I. Question relative aux textes proposés (6 points)
Proposition de corrigé
Les mythes font partie, depuis que l'Histoire et l'écriture existent, des fondements culturels parmi les plus marquants et les plus persistants de l'humanité. Cela est dû notamment aux multiples dimensions qu'ils occupent, des dimensions sur lesquelles reviennent Mircea Eliade, dans Mythes, Rêves et Mystères paru chez Gallimard en 1981, ainsi que Michel Tournier, dans son essai Le Vent Paraclet édité lui aussi chez Gallimard, en 1983. Le dossier met en regard ces deux textes avec celui de Serge Boimare, Ces Enfants empêchés de penser, qui est à la fois plus récent (2008) et plus polémique, et Germinal, l'œuvre d'Émile Zola, laquelle a fait l'objet d'une réédition chez Hachette en 1979.
Parmi d'autres questions, ces textes conduisent à s'interroger sur les différentes fonctions des mythes, en particulier dans le domaine de la création littéraire et dans celui de la formation de l'individu, autour desquels s'organisera la présente analyse.
La création littéraire est influencée directement et très régulièrement par l'existence des mythes, lesquels, tout en apportant une ressource indéniable pour les trames narratives, les thèmes abordés ainsi que pour la construction des personnages, s'accompagnent sans cesse d'un mouvement de renouveau.
Dans l'extrait du Germinal de Zola, la représentation qui est donnée, autant de la « machine » que du « puits », se rapproche à bien des égards de celle que les auteurs antiques donnent des géants titanesques, figures mythiques ayant intégré depuis longtemps la mémoire collective. Cette mémoire est aussi, par conséquent, intertextuelle, quand bien même nous aurions aujourd'hui dépassé ce « laps de temps privilégié que fut, pour l'Europe lettrée, l'apogée de la culture gréco-latine », comme l'évoque Mircea Eliade. C'est cette intertextualité que Michel Tournier appelle le « « bruissement » mythologique », que rencontrent la plupart des « écrivains » et des « artistes créateurs ». Les auteurs du dossier admettent clairement que les textes mythiques sont « fondamentaux pour nos civilisations », comme l'écrit Serge Boimare, des textes que Michel Tournier définit comme des « histoire[s] fondamentale[s] », à tel point, pour reprendre Mircea Eliade, qu'« il paraît improbable qu'une société puisse s'affranchir complètement du mythe ».
Le mythe, en effet, appelle sans cesse un dépassement, que Zola opère, dans Germinal, en plaçant dans le monde moderne le géant cyclopéen, dont on retrouve des traces dans de multiples civilisations, et ce bien au-delà de l'Europe occidentale et de l'Europe centrale. À l'évidence, qu'est-ce que le « puits » du Germinal, si ce n'est un géant qui « aval[e] les hommes par bouchées », dans une monstruosité que Zola transpose habilement dans le monde qui lui est contemporain ? Le mythe « impose », comme l'explique Serge Boimare, « un déplacement de temps et de lieu », d'autant que, pour reprendre Michel Tournier, il a sans cesse « besoin d'être irrigué et renouvelé », au moins dans le domaine de ce que le romancier intitule « la création littéraire et artistique ». La mythologie apporte également, par elle-même, son lot de métaphores, lesquelles renvoient autant aux « grandes questions », d'après Serge Boimare, qu'à ce que Mircea Eliade place sur le terrain des « vertus », et Michel Tournier dans un « kaléidoscope d'images qui entourent l'enfant dès le berceau ». En plus d'un « accès au symbolique », si l'on en suit les termes de Serge Boimare, l'enjeu est bien pour le mythe de susciter de constantes reformulations, telles qu'il en apparaît chez un Rousseau réinventant, selon Michel Tournier, la beauté des montagnes jusqu'ici envisagées comme une « anticipation de l'Enfer », que Rousseau « métamorphose ». Le mythe se transforme, sous peine de devenir une simple allégorie. Et cela touche autant les constructions narratives qui rassemblent, pour Mircea Eliade, un schéma de « répétition » et de « rupture de la durée profane » vers l'« intégration d'un temps primordial », que ce que Michel Tournier, comme le font Serge Boimare et Mircea Eliade, désigne comme des « personnages ».
Sans doute autant que pour la création littéraire, les mythes constituent, pour la formation de l'individu, un socle de connaissances partagées et d'exemplarité qui ne fait jamais défaut.
