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Sujet

Sujet

Thématique
L'épanouissement de la personne au sein de la famille.
Consignes
Le dossier proposé est composé de deux documents :
Document 1
« La névrose de classe », de Vincent de Gaulejac Hommes & Groupes éditeurs, Paris, 1987.
Document 2
« L'exogamie libanaise » (thèse), de Gisèle Boughaba, Lyon 2, 2007.
Questions
I. Compréhension de textes (8 points)
1.1 
Dans le document 1, expliquez : « Il ne peut que se sentir coupable de répondre par la colère à l'amour ainsi prodigué ». (2 points)
1.2 
Dans le document 2, « La continuité entre les générations se nourrit de la solidarité entre les membres d'une même famille. ». (2 points)
1.3 
En vous appuyant sur l'approche des auteurs, en un paragraphe de 5/6 lignes, expliquez la notion d' « antagonisme » au sein de la famille. (4 points)
II. Dissertation (12 points)
La famille est-elle le lieu de l'épanouissement personnel ?
Il est demandé au candidat de composer un devoir construit présentant :
  • une introduction en bonne et due forme (accroche, sujet, problématique, plan),
  • un développement composé de plusieurs parties argumentées, illustrées, et si possible référencées, une conclusion qui montre en quoi les étapes de la réflexion permettent de formuler une réponse claire au sujet.
Pour cette épreuve, il sera tenu compte de la présentation, de l'orthographe et de la syntaxe (de 0 à -5 points). En estimant qu'on peut attendre des candidats une maîtrise correcte de l'écrit, le correcteur pourra pénaliser (max. 5 points) les travaux non satisfaisants.
Textes
Document 1
Un exemple de névrose de classe.
François est un ingénieur rencontré au moment où il prépare un doctorat de 3e cycle d'économie. Étudiant brillant mais réservé, à la limite de l'inhibition, il donne l'apparence d'un jeune cadre (28 ans) « bien sous tous rapports ». Pourtant ses façons d'être et ses interventions expriment une violence contenue et une révolte profonde. Il raconte sa vie à partir d'un dessin sur le thème « l'histoire de ma vie ».
François est fils d'ouvrier, militant actif au Parti Communiste et à la C.G.T. pendant 40 ans. D'un côté, son père lui inculque « la haine des financiers et des bourgeois incapables », et de l'autre « l'admiration pour les gens intelligents qui arrivent au pouvoir », en particulier ceux qui ont fait Polytechnique. Il souhaite que son fils réussisse par les études pour montrer son intelligence et arriver au pouvoir, et en même temps il combat les bourgeois qui occupent ce pouvoir. François vit ce double message comme une contradiction irréductible […]. Cela ne l'empêche pas pour autant de réussir ses examens et de préparer l'entrée à Polytechnique où il échoue. Simultanément il entre au Parti Communiste.
Comme il le dit lui-même, il va « entrer à Polytechnique par beau-père interposé ». En effet, il épouse Isabelle, jeune fille de la grande bourgeoisie (appartement de 16 pièces dans le 7e arrondissement, maison de campagne, situation importante du beaupère qui est polytechnicien, etc.). Non seulement les parents de François sont flattés par ce mariage, mais ils souhaitent que leur petit-fils (enfant d'Isabelle et de François) soit élevé par la belle-famille afin de lui donner une « bonne éducation ».
François ressent très douloureusement cette position parentale. Ne pouvant proposer à sa femme « de vivre dans une cité H.L.M. », il accepte et subit sans rien dire, mais en le vivant mal, « l'engrenage de l'appartement à Paris, des week-ends à la campagne, des vacances dans la belle-famille ». Il reproche à son père d'avoir accepté et favorisé cette situation, non seulement parce qu'il ne s'y oppose pas, mais parce qu'il l'en félicite : « Bravo mon fils, tu as réussi » dit-il à son fils, sans voir la contradiction dans laquelle celui-ci se trouve enfermé. À partir de ces quelques éléments, on voit se dégager un scénario socio-psychologique qui concourt à produire une situation de type névrotique.
