Brève histoire du travail social
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L'ambition n'est pas ici d'écrire l'histoire du travail social – une simple rubrique ne pourrait pas contenir son récit intégral – mais de présenter les grands jalons historiques et juridiques qui illustrent sa construction.
Si nous devions retenir une acception du terme « travail social » nous retiendrions celle défendue par la revue Esprit, parue en 1972, intitulée Pourquoi le travail social ? : « Par travail social nous entendons d'abord toute action organisée qui vise à réduire une inadaptation quelconque ou qui est préventive de l'inadaptation d'un individu ou d'un groupe. »
La nécessité de l'Histoire
Le travail social est loin d'être une construction récente. La configuration du travail social, telle que nous la connaissons aujourd'hui, résulte d'une longue évolution à travers les âges.
Les civilisations antiques reposaient sur des conceptions religieuses ou altruistes pour construire le socle des solidarités. Lorsqu'une société se construit, se fédère, elle organise de facto une administration charitable et solidaire. Il s'agit d'une déclinaison pragmatique et concrète d'une volonté de vivre ensemble et de protéger les plus vulnérables.
L'Antiquité
Les premières « traces » de solidarité sont anciennes. Ainsi les différents travaux des historiens nous démontrent les réalisations des Égyptiens pour favoriser l'émergence de l'entraide.
En Asie, avant même l'émergence du christianisme, l'apparition du bouddhisme (ve siècle av. J.-C.) et celle du confucianisme (500 av. J.-C.) propagent la pensée de l'amour du prochain. Ces pensées philosophiques trouveront, grâce aux échanges commerciaux, un rayonnement planétaire (ou universel).
Dans la Grèce antique, les esclaves affranchis conduisent les autorités à prendre en compte une nouvelle population qui dépasse l'ordre jusqu'alors établi en deux catégories : le maître ou l'esclave.
L'aide d'État devient un outil de contrôle, le but étant surtout de ne pas se faire déborder par un paupérisme croissant.
Apparaissent alors les premiers hôpitaux, les lieux d'asiles pour les enfants abandonnés, pour les adultes sans ressources. On assiste à l'apparition d'une société de secours mutuel.
Nous retrouvons ce souci de répandre des idées généreuses à Rome. Cette mutualisation des ressources prend son essor avec les chrétiens de Rome qui, malgré les persécutions et contraints par le simple fait d'être exclus des circuits de distribution officiels, organisent des œuvres d'entraide. La coopération Église/État s'établira en 312.
Le judaïsme, quant à lui, parce qu'il regroupe le « peuple élu », fixe l'assistance comme une obligation morale et un devoir social. On ne se préoccupe pas seulement de soigner mais de prévenir. La solidarité s'organise.
Avec l'avènement du Christ, l'amour devient la base de l'Église chrétienne primitive. L'aide, l'entraide, la bienfaisance sont érigées en principe. Le fondement principal demeure : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » et « Tu ne feras pas à autrui ce que tu ne veux pas que l'on te fasse. »
La mise en place du diaconat (du grec diakones, « serviteur ») instaure les soins et les visites aux malades, la surveillance et l'assistance aux orphelins, l'assistance aux indigents, l'asile pour les voyageurs, l'assistance aux prisonniers.
Les temps anciens
Saint Martin illustre parfaitement l'émergence du christianisme en Europe et dans une Gaule encore barbare.
En France, le baptême de Clovis par saint Rémi, à Reims, renforce le pouvoir de l'Église.
L'action charitable de l'Église s'étendra durant les viie et viiie siècle avec l'apparition de léproseries, d'hospices pour les vieillards, la création de l'hôtel-Dieu etc. Ces sites sont financés dans un premier temps par la dîme, un impôt clérical, puis par l'impôt royal, sous l'ère de Charlemagne.
Les Temps Modernes (du xve au xviiie siècle)
Progressivement, la pensée devient plus critique. La société prend conscience d'elle-même, se façonne, se construit.
La charité s'administre et s'imbrique davantage dans une sphère économique plus forte. Les premières richesses de l'Amérique déferlent sur l'Espagne et l'Europe. Des chantiers publics voient le jour (la manufacture des Gobelins, par exemple). La charité se colore d'une fonction de contrôle, plus répressive.
La Révolution
La période de la Révolution est une période marquée par des troubles et des contradictions où la France cherche son régime : la Monarchie, la Constitution, la Convention, le Directoire, l'Empire. Mais, c'est certainement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui donne les premières impulsions pour instaurer l'égalité et la fraternité pour tous les sujets de la Nation.