Quand Michel Tournier rappelle le mythe platonicien de la caverne, dans laquelle les hommes sont « retenus prisonniers », on ne peut s'empêcher d'y voir un écho dans Germinal, où le protagoniste, Étienne, est tout à coup « plongé dans une nuit […] profonde » après être « descendu du terri ». Les récits ne se ressemblent pas, quand bien même il s'agirait de la descente aux enfers, mais, selon Michel Tournier, il y a là de quoi envisager « toute une théorie de la connaissance », notamment quand le récit devient, à « un étage plus élevé encore », « une morale », une « métaphysique », sans pour autant « cesser d'être la même histoire ». De là à voir, dans la « cage de fer » du Germinal (qui, elle-même, contient « quatre étages »), un même appel à se dépasser, il n'y a qu'un pas. Car il n'existe pas plus, rappelle Mircea Eliade, d'« hiatus entre la mythologie et l'histoire » dans l'Antiquité, qu'il n'en existe entre les archétypes mythiques et les « normes » de la « société moderne ». Les liens qui s'opèrent entre les éléments d'une connaissance partagée s'appuient notamment sur des « préoccupations universelles », dont Serge Boimare affirme qu'elles sont intemporelles et pérennes. Car l'une des fonctions du mythe est bien de « forger l'esprit humain », toujours pour Serge Boimare, ce qui fait dire à Michel Tournier que « l'homme ne s'arrache à l'animalité que grâce à la mythologie ». De tels enjeux d'éducation et de formation de l'individu apparaissent clairement dans la contribution de Serge Boimare, lequel insiste sur le passage du personnel à l'universel, mais aussi de l'« immédiat » au permanent. Ces enjeux reviennent aussi dans le texte de Mircea Eliade, qui va jusqu'à proposer une « homologation des fonctions respectives du mythe et de l'instruction ».
Parmi les fonctions des mythes auxquels les textes du dossier font allusion (ou qu'ils rediscutent), celle de l'exemplarité occupe une place de choix. Le protagoniste de Germinal en donne une illustration marquante, à travers tout ce qu'Étienne représente de courage et de détermination. Si Serge Boimare envisage cette exemplarité à travers les grandes questions que permettent d'aborder les mythes et leurs personnages, comme la conciliation de « forces contradictoires » ou les questionnements portant sur des sujets aussi difficiles que la loi, le désir ou la mort, Michel Tournier, quant à lui, voit cette « fonction sociale » chez les écrivains et les artistes eux-mêmes, qui inscrivent le parcours des mythes dans une série de métamorphoses. D'après Mircea Eliade, ne pas le voir, ce serait ne pas reconnaître, « dans ce qu'on appelle, chez les modernes, l'instruction, l'éducation, la culture didactique, la fonction remplie par le mythe dans les sociétés archaïques ». À travers les multiples figures qu'elle implique, la mythologie s'inscrit dans un mouvement de transmission et d'instruction sur lequel Mircea Eliade revient avec insistance, d'autant qu'elle apporte, selon lui, autant de « paradigmes » que de « modèles exemplaires ». Au-delà des questions de pédagogie et d'éducation, l'une des fonctions du mythe est bien de fournir l'exemple de « vertus morales et civiques » qui transcendent les générations, ce que Michel Tournier résume dans ce qu'il nomme la « postérité ».
Recommandations
Cette partie de l'épreuve présente de multiples difficultés : d'une part, elle exige une bonne compréhension des documents, qui implique une certaine habitude à lire
vite et bien. L'un des exercices les plus productifs dans votre préparation consistera à trier, dans tous types de textes, les moments où vous sentez que l'auteur prend position, exprime un point de vue, conclut, déduit, parmi tout ce qu'il y a dans les documents d'exemples, de commentaires, de redites et de reformulations intermédiaires. Concrètement, dans chacun des cas, c'est un tiers à la moitié du texte qui donnera des éléments de réponse à la question qui vous est posée (qu'il s'agisse d'une synthèse ou d'une analyse). Bien comprendre le texte, c'est donc saisir ce qui, à l'intérieur, donne des éléments de réponse à la question que soulève l'épreuve.
Ensuite intervient la gestion du temps : vous disposez d'1h30 à 1h45 maximum pour traiter cette partie de l'admissibilité, autrement dit de très peu de temps. Il s'agit donc de vous organiser d'abord matériellement :
voilà ce que je mets dans telle marge, voilà ce que j'applique dans l'autre. Ce que je fais de mes surligneurs, ce que j'entoure, comment je numérote, ce que je barre éventuellement : ces opérations matérielles, au concours, font gagner de précieuses minutes. Si, avant l'épreuve, vous ne savez pas comment manipuler matériellement vos supports, vous prenez un vrai risque. Par ailleurs, il convient de
minuter votre pratique de l'épreuve :
tant (de minutes) pour la compréhension-surlignage (ou autre),
tant pour les brouillons (au moins pour l'introduction et les débuts de paragraphe : à ne jamais bâcler !),
tant pour l'écriture (des phrases assez courtes en général et qui s'enchaînent correctement), et
tant pour la relecture (on estime à un sixième le nombre de points que permet de « récupérer » une bonne relecture !).
