Fiche n° 1 : l'habitat des castors, affaire dite du « Drac »
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Résumé

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Les sorties éducatives, encore appelées classes de découverte, font aujourd'hui partie intégrante de l'enseignement et les déplacements structurés à cette fin sont organisés dans l'intérêt pédagogique des élèves. L'affaire du Drac, affaire dramatique, est encore présente dans les esprits et son évocation est d'autant plus porteuse sur le plan juridique, qu'elle a connu son dénouement judiciaire en pleine période de mutation liée à l'adoption et à l'entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000 (dite loi Fauchon, loi sur les délits non intentionnels).
L'enseignante n'a pas commis de faute caractérisée.
Les faits

Les faits

Le 4 décembre 1995 en début d'après-midi, 22 élèves avec leur enseignante et une accompagnatrice cheminaient sur le lit du Drac, pour aller observer l'habitat des castors dans le site de la Rivoire. Après avoir traversé à gué une partie de la rivière, en passant sur des gravières, en franchissant des bras à sec et après avoir atteint la rive gauche (endroit où les animaux avaient laissé des traces de leur présence), le groupe rebroussait chemin lorsque sa retraite a été coupée par la montée des eaux.
D'emblée le courant a bousculé les enfants âgés pour la plupart de 7 à 8 ans. Voyant que les premiers étaient emportés par le flot auquel ils ne pouvaient résister, l'accompagnatrice s'est élancée pour les retenir, mais fut elle-même entraînée. L'enseignante, quant à elle, réussit à rattraper les autres élèves.
Six élèves décédèrent, ainsi que l'accompagnatrice de la ville de Grenoble.
La décision

La décision

• Première étape : les condamnations
Décision relative à l'enseignante
Lorsqu'un intervenant extérieur vient se joindre à un enseignant lors d'une activité scolaire, il lui appartient de s'assurer non seulement de l'organisation pédagogique de la séance, mais également du contrôle effectif de son déroulement. Il en découle qu'il soit à même de constater que les conditions de sécurité ne sont manifestement pas ou plus réunies et de suspendre ou d'interrompre immédiatement l'activité.
D'autre part, toute personne qui doit assurer la responsabilité d'une activité à raison de ses fonctions (ici l'enseignante) doit se donner les moyens de pouvoir apprécier objectivement les risques que cette activité est susceptible d'entraîner.
Cette obligation de vigilance est encore plus exigeante lorsque sont en cause de jeunes enfants, confiés par leurs parents à un établissement d'enseignement.
En l'espèce, l'enseignante ne saurait être fondée à se prévaloir de son manque de connaissance des pièges alors que les activités projetées dans un lieu particulier (promenade dans le lit d'une rivière) pouvaient entraîner des dangers pour les jeunes enfants dont elle avait la charge.
En réalité, son ignorance procède de sa négligence dans la préparation de son projet pédagogique.
Le tribunal prononce sa culpabilité.
Décision relative à la directrice
La directrice a fait preuve de négligence en n'assistant pas ou en ne déléguant personne pour assister au départ d'une classe de découverte.
Elle a agi de manière administrative et non concrète en refusant par principe, la participation des parents au motif que tout était pris en charge par la ville, alors qu'elle ne s'était pas elle-même, assurée personnellement de la réalité de cette prise en charge.
Le tribunal prononce sa culpabilité.
Source : Tribunal de grande instance de Grenoble, 15 septembre 1997 et Cour d'appel de Grenoble, 12 juin 1998.
• Deuxième étape : application de la loi du 10 juillet 2000 (loi Fauchon)
Décision relative à l'enseignante
Les dispositions de la nouvelle(1) loi Fauchon s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.
Par conséquent l'enseignante ne peut être condamnée pour blessures et homicides involontaires que :
  • si elle a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou,
  • si elle a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer.
Il en est de même pour la directrice.
En conséquence la décision de la Cour d'appel de Grenoble, est « cassée » et l'affaire est renvoyée devant la Cour d'appel de Lyon (appelée Cour de renvoi).
Source : Cour de cassation (Chambre criminelle), 12 décembre 2000.
• Troisième étape : relaxe de l'enseignante et de la directrice
Décision relative à l'enseignante
la cour a considéré que l'enseignante avait accompli les diligences normales d'une personne soucieuse de ses devoirs, compte tenu de la nature de ses missions et de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont elle disposait.
En effet :
  • elle bénéficiait d'une autorisation délivrée en toute connaissance de son projet par l'inspecteur d'académie,
  • elle adhérait à un véritable service public organisé et dirigé par la ville fonctionnant à la satisfaction de tous depuis des années,
  • elle avait reçu avant son départ en classe hors de l'école, la dirigeante du centre agréé correspondant au site choisi, et avait envisagé avec elle les conditions du séjour et les possibilités d'activités,
  • elle s'était entretenue avec une collègue l'ayant précédé sur le site sans que celle-ci lui signale aucune anomalie.
Les griefs d'impréparation, de manque de curiosité et de passivité formulés contre elle sont parfaitement injustifiés.
De plus, le reproche fait au cours des débats, de ne pas avoir fait l'acquisition d'une carte détaillée et de n'avoir pas fait une étude approfondie des lieux, manifeste le plus total irréalisme dans la mesure où l'on évoque les diligences normales d'une enseignante et non celles d'un officier d'état-major.
Décision relative à la directrice
La directrice d'un établissement scolaire a pu, avec l'autorisation de l'inspecteur d'académie, confier une classe de son école au service public géré et animé par la ville, sans avoir à assister ou à se faire représenter au départ de la sortie.
Source : Cour d'Appel de Lyon, 28 juin 2001.
• Quatrième et dernière étape : pourvoi en cassation des parties civiles (parents des victimes) contre l'arrêt qui a prononcé la relaxe de l'enseignante et de la directrice
Décision relative à l'enseignante
L'arrêt attaqué rappelle que la seule cause directe du décès par noyade de six enfants est un lâcher d'eau effectué sans précaution par des préposés EDF, agissant dans la précipitation résultant d'une situation de grève.
Il est relevé que l'enseignante avait obtenu les autorisations de conduire ses élèves dans le lit du Drac, pour leur faire découvrir l'environnement local avec l'assistance d'une animatrice qualifiée de la ville de Grenoble.
Celle-ci agissait en exécution du service public communal d'animation des classes de découverte suivies par les enfants des écoles primaires publiques et privées pendant le temps scolaire.
L'enseignante n'a pu envisager le risque auquel étaient exposés les élèves et n'a pas commis une faute caractérisée, ni violé une obligation particulière de sécurité et de prudence prévue par la loi et le règlement.
Elle est relaxée comme le sera également la directrice.
Source : Cour de cassation (Chambre criminelle), 18 juin 2002.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II, mise à jour mars 2013.
(1)À l'époque des faits.