Au départ, une famille ouvrière investit dans le désir de changer l'ordre par la lutte des classes, tout en souhaitant pour ses enfants une autre place dans cet ordre. Pour réaliser les aspirations paternelles, François doit préparer Polytechnique pour démontrer que les ouvriers sont aussi intelligents que les bourgeois, mais en ce faisant, devenir lui-même un bourgeois et passer du côté de ceux qui sont responsables de « la vie de chien » qu'ont mené ses parents. Pour satisfaire le désir parental, donc être aimé, il doit devenir ce que ses parents lui ont appris à détester. […].
C'est le même cheminement qui le conduira, après avoir échoué à l'examen d'entrée à Polytechnique, à épouser la fille d'un polytechnicien qui appartient à la grande bourgeoisie et à entrer au Parti Communiste. Il réalise ainsi la double injonction de réussir Polytechnique, même si c'est « par beau-père interposé », c'est à dire devenir un bourgeois, tout en manifestant sa solidarité avec sa classe d'origine, et donc avec son père, en devenant à son tour militant au Parti Communiste. Le point essentiel qui « verrouille » en quelque sorte le réseau de contradictions dans lequel François va se trouver enfermé est alors le discours paternel : « Bravo mon fils, tu as réussi ». Félicitations qui ne s'adressent pas au militant communiste, mais à l'enfant qui a changé de classe sociale. […]
À partir de ce moment, François se vit comme impuissant, dépossédé d'une partie de lui-même, incapable de réagir ; il ne peut demander à sa femme de vivre en cité H.L.M., alors il accepte de vivre dans l'appartement offert par sa belle-famille. Il se laisse prendre par les compromissions de la vie bourgeoise que pourtant il déteste. Il entérine le retrait de ses parents dans l'éducation de son fils et accepte que celui-ci soit ainsi « aidé » et bénéficie des « facilités bourgeoises » que lui n'a pas eues. […].
Cet antagonisme conduit les parents ouvriers à souhaiter pour leur classe un renversement de l'ordre établi et pour leurs enfants une promotion, afin qu'ils passent de « l'autre côté ». Leurs enfants sont tiraillés entre cette aspiration collective de leur classe d'appartenance et l'aspiration individuelle de réussite sociale : la réussite individuelle les confrontant à une rupture de solidarité par rapport à leurs origines sociales. […] Cette distance sociale entraîne une distance affective. Les parents ont le sentiment d'être en face d'un étranger qu'ils ne comprennent plus ; les enfants se sentent à la fois redevables des efforts que leurs parents ont accomplis pour assurer leur réussite et en même temps ne savent pas comment en partager les fruits. Situation propice aux malentendus, à l'humiliation et à la culpabilité, qui rend difficile la communication et favorise l'éloignement affectif. Pour François, le fait que son père accepte et favorise cet éloignement est à la fois une preuve d'amour, puisque c'est la condition pour permettre sa réussite, et une trahison des idéaux et des valeurs dont il porteur. L'amour recouvrant la trahison, François ne peut reprocher celle-là sans reconnaître celui-ci. Il ne peut que se sentir coupable de répondre par la colère à l'amour ainsi prodigué. Se réfugiant dans le silence, il entérine la distance avec sa famille d'origine.
Vincent de Gaulejac
La névrose de classe, Hommes & Groupes Editeurs, Paris, 1987.
Document 2
Famille lieu de sécurité.
Nucléaire, élargie ou autre, la famille est le foyer de transmission de la vie, le lieu de l'éducation et de la réalisation de la personne. Dans le mode de vie qu'on appelle familial, les personnes s'épanouissent dans la relation je-tu, dans l'expérience de la rencontre d'autrui. C'est bien dans la rencontre entre un je et un autre qui donne naissance au nous familial.
