I. Question relative aux textes proposés (6 points)
Proposition de corrigé
Il s'agit ici, à partir d'un corpus assez homogène de trois textes, d'analyser « la façon dont l'activité d'écriture évolue avec l'introduction des nouvelles technologies ».
L'apparition de nouvelles techniques provoque fréquemment des changements dans les habitudes, bouscule souvent les temps sociaux (notamment ceux du travail et des loisirs), et cela est d'autant plus vrai pour ce qui concerne les nouvelles technologies. Ce dossier, constitué de trois textes combinant l'autobiographie et le commentaire autocritique, confronte les points de vue d'Umberto Eco (De la littérature, 2003 pour la traduction française), de Pierre Michon (Écrire à la main, 2001) et de François Bon (Après le livre, 2011). Ces contributions décrivent, avec les sensibilités propres à leurs auteurs, de quelle façon l'activité d'écriture évolue avec l'introduction des nouvelles technologies. Eco, Michon et Bon s'y emploient en particulier en évoquant le rapport temporel à l'écriture, mais aussi en revenant sur la pratique de l'ébauche et sur celle des corrections et des reprises, dont les évolutions sont plus ou moins marquées.
Les auteurs évoquent volontiers un rapport temporel à l'écriture. Ainsi François Bon parle-t-il de « moments décisifs » pour l'écriture, dans une spontanéité dont Umberto Eco concède que l'ordinateur la favorise, tout comme en partie François Bon, quand ce dernier parle de son ordinateur portable lui rappelant les habitudes de ses « anciens cahiers manuels : là tout de suite ». Le rôle de la machine est également souligné par Pierre Michon, qui lui attribue la possibilité de « rythmes de dernière minute ». Une tension apparaît néanmoins, entre l'infinité des possibles qu'offrent les nouvelles technologies, ainsi que le rappelle Eco et que Bon qualifie de « souplesse », et la décision d'une version définitive, sur laquelle les auteurs ne reviennent que de manière allusive, à l'exception de Pierre Michon. Michon, en effet, accorde à la mise au propre et au « texte juste » un enjeu de premier plan. Du reste, pour les auteurs, l'ordinateur, s'il amène un autre « rythme de travail », n'en bouleverse pas pour autant le rapport à l'écriture. Il semblerait qu'au contraire, il en facilite certains aspects pratiques.
C'est le cas en particulier de l'ébauche, proprement du « brouillon », à propos duquel Pierre Michon, directement interpelé à ce sujet en 2001, indique que si ses brouillons sont faits à la main, dans une gestuelle qui leur est naturelle, la mise au propre, elle, intervient sur l'ordinateur. Une pratique de l'ébauche très différente est décrite par François Bon, qui n'écrit jamais à sa table : selon lui, si le brouillon est une « ébauche maintenue délibérément dans son état d'imperfection », il préfère écrire en ligne, dans un blog recomposable à l'infini. Le blog remplace ainsi le carnet, le « calepin » et c'est avec ce qu'il appelle « insécurité » que Bon accepte « l'imprévu de la forme ». Umberto Eco, attaché à l'ébauche, en conserve quant à lui les différentes versions, de manière à se figurer le parcours d'une œuvre. En témoignent les réimpressions dont il vante les mérites, celles-ci étant à la fois multiples et plus ou moins lacunaires. Or, si Eco traite finalement peu la question des brouillons, c'est précisément pour ne pas les survaloriser par rapport aux corrections, dont la pratique a radicalement changé, d'après lui, avec l'introduction des nouvelles technologies.
