« Quand vous êtes SDF, le téléphone c'est votre dernière adresse »
ENTRETIEN. Jean Deydier est depuis février dernier directeur d'Emmaüs Connect, une nouvelle ramure de la célèbre association, vouée à réduire la fracture numérique. En facilitant l'accès au téléphone portable et à internet aux personnes en difficultés, l'association espère les accompagner au mieux dans leur réinsertion sociale.
Pourquoi avoir créé Emmaüs Connect ?
Jean Deydier : Emmaüs travaille depuis longtemps pour la réinsertion professionnelle par le travail, notamment grâce à Emmaüs Défi, qui, depuis six ans, propose des contrats de travail de quelques heures à des personnes en grande précarité. Au fil des ans nous nous sommes rendu compte que quasi tous les bénéficiaires avaient un téléphone portable. Mais investir dans de tels outils représente pour eux une part très importante de leur budget. Il fallait donc trouver des solutions pour abaisser les coûts.
Car, quand vous êtes SDF le téléphone c'est votre dernière adresse. Le dernier contact que vous avez avec votre famille mais aussi le meilleur moyen de se réinsérer et de retrouver du travail. Aujourd'hui même les services publics sont sur internet, donc sans outils on est exclu. De même tous les abonnements téléphoniques dit « low-cost » sont uniquement accessibles sur la toile et il faut être bancarisé. Ceux qui n'entrent pas dans ces critères n'y ont pas le droit.
Nous sommes donc allés voir SFR, avec qui nous avions des liens grâce à des bénévoles de l'association. La compagnie, à travers leur propre fondation, a bien voulu nous accompagner et nous donner des cartes prépayées que l'on vend aujourd'hui entre 2 et 6 euros. Cela fait déjà trois ans que nous travaillons ensemble, Emmaüs Connect a donc été créé pour clarifier tout cela et étendre le projet.
Quels sont les bénéficiaires d'Emmaüs Connect ?
Il n'y a pas de profil type. C'est une mosaïque de personnes. Cela va de la femme africaine qui travaille en France mais qui a besoin d'appeler sa famille restée au pays pour un soutien moral, au chômeur longue durée qui a besoin d'être ultra-réactif pour trouver des petits boulots. Cela touche aussi les personnes désocialisées. Le portable se transforme en lien social.
Emmaüs Connect c'est un soutien financier pour ces personnes, mais pas uniquement. Nous faisons aussi de la formation pour ceux qui ne maîtrisent pas bien le monde numérique.
Pour l'instant Emmaüs Connect se concentre sur Paris et la région Île-de-France, mais en fin d'année nous comptons nous installer dans les cinq plus grandes villes de France. De même, nous voulons aussi investir les territoires ruraux, eux aussi très touchés par la fracture numérique, notamment les personnes âgées.
Quelles sont les prochaines étapes pour l'association ?
La prochaine grande étape serait de faciliter l'accès à l'outil. Nous avons déjà commencé à fournir des téléphones, mais nous travaillons sur un plan plus concret, avec des entreprises qui vendent des appareils de seconde main. On est donc en train de monter un projet, viable en septembre prochain, avec de grands acteurs du secteur.
Nous nous concentrons surtout sur les smartphones qui donnent un accès à internet. C'est plus simple que les ordinateurs, qui demandent plus de maintenance.
Enfin, nous gérons en ce moment 2 500 bénéficiaires, mais on ne compte pas s'arrêter là. Nous espérons en avoir 5 000 à la fin de l'année, et 100 000 en trois ans. Après nous avançons à notre rythme, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation !
Entretien avec Jean Deydier
« Quand vous êtes SDF, le téléphone c'est votre dernière adresse. », L'Humanité, 7 mai 2013.