Victor Hugo, « Aller plus loin ? », 1848
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Introduction

Introduction

Victor Hugo a salué l'abolition de la peine de mort en matière politique en écrivant à Lamartine : « Je vous admire et je vous aime. » Élu le 4 juin 1848 député de la Constituante, il entend aller plus loin et obtenir l'abolition totale de la peine capitale. Mais les journées de juin, qui voient la répression féroce des émeutes ouvrières causées par la fermeture des Ateliers nationaux, marquent la fin de la république fraternelle, et installent l'élaboration de la Constitution dans un contexte de peur et de réaction. Certes, l'abolition en matière politique est réaffirmée. Trois députés déposent un amendement visant à étendre l'abolition aux crimes de droit commun. C'est pour les soutenir que Victor Hugo monte à la tribune et prononce ce discours le 15 septembre. L'assemblée refuse de suivre le poète et rejette l'amendement par 498 voix contre 216.
« Aller plus loin ? », 1848

« Aller plus loin ? », 1848

Je regrette que cette question, la première de toutes peut-être, arrive au milieu de vos délibérations presque à l'improviste, et surprenne les orateurs non préparés.
Quant à moi, je dirai peu de mots, mais ils partiront du sentiment d'une conviction profonde et ancienne.
Vous venez de consacrer l'inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l'inviolabilité de la vie humaine. Messieurs, une Constitution, et surtout une Constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n'est point un pas dans la civilisation, elle n'est rien. (Très bien ! très bien !) Eh bien, songez-y, qu'est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. (Sensation.) Messieurs, ce sont là des faits incontestables. L'adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le xviiie siècle, c'est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le xixe siècle abolira la peine de mort. (Vive adhésion. Oui ! oui !)
Vous ne l'abolirez pas peut-être aujourd'hui ; mais, n'en doutez pas, demain vous l'abolirez, ou vos successeurs l'aboliront. (Nous l'abolirons ! Agitation.) Vous écrivez en tête du préambule de votre Constitution « En présence de Dieu », et vous commenceriez par lui dérober, à ce Dieu, ce droit qui n'appartient qu'à lui, le droit de vie et de mort. (Très bien ! très bien !) Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n'appartiennent pas à l'homme l'irrévocable, l'irréparable, l'indissoluble. Malheur à l'homme s'il les introduit dans ses lois ! (Mouvement.) Tôt ou tard elles font plier la société sous leur poids, elles dérangent l'équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience. (Sensation.) Je suis monté à cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot décisif, selon moi ; ce mot, le voici. (Écoutez ! écoutez !)
Après février, le peuple eut une grande pensée, le lendemain du jour où il avait brûlé le trône, il voulut brûler l'échafaud. (Très bien ! – D'autres voix : Très mal !)
Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondément, à la hauteur de son grand cœur. (À gauche : Très bien !) On l'empêcha d'exécuter cette idée sublime. Eh bien, dans le premier article de la Constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple, vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l'autre, renversez l'échafaud. (Applaudissements à gauche. Protestations à droite.)
Je vote l'abolition pure, simple et définitive de la peine de mort.
Compte rendu des séances de l'Assemblée nationale, Paris,
Impr. De l'Assemblée nationale, tome IV, 1850, pp. 52-53.