Les auteurs insistent avant tout sur les façons dont l'ordinateur a modifié la pratique des corrections et des reprises du texte. Umberto Eco va jusqu'à admettre qu'avec l'existence de l'ordinateur, « la logique même des variantes change ». L'écriture n'a plus à passer par une réécriture lente et patiente d'un texte amendé, avec un tapé à la machine et les collages que ne regrette certainement pas Eco, mais que Pierre Michon envisage toutefois sous l'aspect d'« objets et de danses rituels ». Ce dernier écrit toutefois que l'ordinateur conseille d'étonnantes corrections : même si « le média n'est pas le message », l'ordinateur joue un rôle, quand bien même minime, dans la reprise du texte. François Bon confirme de son côté que les nouvelles technologies ne modifient pas en profondeur « ce partage solitaire avec la page qui s'écrit », mais il voit dans l'ordinateur l'occasion de reconfigurer sans cesse son texte, de donner d'autres formats à l'écriture, et de lui imposer autant de corrections, d'annotations et de révisions que voulu. L'écriture informatique est donc en partie une nouvelle manière de travailler, ce qui apparaît encore plus clairement dans la contribution d'Umberto Eco, qui porte un regard très favorable aux apports des nouvelles technologies pour l'écriture. Eco déclare ainsi que l'utilisation de l'ordinateur concerne avant tout « le problème des corrections, et donc des variantes ». Des questions auxquelles l'auteur est particulièrement attaché : l'écriture littéraire s'effectuant par reprises de variantes en variantes, l'ordinateur en a fait évoluer la logique même, en permettant de corriger à l'infini et de revenir constamment sur ses pas.
Même s'ils le font sur le ton de la concession ou, comme Eco, avec un certain enthousiasme, les auteurs conviennent tous trois d'une évolution concrète des pratiques d'écriture due à l'introduction des nouvelles technologies. Celles-ci, à les en croire, font désormais partie des mœurs et du travail quotidien de l'écrivain.
Recommandations
• Cette partie de l'épreuve consistait ici dans une analyse. Contrairement à la synthèse, cet exercice ne se borne pas à confronter des textes les uns aux autres afin d'en déterminer principalement les convergences et certaines divergences, même si des points communs apparaissent clairement entre les deux types d'exercices (on peut par exemple, dans une analyse, donner un point de vue légèrement critique sur les prises de position des auteurs ou encore sur leur manière de traiter le propos). L'analyse permet de citer davantage les textes de manière directe, et donc d'inclure dans votre production des passages guillemetés et des extraits.
• Ceux-ci, rappelons-le, sont possibles dès lors que vous sentez que les auteurs recourent à des formules spécifiques, singulières et qui n'appartiennent qu'à eux. Les singularités se justifient pleinement, ici, dans la mesure où Eco, Michon et Bon livrent leurs impressions sur un rapport à l'écriture, forcément intime et personnel. Outre un rapport à, il convenait d'insister sur une pratique au quotidien, et, précisément, sur la « façon dont l'activité d'écriture évolue avec l'introduction des nouvelles technologies », un sujet pleinement prévisible au CRPE (pour connaître ces sujets prévisibles, nous vous suggérons deux manières de procéder, complémentaires l'une de l'autre : jeter un coup d'œil sur les « actus » des revues consacrées à l'École et à la pédagogie, et parcourir les dossiers que les journaux nationaux laissent en ligne sur l'Éducation).
Indications méthodologiques
• Rappelons que, même s'il s'agit d'une analyse, il convient de
minuter, comme pour la synthèse, votre pratique de l'épreuve :
tant (de minutes) pour la compréhension-surlignage (ou autre),
tant pour les brouillons (au moins pour l'introduction et les débuts de paragraphe : à ne jamais bâcler !),
tant pour l'écriture (des phrases assez courtes en général et qui s'enchaînent correctement), et
tant pour la relecture.
Le reste renvoie bien entendu à l'écriture elle-même. À ce titre, toutes les indications sont données sur le site
SIAC du Ministère (
www.guide-concours-professeurs-des-ecoles.education.gouv.fr).
• Les commentaires exprimés par les correcteurs dans les jurys de concours sont sans appel : les documents sont-ils bien compris ? l'orthographe et la construction des phrases sont-elles correctes ? l'ensemble est-il organisé ? ce qui est repris répond-il à la question posée (la problématique) ? Pour le reste, la synthèse et l'analyse restent néanmoins des épreuves très proches l'une de l'autre.