L'enfant témoin de violences conjugales
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Introduction

Introduction

À l'occasion de la sortie aux éditions 2 Vives Voix du très bel album Les artichauts de Momo Géraud (auteur), Didier Jean et Zad (illustrateurs), nous nous intéressons ce mois-ci, aux violences conjugales dont l'enfant peut être témoin. Quelles sont les conséquences ? Comment déceler cette situation ? Comment venir en aide aux plus petits ? Ancienne enseignante, passionnée par la littérature jeunesse, Momo Géraud a voulu mettre à la disposition de tous les professionnels de l'enfance un outil pédagogique et une grande dose d'espoir. Nous profitons de cette parution pour dresser un état des lieux et recueillir témoignages et expertises, sur un sujet délicat encore trop souvent passé sous silence.
© Myr MURATET / MAIF
Selon les professionnels interrogés, il n'est pas possible à l'heure actuelle de dresser un état des lieux chiffré du nombre d'enfants témoins et/ou victimes de violences conjugales. Tout simplement parce que cette problématique sociétale est encore récente. Le psychanalyste Roland Coutanceau, directeur du centre médico-psychologique pour adultes de la Garenne-Colombes et éminent spécialiste du sujet, nous apprend qu'il existe trois vagues successives dans l'histoire des violences conjugales. D'abord dans les années 90, moment phare où la société commence à prendre en charge les victimes. À partir de 2006, elle s'intéresse aux auteurs et c'est seulement depuis 2010 que l'on prend en compte la sensibilité des témoins, à savoir l'enfant. Même si les violences ne sont pas dirigées directement contre eux, elles ont systématiquement un impact considérable et constituent un réel traumatisme.
L'impact sur les petits

L'impact sur les petits

Dans son ouvrage, Momo Géraud met en scène une petite fille, Jeanne, qui se réfugie dans l'imaginaire pour échapper à son quotidien angoissant. « Souvent l'enfant ne montre pas son désarroi, il s'isole, il évite ainsi à son parent un surcroît d'inquiétude » nous disons l'auteur. L'association SOS Violences conjugales nous apprend que dans tous les cas, il souffre de la situation et est terriblement fragilisé par l'anxiété qu'elle génère.
L'impact peut revêtir plusieurs symptômes cliniques et psychologiques. Il ne s'exprime pas de la même manière, suivant les sexes. Même s'il est préférable de ne pas généraliser, chez les garçons, les problèmes sont plus visibles. Un sentiment de menace qui se manifeste par un comportement agressif est plus fréquent que chez les filles, où les conséquences sont plus enfouies. La culpabilité, la honte et le réflexe de s'attribuer la responsabilité du problème et à prendre sur soi, sont plus répandus. « Il existe autant de types de réactions que d'êtres humains, nous apprend le Docteur Coutanceau, et différents développements post-traumatiques sont envisageables ».
Osez décoder

Osez décoder

À la question : « existe-t-il une méthode pour agir avec efficacité sans heurter la sensibilité des plus jeunes ? », la réponse des spécialistes est unanime : « elle n'existe pas ». Pas plus que n'existent de signes avant-coureurs. Roland Coutanceau nous explique qu'il faut se montrer très à l'écoute. « Un professeur peut entendre dire d'un de ses jeunes élèves qu'il dort mal, part exemple. Cela peut traduire autre chose, il n'y a pas de symptômes post-traumatiques spécifiques. Il faut oser décoder la cause du trouble. » L'association SOS Violences conjugales nous apprend qu'un enfant ne se livre pas de lui-même. Il ne parle pas facilement, car il a l'impression de trahir sa famille.
Toutefois, les tout petits se livrent plus facilement dans ce genre de situation. Ils sont confrontés à un univers relationnel inadapté et en ont pleinement conscience. Il est impératif de les aider à mettre des mots sur les événements et à raconter leur histoire, d'où l'intérêt d'un album pour enfants sur cette problématique. Tous les intervenants s'entendent sur le fait qu'un enfant exposé à la violence conjugale a besoin de recevoir des soins psychologiques. À partir du moment où le dialogue est mis en place, 50 % du travail est effectué.
Créez un échange

Créez un échange

Lorsqu'elle s'évade dans son imaginaire pour fuir la terrible réalité, la petite Jeanne se raccroche à ce que le Docteur Coutanceau nomme « des éléments familiaux sains ». L'auteur a voulu insister sur l'importance de l'entourage. « Une grand-mère, un grand frère, une sœur… Jeanne pense à des moments joyeux, sa vie est faite de fêlures, mais elle a des personnes à qui s'accrocher. Des proches sur qui compter ».
Cet entourage, qui n'est pas directement concerné par « le couple nucléaire », a toute son importance, nous explique le psychanalyste. Il va aider à rétablir un dialogue, un lien. Roland Coutanceau est également le président de la Ligue française pour la santé mentale (LFSM) dont une des maximes est qu' » aider les petits humains, c'est aider les gens qui les entourent ». Tout l'enjeu de l'échange avec l'enfant consiste à lui expliquer que la situation dans laquelle il se trouve n'aurait pas dû arriver, mais qu'elle s'est produite et qu'il faut comprendre pourquoi.
Et après ?

Et après ?

Pour le Docteur Coutanceau : « un petit qui s'enfonce est un être qui n'a pas eu la chance de communiquer. » Pour l'association SOS Violences conjugales, banaliser l'acte ou le normaliser dans l'esprit de l'enfant est le pire. « Bah tu sais, ça arrive ». La meilleure façon de se reconstruire semble être l'écoute. Et il n'est pas nécessaire de considérer que le témoin/victime est traumatisé.
Les besoins de l'enfant, tout comme celui de la mère et même du père, sont fort différents, mais ils se soignent ensemble. Dans un tel contexte, ils mobilisent un réseau de professionnels qui doivent travailler en concertation. Pour chacun des spécialistes, il est important de sortir d'une communication sociétale simpliste. « Lorsque l'on se focalise sur un segment, on passe à côté d'un élément » affirme Roland Coutanceau.
Momo Géraud considère, elle, qu'on peut aborder, dans un album pour enfants, des sujets graves dans la mesure où on promet des jours meilleurs à ces petits êtres en devenir : « La littérature est précieuse pour les aider à comprendre le monde et à s'y insérer. Les livres peuvent répondre aux émotions des jeunes victimes et leur permettre ainsi de les mettre à distance, ils aident à se construire ». Puis, elle insiste sur l'objectif essentiel qu'elle s'est fixée tout au long de l'écriture de son ouvrage : apporter de l'espoir. C'est ce qui fait tenir Jeanne dans l'histoire. Souhaitons également que soit le cas de tous les petits lecteurs qui trouveront un écho dans cette histoire.
Dossier réalisé par la MAIF, mai 2012.
En savoir plus

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  • Momo Géraud (textes), Didier Jean et Zad (illustrations), Les artichauts, Éditions 2 Vives Voix. Parution prévue le 1er septembre 2012, en vente dès maintenant par souscription. Plus d'informations
  • Roland Coutanceau, Amour et violence – le défi de l'intimité, Éditions Odile Jacob
  • Fabienne Civiol, Catherine Ducruezet, De la violence conjugale à la violence parentale, Éditions Erès
  • Isabelle Levert, Les violences sournoises dans le couple, Éditions Robert Laffont