La famille est un lieu privilégié de l'affectivité. Le couple, et secondairement les enfants, y investiraient tous les sentiments qui ne peuvent s'exprimer dans la société. La famille apparaît comme un refuge surtout pour ceux qui sont sensibles au changement. Tout ce qui s'échange dans la famille, toutes les transactions qui s'y opèrent sont le support de relations affectives intenses et ne prennent sens que par rapport à elles. L'interdépendance affective est l'un des fondements de la continuité familiale.
C'est par la famille que s'effectuent la transmission biologique et le principal de la transmission sociale et culturelle. Si les institutions — principalement scolaires — et les médias distribuent l'essentiel du savoir et de l'information, c'est la famille qui peut le mieux contribuer à la formation de la personnalité. Elle est capable d'éduquer et de former au bon sens. Elle peut quotidiennement montrer les voies qui conduisent au jugement, à la volonté, aux qualités de caractère et de cœur. Elle est encore en mesure d'apprendre à l'enfant à respecter les règles quotidiennes du comportement.
[…].
La famille est d'abord le lieu privilégié de la socialisation et de l'accession à la culture. C'est d'abord là que se transmettent les valeurs et le sentiment d'appartenance à un peuple. C'est là que l'être humain apprend à s'interroger sur le sens de la vie et qu'il puise la stabilité nécessaire à sa maturation et au développement de son intériorité. Telle est l'expérience familiale : se sentir un avec un ensemble, c'est d'abord faire partie d'une famille. […]
Dans les sociétés […], les familles et les jeunes parents en particulier, semblent considérer comme particulièrement nécessaire d'avoir un point fixe auquel se référer et au besoin se raccrocher. Le premier argument invoqué est la valeur de l'affection échangée entre membres de la même famille. On plaint ceux qui, pour des raisons diverses, ne peuvent connaître les joies des retrouvailles familiales. Ne plus se voir, c'est comme si toute la famille meurt d'un coup. On est bien ensemble, la famille, c'est magnifique.
Ne pas avoir de relations familiales, c'est donc être anormal au sens propre du terme. Les conflits ne sont pas gommés pour autant, nous les soulignons, mais ils sont « l'anormal », ce qui ne devrait pas durer. Quant aux disputes qui peuvent survenir au fil des relations, elles sont assumées comme des crises que l'on espère passagères, ne serait-ce que parce qu'on a besoin les uns des autres.
Les « liens du sang », l'affirmation que les enfants sont « la chair » des parents, reviennent presque comme des slogans ; on parle de la continuité d'une histoire commune au fil des générations. […].
La continuité entre les générations se nourrit de la solidarité entre les membres d'une même famille. Il y a une sorte de flux permanent qui circule à travers « la lignée » (et les collatéraux) et qui assure aux individus le lien avec leurs racines. Mais ce flux n'est pas à sens unique : bien plus, il inverse normalement son cours quand les enfants deviennent à leur tour responsables de leurs parents vieillissants. La notion de solidarité débouche forcément sur celle du devoir de reconnaissance. Les parents nous ont élevés, ils nous ont donné une situation.
Cette conviction que les parents se sont sacrifiés, ont travaillé dur pour élever leurs enfants, induit la conséquence que les parents méritent les témoignages d'affection et de respect. […]
Cependant, dans une telle société, on peut se demander où est la place l'individu ? Malgré ce grand soutien affectif, moral… est-ce que l'individu se sent libre, autonome, responsable de lui-même ?
Gisèle Boughaba
L'exogamie libanaise (thèse), Lyon 2, 2007.
Corrigé

Corrigé

I. Compréhension de textes (8 points)
Document 1
1.1 
François est bien conscient de l'amour que lui portent ses parents. Mais cet amour, et les injonctions de réussite sociale qui vont avec obligent François à renier les idéaux familiaux. Dans un certain sens, ses parents l'obligent à les rejeter. Résultant de ces deux injonctions contradictoires — quitte ta classe sociale, mais reste fidèle aux idéaux familiaux — se traduisent par une colère envers ses parents car la situation est intenable. Or il aime ses parents et se sent donc coupable de les haïr.
