les caractéristiques distinctives de l'enfant ne masquent pas celles qui sont conformes à la norme. De même, la description métaphorique de la maison insiste sur le poids de la norme dans les petites communautés mais annonce aussi qu'elle sera un lieu protégé pour que la famille puisse s'adapter hors du regard extérieur, construire sa propre norme pour vivre avec l'enfant.
Quand la rencontre avec l'Autre est physique, il est difficile pour l'être humain de ne pas le percevoir à travers le prisme de normes corporelles, jugées naturelles. Tout écart est interprété comme anormal et hiérarchisé. Ceux qui se rapprochent des canons de beauté, qui ne sont pas normaux mais idéaux, ou au contraire ceux qui présentent des caractéristiques jugées en deçà de la normalité suscitent des réactions plus fortes que ceux ayant une apparence qui ressemble à la majorité. La beauté déclenche l'admiration, tandis que ce qui est considéré comme difforme ou dysfonctionnel peut entraîner une réaction paradoxale entre fascination et répulsion. L'exhibition des « phénomènes de foire » est emblématique de ce rapport des êtres humains avec ce qui est hors norme. C'est le sujet du film Elephant Man de David Lynch. Le personnage principal, qui présente des difformités au niveau du visage, est exhibé et maltraité par un homme sans scrupules jouant sur la fascination ambiguë du public. Hors du cadre de l'exhibition, le personnage finit cependant par être assailli par la foule, qui passe d'une curiosité malsaine à un véritable rejet. Si la morale du conte La Belle et la Bête de Madame Leprince de Beaumont affirme que les valeurs morales d'un individu sont plus importantes que son physique, il n'en demeure pas moins que la transformation en bête est une punition et, à l'inverse, que la transformation finale en prince charmant est une récompense. La conformité à l'étalon physique reste donc valorisée. Pour les personnages qui conservent leur difformité tels que Quasimodo ou Cyrano de Bergerac, la valorisation de leurs qualités morales semble impliquer la nécessité de cette compensation à leur physique jugé ingrat. En revanche, dans son roman Manger l'autre, qui donne la parole à une jeune narratrice obèse, harcelée par ses pairs à l'école et qui finit par demeurer cloîtrée chez elle, Ananda Devi dénonce cette grossophobie mais ne fait pas pour autant de la narratrice un personnage exemplaire. Elle se démarque ainsi des représentations stéréotypées des personnages hors norme qui n'attirent que la compassion.
Dans le cadre des relations sociales, la norme assure une certaine cohésion. C'est le partage de normes qui permet à chaque individu de décoder les intentions et les actions des autres et de s'adapter dans les espaces partagés. Cependant, ces normes peuvent se transformer en stéréotypes qui ne sont pas remis en question ni mis en perspective face à d'autres normes, ce qui les empêche d'évoluer. Dans son essai « Des cannibales », Montaigne montre bien que l'être humain, occidental en l'occurrence, a tendance à croire que ses normes sont universelles. Il démontre ainsi que ce qui est jugé comme barbare et sauvage, c'est-à-dire anormal par les Occidentaux, chez les peuples qu'ils rencontrent, ne l'est qu'à l'aune de leurs propres critères, dont il remet en question la portée universelle puisque leur attitude n'est pas parfaite. Montaigne choisit le sujet polémique du cannibalisme pour montrer que les rites qui l'entourent ne sont pas plus cruels que la torture commise par les colons. De la controverse de Valladolid aux travaux de Frantz Fanon et de Lévi-Strauss, l'ethnocentrisme est dénoncé comme un biais cognitif qui aveugle sur la relativité des normes posées par la société à laquelle on appartient. De nombreux artistes ont également tenté de dessiller leurs contemporains, comme le fait Montesquieu dans ses Lettres persanes, en décrivant le royaume français à travers les yeux de Persans qui s'étonnent de certaines mours françaises. Dans son discours « Le sens de l'histoire », Chimamanda Ngozi Adichie démontre bien comment se construisent et sont véhiculés ces stéréotypes par l'esprit humain. Elle livre des anecdotes pour montrer que cette tendance est partagée par tous les humains, quelle que soit leur origine. Elle explique, par exemple, comment elle-même ne concevait pas que les pauvres puissent avoir une activité dans laquelle ils excellaient. De même, l'accueil de sa colocataire étasunienne révèle sa représentation très stéréotypée de l'Afrique due à une méconnaissance et à l'histoire qui est racontée de l'Afrique en Occident.
Si la norme est intrinsèque à l'être humain qui vit en société, elle peut vite devenir discriminante dès qu'elle concerne le physique ou le comportement. Comme le sous-entend Clara Dupont-Monod dans son roman, si l'on ne peut faire abstraction de la différence, voire de la difficulté en ce qui concerne un corps qui n'est pas adapté au fonctionnement d'une famille et de la société, il s'agit de percevoir aussi ce qui peut être partagé. Ce sujet est particulièrement important à l'école, qui se doit d'accueillir tous les élèves, pas seulement pour leur faire une place, mais pour les inclure, c'est-à-dire leur donner un véritable statut d'élève, une chance d'entrer dans les apprentissages. Il s'agit bien de s'adapter à la différence et non seulement de l'accepter.