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La question du lieu de la rencontre est essentielle. Qu'elle soit ordonnée (protection de l'enfance), mandatée (prévention de la délinquance) ou sollicitée par la personne, l'intervention sociale repose sur la recherche de la participation pleine et entière de la personne. Cet effort assure la possibilité de voir se transformer un jour une conduite d'évitement en compétence à modifier sa situation. Faire participer l'usager, en l'associant aux stratégies à développer, renforce les chances de voir s'installer une co-responsabilisation et par ricochet d'éviter la répétition des échecs.
La rencontre peut se passer sur le lieu institutionnel (permanence, rendez-vous au bureau du travailleur social, etc.). Cette rencontre n'a alors pas le caractère de l'intimité que peut avoir la visite à domicile, ni le sentiment d'intrusion dans la sphère privée – et les dangers consécutifs – que celle-ci peut parfois revêtir.
L'essentiel de l'intervention sociale se déroule pourtant souvent à domicile. Et lorsque le contexte de l'intervention est celui d'un établissement spécialisé, les acteurs tentent justement de préserver, au maximum, l'intimité du lieu, dans le respect et la dignité de la personne.
La maison ou la chambre de la personne est un « secret »… un secret mais surtout une certitude, celle que le secret sera bien gardé. Avec le logement ou le lieu de vie en établissement, on touche aux frontières de l'intime, d'où l'importance de savoir où l'on met les pieds et d'éviter les maladresses. De la dualité (l'individu et le lieu), on passe à la triangulation (présence potentielle de l'autre). On accède ici à la dimension du privé.
Selon l'article du Code Civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. La législation insiste très clairement sur deux notions : respect et protection de la vie privée et de l'intimité. Il est fait référence ici aux principes déontologiques du secret professionnel et du devoir de discrétion. Respecter, cela signifie demeurer, autant que faire se peut, hors des limites de cet espace intime, s'interdire d'y pénétrer même si l'on y est invité, dès lors qu'il n'y a pas de justification liée à l'intervention.
• Lorsque la société nous mandate pour protéger les plus faibles d'entre nous, le lieu intime nécessite un mode d'emploi. Car si l'on n'y prend garde, il peut devenir le lieu de tous les paradoxes et le « refuge » se transforme alors en piège. Le lieu de sacralisation, le lieu de l'institution « famille » cache aussi ses faces d'ombre : plus que les accidents de la route ou même les suicides, le domicile tue, la maison tue. La première cause de mortalité chez les enfants âgés de moins de cinq ans sont les accidents domestiques (appelés aussi les accidents de la sphère privée). Le domicile, c'est aussi le lieu où se cachent les actes de maltraitance : la violence conjugale, la maltraitance sur les enfants, mais aussi sur les personnes âgées (deux situations de maltraitance sur trois se déroulent à l'intérieur du milieu familial).
Le domicile, c'est un lieu en trois dimensions, où s'entrecroisent l'intime, le privé et le public.
Art. 223-6 du Code pénal
«  Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne, s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »

Art. 222-19 du Code pénal
«  Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.  En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende.  »

• Le travail à domicile est une confrontation avec l'intimité des familles. Leur lieu de vie dévoile leurs manières de vivre, la gestion des biens ; plus encore, il révèle la dynamique des relations interpersonnelles et le choix des réseaux de sociabilité. La vigilance des professionnels demeure constamment en éveil afin de nourrir un questionnement permanent sur leurs pratiques et leurs attitudes. Un acte identique auprès de deux foyers différents peut apparaître anodin ou être vécu comme une ingérence intolérable. La vigilance du travailleur social est d'autant plus nécessaire que de l'intimité peut émerger l'imprévisible.
• Alors comment accueillir cet intime, quelles limites le travailleur social doit-il fixer ? jusqu'où peut-il aller dans son écoute ? que doit-il faire de ce que l'autre lui dit ? Que doit-il faire de ce qu'il a vu, entendu, compris, surpris, déduit, deviné ? que doit-il dénoncer ou bien taire ? On comprend bien à travers ces questions la nécessité, pour les « professionnels du domicile », de vivre des temps de régulation en équipe. Un professionnel de l'intervention sociale, seul, est un professionnel en danger. D'où l'impérative construction d'un réseau avec des partenaires compétents. Le travail en équipe, c'est aussi bénéficier de la compétence des anciens.
Pas de travail social sans intérêt porté à l'autre, sans la pensée du souci de l'autre. L'empathie, terme que son créateur, Carl Rogers, aimait définir par l'idée d'embrasser l'esprit de l'autre, renforce pour celui qui l'éprouve le respect de la personne dans son entité globale ; respect de l'autre, respect de son rythme, respect de son évolution.
La finalité du travail social est l'aide à toute personne, fondée sur le respect et le souci de la dignité humaine. Le métier des travailleurs sociaux – dont les axes forts sont avant tout l'intérêt de la personne, le respect de son autonomie, la non-discrimination – nécessite un engagement qui ne tolère pas les demi-mesures.