Le bizutage
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Introduction

Introduction

Pour beaucoup de personnes, le sujet est éculé et ne concerne plus grand monde. Sanctionné en France depuis la loi Royal du 17 juin 1998, le bizutage est en net recul. Mais il n'a pas pour autant disparu et autour de ces rites de mauvais goûts gravitent un nombre trop important de problématiques, comme celle du harcèlement, de la misogynie, de l'abus d'alcool, de l'omerta dans les grandes écoles… Au moment même ou des centaines de milliers d'étudiants s'engagent dans une nouvelle voie, il paraît de circonstance de procéder à un état des lieux.
© Guillaume DURIS / Fotolia.com
Bonne nouvelle : dans l'immense majorité des écoles, on pratique de moins en moins de rites de passages avilissants. En revanche, lorsque l'on bizute, les circonstances liées à une masse d'alcool abondante, deviennent vite ingérable : noyade, coma éthylique, violences, etc. La majorité des spécialistes interrogés pour ce dossier déclarent même que le bizutage aujourd'hui est l'une des formes les moins réprimées de harcèlement sexuel. Quand bien même le phénomène recule, on note que certains étudiants restent attachés au passage de flambeau entre nouveaux venus et vétérans du fond de l'amphi, de façon très archaïque. Parmi eux, beaucoup de facultés de médecine, d'écoles d'ingénieurs, écoles préparatoires, qui pensent ainsi mettre en place un esprit de corps en créant une soumission. Les rituels seront alors répétés, année après année. Difficile par la suite de savoir comment sont orchestrés ces usages dégradants, puisqu'il existe une véritable omerta chez les victimes.
Une résonance moyenâgeuse

Une résonance moyenâgeuse

À peine surprenant, cette coutume estudiantine nous vient d'un lointain passé… médiéval. Elle fut remise au goût du jour, au début du xixe siècle par des élèves de Polytechnique. À cette époque, les têtes pensantes parlent de « bahutage ». Plus de 200 ans plus tard, en dépit d'efforts répétés des gouvernements successifs, la tradition persiste, s'aggrave, évolue, s'adapte et se transmet auprès de nombreux étudiants. La bête noire pour tous les spécialistes, aujourd'hui, est le célèbre week-end d'intégration. Les bureaux des élèves (BDE) présentent ces « wei », prononcez « ouaille », comme le seul moyen pour la bleuzaille de se faire des amis. « Lorsque l'on a 19-20 ans, la pression est terrible explique Jean-Claude Delarue, Président fondateur de SOS bizutage. Si tu ne viens pas, tu seras tout seul pendant toute la durée de tes études ».
Le marché est vite conclu. En dépit des risques qu'ils encourent, beaucoup de nouveaux se laissent convaincre et acceptent de passer deux ou trois jours dans un lieu « surprise », comme le stipulent les « flyers » estudiantins, généralement très éloigné et très isolé – hors saison –. L'alcool y coule à flots et la pression du groupe amène chaque nouvelle recrue à obéir aveuglément aux ordres de leurs antiques aînés. Le décor est planté, tout devient possible, le sempiternel rapport de force dominant/dominé fait loi, dans la soumission la plus totale. S'ensuit alors une poignée de jeux douteux allant des gentilles petites humiliations aux dérapages les plus sordides que la presse relate chaque année.
Salir l'autre

Salir l'autre

Difficile donc de dire ce qu'il passe exactement et quels sont les usages. Cette absence d'information vient du fait que beaucoup d'étudiants ont honte, ou que certains appliqueront ces coutumes à leur tour. Les filles sont les premières cibles. « On leur fait faire beaucoup de choses dégradantes, on les salit au sens propre comme au figuré, on leur fait ingérer des boissons dégueulasses. De manière générale, le bizutage peut se résumer au fait de salir l'autre » conclut Jean-Claude Delarue.
Une ancienne étudiante de l'INSA(1) se souvient de son « intégration verte ». Les anciens font ramasser aux nouveaux des détritus au bord de mer. Le principe : remporter le concours du sac le plus rempli. Une manière de redorer le blason des rites estudiantins en les adaptant aux préoccupations écologiques ? « Certainement pas, nous rapporte-t-elle. Il s'agit surtout d'un prétexte pour nous insulter verbalement toute la journée, nous faire ingérer des cochonneries et imposer des postures dégradantes aux perdants gorgés d'alcool. Principalement aux jeunes filles. Spiritueux et misogynie y font bon ménage ».
(1)Institut national des sciences appliquées.
Abus d'alcool