L'assistance publique à Paris et en France s'élabore. Il s'agit de l'assistance aux malades, aux vieillards (1794), d'imposer un bureau d'assistance dans chaque commune (ancêtre de l'actuel centre communal d'action social, CCAS) à destination des indigents, des malades, des vieillards, des filles mères, des familles nombreuses. Le comité de mendicité est chargé, quant à lui, de lutter contre la mendicité. Les enfants abandonnés sont pris en charge par la Nation, placés en hospices, instruits et mis en apprentissage.
Apparaîtront aussi, à cette période, les services de soin à domicile.
Le personnel religieux est progressivement remplacé par du personnel civil.
L'époque contemporaine
Le xixe siècle est marqué par la grande révolution industrielle et le début de l'exode rural. Le service social n'existe toujours pas. Toutefois, l'assistance privée et laïque naît dans un contexte où l'on tente de respecter l'individualité de chacun.
Daniel Legrand, protestant, dirigeant d'une grande entreprise industrielle en Alsace compose ce qui pourrait s'apparenter à la genèse des allocations familiales.
En 1830, l'aide à domicile apparaît grâce aux « petites sœurs des pauvres ».
En cette ère industrielle, le travail des enfants n'est pas rare. Les premières interdictions interviennent en 1870 et touchent notamment les mines d'extraction du charbon.
En 1882, Jules Ferry institue l'obligation scolaire.
En cette fin du xixe siècle, le mot social fait son apparition.
Au début du xxe siècle, alors que le taux de mortalité infantile reste élevé, que la tuberculose et les maladies vénériennes font des ravages, on assiste à la création des premiers dispensaires.
Léon Bourgeois, président du Conseil, publie un petit livre intitulé Solidarité, soutenu par André Gide et Émile Durkheim.
En 1900, lors de l'Exposition universelle de Paris, la solidarité devient la doctrine affichée de la République.
Les premiers centres sociaux voient le jour, notamment dans les cités ouvrières de Levallois-Perret et Saint-Denis. Leur raison d'être est avant tout prophylactique, et leur but est de préserver la santé des individus et de parvenir à circonscrire d'éventuelles épidémies.
Jusqu'alors, aucun diplôme n'est exigé pour exercer dans ce type de centre. Certes, on assiste à l'ébauche d'une formation d'infirmières visiteuses, précurseur de la formation d'assistant de service social, mais nous la retrouvons tout juste à l'état embryonnaire.
Les plus anciennes écoles en travail social sont créées en 1911 et 1912.
Les périodes d'après-guerre renforcent le rôle du travail social. Il s'agit de réparer rapidement les effets des deux conflits dévastateurs. Les services sociaux conservent un rôle de premier plan pour répondre aux besoins individuels et familiaux d'une population française meurtrie et fragilisée.
Dès 1918, le service social à l'hôpital est créé, suivra rapidement le service social des collectivités d'État tel que la SNCF et la préfecture de Police (1919 et 1929).
Des textes fondamentaux concernant la protection maternelle et infantile, la lutte antituberculeuse, la lutte antivénérienne sont votés entre 1945 et 1948.
Les premiers effets d'une politique familiale et solidaire de lutte contre les fléaux sociaux se font ressentir et une remontée spectaculaire des naissances est ainsi amorcée.
Ces périodes d'après-guerre profiteront aussi aux organisations syndicales.
La loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ouvre la voie à un profond bouleversement de la répartition des pouvoirs au profit des acteurs locaux. La décentralisation conférera les compétences de l'action sanitaire et sociale aux départements. Les communes y apporteront une action complémentaire.
Conclusion
Le travail social, à travers l'histoire, n'a jamais cessé d'évoluer et de se développer. Il est devenu, aujourd'hui, un vecteur incontournable de la pensée économique et des orientations politiques. Son champ d'action s'est étendu, ses pratiques se sont adaptées aux nécessités des préoccupations des générations antérieures. Son caractère professionnel s'est affirmé.
De nombreux défis se présentent aux « fantassins du social » (Pierre Bourdieu). La crise de l'emploi, les évolutions rapides des modèles familiaux, l'évolution démographique et sociologique, la disparition de l'État providence obligent les acteurs de l'intervention sociale à trouver de nouvelles réponses et à inventer de nouvelles pratiques, afin d'asseoir durablement leur légitimité. Quand bien même, certains observateurs ont pu annoncer (ou annoncent) la mort programmée du travail social, sa nécessité républicaine demeure incontestable.