Le reste renvoie bien entendu à l'écriture elle-même. À ce titre, toutes les indications sont données sur le site
SIAC du Ministère (
www.guide-concours-professeurs-des-ecoles.education.gouv.fr).
L'épreuve vise à évaluer (notamment) : « la capacité à comprendre et exploiter des textes ou des documents pour en faire une analyse, une synthèse ou un commentaire rédigé avec clarté et précision, conformément aux exigences de polyvalence attachées au métier de professeurs des écoles.[…] »
Indications méthodologiques
• La production écrite du candidat doit permettre au jury d'évaluer son aptitude au raisonnement, à la structuration ordonnée d'une pensée logique ainsi que sa capacité à exposer de façon claire, précise et simple une problématique complexe.
Qu'on se rassure toutefois sur ce mot de complexe employé ci-dessus : dans l'esprit des examinateurs, cela signifie que la « question relative aux textes » contient au moins deux questions sous-jacentes (vos « parties » du plan, qui ici sont données par l'intitulé lui-même !).
Indiquons que les commentaires exprimés par les correcteurs dans les jurys de concours sont sans appel : les documents sont-ils bien compris ? l'orthographe et la construction des phrases sont-elles correctes ? l'ensemble est-il organisé ? ce qui est repris répond-il à la question posée (la problématique) ? Ce sera suffisant pour un maximum de points !
• Pour ce qui nous occupe ici, l'épreuve consistait dans une
analyse. À partir de la question posée (« quelles fonctions des mythes ? »), il s'agissait donc de relever, dans les documents, ce qui coïncide, avec exactitude, avec cette problématique. Une fois le tri effectué, reste à opérer des recoupements (les « axes »). En relisant ce que vous avez sélectionné, vous sentez que des éléments communs apparaissent : ainsi, dans ce dossier, l'universalité de normes
civiques et morales, le caractère
fondamental de certains récits, la pérennité de certaines
questions, les présences de l'
analogie, etc. De fil en aiguille, vous saisissez que vous pouvez regrouper ceci et cela, et peut-être êtes-vous déjà en mesure de nommer ce qui deviendra les
parties de votre plan. C'est à ce moment-là que l'utilisation des marges et du brouillon est déterminante : avec votre nomenclature à vous (souvent les candidats emploient des numéros), vos recoupements s'organisent, parmi lesquels apparaissent des rapprochements entre les auteurs, mais aussi ce qui les distingue et ce qui, en somme, fait que leurs contributions se complètent mutuellement. Nous vous conseillons à ce moment-là :
- de produire plusieurs plans sommaires et de les manipuler pour voir lequel est le plus clair ;
- de détailler le plan choisi, à l'appui éventuellement des mots-clés que vous aurez formulés ;
- de produire un « propre » de l'introduction (phrase générale, présentation des documents, annonce du plan), ainsi que les premières phrases de chacune des « grandes » parties.
• Dans le cas présent (presque un cas sur deux au
CRPE !), les parties de votre plan vous sont données : il s'agissait de déterminer les fonctions des mythes, d'une part, « dans la création littéraire », et d'autre part, « dans la formation de l'individu ». Il n'est pas nécessaire de réajuster ce plan, qui correspond aux attentes du jury, mais d'aménager des sous-parties qui présenteront une certaine forme de progression : du moins au plus représenté dans les textes, du plus particulier au plus général, de l'explicite à l'implicite (ou l'inverse !). Quoi qu'il en soit, vous devrez faire apparaître une organisation claire. Les correcteurs du
CRPE n'auront pas de plan préétabli au moment des corrections, mais une énumération d'axes possibles que les candidats peuvent organiser comme ils l'entendent, pourvu que cela soit visible et tout de suite accessible pour le correcteur !
Rappelons enfin que, contrairement à la synthèse (qui reprend les textes par la seule reformulation et sans éléments de commentaire), l'analyse vous permet de citer les auteurs indirectement (en reformulant) et directement (entre guillemets), tout en commentant soit ce qu'ils affirment, soit la manière dont ils s'y prennent pour exprimer leur avis. Ainsi, vous pouvez librement, dans ce type d'exercice, décrire leur démarche discursive, insister sur ce qui rapproche et sur ce qui distingue les documents, mais aussi expliquer en quoi ils se complètent, ce qui rend l'exercice particulièrement
souple.
Quant à la conclusion, celle-ci reste à votre discrétion : il n'y a aucune obligation à en produire une, surtout si l'analyse se suffit à elle-même. Quoi qu'il en soit, vous devrez vérifier lors de la relecture :
- si vous avez bien confronté les textes les uns aux autres ;
- si vous avez effectivement organisé votre rédaction (paragraphes, transitions, parties…) ;
- si vous n'avez pas compilé des résumés ;
- si vous n'avez pas donné un point de vue personnel sur la question ;
- et si votre formulation est correcte et claire !