Abus d'alcool

Les substances éthyliques et autres stupéfiants s'imposent comme le cocktail indispensable pour bâtir « l'esprit de promo ». Les « wei » se transforment alors en véritables marathons alcoolisés. « Le point de départ sont ces cars « surprises », raconte Jean-Claude Delarue, dans lesquels on vous supprime vos portables et où l'on vous fait consommer des doses d'alcool astronomiques pour arriver bien chauds ». En 2008, un étudiant de l'ESC Toulouse a fini dans un coma éthylique dès la descente du car, après avoir ingéré – entres autres – 1 litre de whisky cul sec.
Si la fameuse école de commerce a rectifié le tir dès l'année suivante – en interdisant la consommation d'alcool… dans les bus – les substances en tout genre restent tolérées sur le trajet par beaucoup d'autres écoles. « Faut-il attendre un drame pour fixer des règles basiques de sécurité ? » s'indigne le Président de SOS bizutage. Pour lui, il est indispensable que ces « ouailles », soient encadrées par des adultes. Il fustige également les centres d'hébergement des « wei », qui tolèrent ce genre de pratiques et laissent agir les groupes d'étudiants en toute impunité. « N'oublions pas qu'un garçon est mort noyé, il y a deux ans, complètement saoul », rappelle-t-il.
Pourquoi continue-t-on de se faire bizuter ?

Pourquoi continue-t-on de se faire bizuter ?

Les faits-divers les plus sordides inondent les médias, s'enchaînent au fil des ans et pourtant, à chaque rentrée, un nombre très important d'étudiants accepte de se livrer à des rites dangereux et/ou dégradants. De quoi se demander pourquoi cela se reproduit-il tous les ans. Le psychiatre Reynaldo Perronne y répond parce qu'il nomme une logique de « programme ». Cela se met très vite en place. « Quand tu seras plus fort, tu pourras faire la même chose que ce qu'on te fait maintenant ». Lorsque l'occasion s'en présentera, le « bizut » va donc se comporter comme il était prévu qu'il le fasse. « Il faut comprendre que dans la vie quotidienne, nous sommes soumis, tous, en permanence, à un bombardement de messages de ce type » justifie Reynaldo Perrone.
Pour Jean-Claude Delarue également, cette soumission se retrouve en permanence dans la vie de tous les jours. Il s'agit de ramper devant les puissants. « Au-delà du sadisme, on se trouve en plein dans la vengeance. Et on se venge toujours contre des innocents : c'est ce que j'appelle le « bizutage politique ». C'est ainsi que l'on dresse les élites et donc que l'on retrouve ce genre de harcèlement dans l'entreprise. » Reynaldo Perronne abonde. Pour le psychiatre, les étudiants découvrent et amplifient ce qu'ils ont ainsi appris, jusqu'à le formaliser sous la forme d'un rituel qui définit clairement qui sont les victimes et qui sont les personnes qui contrôlent.
En finir avec le bizutage

En finir avec le bizutage

Les échos des faits-divers de la faculté Paris-Dauphine ou des pompiers de Paris, nous rappellent combien il est important d'en finir avec ces rituels d'un autre temps. Sur bon nombre de forums universitaires, on peut lire que certains bacheliers vont même jusqu'à éliminer leurs futures écoles ou facultés de leurs vœux, en fonction du bizutage d'entrée. « C'est un constat d'échec » reconnaît Jean-Claude Delarue. Pour éradiquer le phénomène, ce dernier préconise de livrer les noms des coupables, en guise d'intimidation pour les autres.
Pour l'ancienne étudiante de l'INSA citée plus haut, il paraît incroyable que les associations de défense du Droit des femmes n'agissent pas davantage. « On m'a obligé à me livrer à des shows lascifs devant tous mes camarades. Dans un autre contexte, ces anciens élèves seraient jugés pour crimes sexuels. Et encore, j'ai de la chance, ce serait aujourd'hui je me retrouverai en vidéo sur le web. »
Enfin, Jean-Claude Delarue – qui mène des actions depuis 1987 – en appelle à une mobilisation des syndicats sur le thème de lutter ensemble contre toute forme de harcèlement. Ce dernier rappelle que l'essence de l'École, au sens large du terme, est de former des individus libres.
Conseils aux étudiants de 1re année

Conseils aux étudiants de 1re année

Voici un rappel des règles élémentaires à respecter pour éviter toute forme de dérapage.
  • Boycottez les week-ends d'intégration si le lieu n'est pas indiqué. Ne laissez pas de places aux surprises, elles sont généralement de mauvais goût dans ce type de contexte.
  • Avant un week-end, exigez qu'il y ait un service d'encadrement sobre. L'alcool est le problème principal lors de ces événements, il est la cause de tous les dérapages.
  • Pour palier tout désagrément, vérifiez auprès du bureau des étudiants que l'accès aux fêtes est ouvert à tout le monde.
  • Assurez-vous que les organisateurs des week-ends d'intégration n'aient rien à cacher et cela durant toute la soirée.
  • Ne vous assimilez à aucune confrérie, à aucun cercle ou autres. Ces groupuscules étudiants inventent le plus souvent leurs propres rites et n'ont aucune limite.
  • Nos mises en garde concernent particulièrement les jeunes filles. Elles sont hélas les cibles prioritaires de jeux sexuels.
  • Si jamais il est trop tard, parlez-en, ne gardez rien pour vous et surtout portez plainte. Le bizutage est puni par la loi.
En savoir plus
SOS Bizutage — www.sos-bizutage.com
Dossier réalisé par la MAIF, septembre 2012.