1.2 
L'auteur insiste sur un lien de causalité entre deux phénomènes : la solidarité inter générationnelle et l'appartenance à une lignée familiale. Le fait que les parents prennent soin de leurs enfants, et le temps venu la réciproque, tout ceci engendre le sentiment d'appartenance à la structure familiale. Les liens de co-dépendance créent la famille, bien au-delà de la simple descendance biologique.
1.3 
À propos de l' « antagonisme » au sein de la famille, les deux auteurs se répondent par texte interposés. Gisèle Boughaba, après avoir affirmé la force des liens familiaux s'interroge dans la fin de son texte sur l'émancipation de l'individu. Vincent de Gaulejac tente une réponse, en s'appuyant sur une histoire de vie, celle de François. Il souligne la difficulté à exister, c'est à dire étymologiquement à sortir, à être dehors, indépendamment de sa famille. De multiples liens le retiennent psychologiquement à sa famille. Il illustre l'idée que se construire avec sa famille, se construire contre sa famille, c'est toujours se construire en fonction de sa famille.
II. Dissertation (12 points)
Il est demandé au candidat de composer un devoir construit présentant :
  • Une introduction en bonne et due forme (accroche, sujet, problématique, plan).
  • Un développement composé de plusieurs parties argumentées, illustrées, et si possible référencées.
  • Une conclusion qui montre en quoi les étapes de la réflexion permettent de formuler une réponse claire au sujet.
On attend du candidat qu'il ne « tombe » pas dans des énumérations stériles d'illustrations, mais qu'il pose des pistes et/ou des étapes de réflexion.
À titre de « pistes » de réflexion, on peut avancer des tensions ou des problématiques suivantes :
Derrière des données biologiques apparentes, la famille est une construction sociale (héritage d'un nom, d'un capital culturel, spirituel, financier), et donc construite (mariages, adoption).
Cette construction sociale obéit à des règles écrites (législation, code de la famille), et des coutumes (traditions, histoires familiales, secrets de famille, rites de passages).
Sans trop d'effort, on peut poser des liens privilégiés d'affections et de tensions entre les membres de la famille.
La famille symbolise, qui plus est dans les périodes de fête, le lieu par excellence de l'affection et de l'amour. Mais elle porte en elle le poison des violences familiales, surtout envers les enfants, qui minent la vie des individus.
La famille est un lieu particulier, en parallèle de l'école, de socialisation et de formation des enfants en vue de les amener à l'âge adulte.
Il y a une tension dans la contradiction entre l'attention à la formation des enfants et l'émancipation de ceux-ci.
La famille en elle-même est un lieu traditionnel, psychologique et mythologique (en Occident) de tensions (la lutte fratricide entre Caïn et Abel, la lutte entre Chronos et son père, la lutte entre Œdipe et son père, entre César et Brutus, etc.).
L'émancipation familiale est une libération par rapport à un carcan financier, culturel, moral et affectif qui est prodigué par la famille. Mais cette émancipation peut se faire dans un jeu de tensions entre l'individu et sa famille.
Mais se dégager de sa famille, ce n'est pas la renier. Car nous portons en nous un héritage biologique, culturel, spirituel. Car prendre le risque de renier sa famille, c'est prendre le risque de se renier soi-même. Ce qui peut causer des troubles psychologiques (cf. De Gaulejac, La névrose de classe).
Il faut donc composer avec cet héritage, en mêlant aspirations personnelles et héritage familial. C'est l'idée d'une construction intime et complexe illustrée dans l'expression d' « avoir des racines et des ailes ».
Le développement des individus dans la famille s'est modifié au cours du temps. On est passé d'une époque dans laquelle les familles élevaient des enfants pour en faire des adultes. Aujourd'hui, le paradigme a changé dans la mesure où les familles produisent des adolescents qui se construisent eux-mêmes.
L'apparition du monde de l'adolescence en Occident (au cours du xviiie siècle) a modifié la forme et les fonctions familiales. On s'en aperçoit dans l'apparition et les modifications des rites de passages auxquels se soumettent, ou non, les individus.