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Dans ce cas d'espèce, qui avait été au moment des décisions des tribunaux, extrêmement médiatisé, il convient de revenir précisément sur les faits et sur la façon dont la loi du 10 juillet 2000 (relative aux délits non intentionnels) a été appliquée.
Les faits
Le 22 décembre 1996, une jeune fille élève de CM1-CM2 chutait de la fenêtre de la salle de classe située au deuxième étage de l'école primaire où elle était scolarisée. Pendant que l'instituteur était occupé à ranger une malle, la jeune élève s'était assise sur le rebord d'une fenêtre, que le maître avait ouverte pour aérer la salle. Les témoignages des enfants n'ont pas permis de déterminer avec certitude combien de temps la petite fille était restée au bord de la fenêtre avant de tomber.
L'enfant devait malheureusement décéder le lendemain de ses blessures.
Il appartient ici au tribunal correctionnel de Bobigny de se prononcer sur la culpabilité de l'instituteur. Nous verrons ensuite, puisque les parties avaient interjeté appel, comment les magistrats du second degré ont statué.
1/ Le jugement de première instance : absence de faute de surveillance mais faute de négligence
Sur l'absence de faute de surveillance
L'accident s'est produit dans des circonstances particulières. C'était la fin de l'année et la classe préparait son départ en classe de neige. L'ambiance était joyeuse (musique, gâteaux, boissons). Certains enfants dansaient d'autres jouaient. Le maître était occupé à organiser l'aménagement intérieur d'une malle destinée à la classe de neige.
Comme il fallait aérer la pièce, l'enseignant avait ouvert le châssis bas de la fenêtre se trouvant la plus proche de lui. Il n'a pas vu l'enfant s'asseoir sur le rebord de cette fenêtre, ni tomber.
Le tribunal ne se place pas sur le terrain de la faute de surveillance. Il retient que la pédagogie moderne implique souplesse et autonomie dans les mouvements des enfants. Le maître est un éducateur, non un surveillant, et ne peut « raisonnablement avoir les yeux constamment fixés sur chacun des élèves ». Il ne peut, par exemple, lorsqu'il écrit au tableau suivre tous leurs mouvements.
Il n'est pas retenu en l'espèce, à la charge de l'instituteur d'avoir laissé sa classe sans surveillance le temps où il rangeait la malle. Cette affirmation, explicite de l'absence de faute de surveillance, aurait pu présager de la non-culpabilité de l'enseignant.
Cela n'a pas été le cas puisque le tribunal a retenu contre l'instituteur une faute de négligence et d'imprudence.
Sur la faute de négligence et d'imprudence : l'ouverture de la fenêtre
La plus grande liberté laissée aux élèves, engendrée par le souci pédagogique de leur autonomie, implique la nécessité d'une particulière attention à la sécurité dans l'environnement des enfants.
Ce jour-là, en raison du contexte déjà évoqué, la liberté des enfants était accrue puisqu'ils pouvaient se déplacer de tables en tables pour changer de jeu, faire passer de la musique ou danser.
Eu égard à cette liberté de mouvement accrue, il appartenait à l'instituteur de veiller particulièrement à la sécurité des conditions d'occupation de la classe. Il aurait dû alors se soucier de ne pas ouvrir, ou de refermer le châssis bas de la fenêtre, d'autant que l'aération de la salle pouvait s'effectuer sans difficulté par l'ouverture du châssis central et ceci pendant la récréation.
Il lui est particulièrement reproché de ne pas avoir pris cette mesure parce qu'il savait que s'asseoir sur le rebord d'une telle fenêtre constituait un danger.
À plusieurs reprises, il avait interdit aux élèves de s'y installer même lorsqu'elles étaient fermées. Il avait, au premier trimestre de l'année scolaire, mimé avec les enfants une scène de chute en leur expliquant les risques et dans quelles conditions la chute pouvait se produire si l'un d'eux assis au bord était bousculé.
Or, en l'espèce, même si tout se déroulait dans des conditions normales, le fait que les enfants soient autorisés à circuler plus encore que de coutume pouvait faire apparaître le risque d'une bousculade.
Dans ces conditions, l'instituteur n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient compte tenu de sa mission et de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Il a commis une faute d'imprudence ou de négligence caractérisée qui a exposé la jeune élève à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer.
Il est donc coupable pour des faits qualifiés « d'homicide involontaire » : la peine est de 5 mois de prison avec sursis.
2/ L'arrêt d'appel : confirmation de la condamnation de première instance
Les parties font appel et l'instituteur demande à la cour l'infirmation du jugement de première instance.
Il fait valoir en ce sens :
  • que n'était pas rapportée la preuve qu'il ait violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence et de sécurité prévue par la loi et le règlement,
  • qu'il n'avait pas conscience d'exposer la jeune élève à un accident en laissant une fenêtre ouverte et ne pouvait penser que l'enfant, à l'encontre des avertissements répétés, passerait outre ou les oublierait,
  • qu'il n'a pas commis de faute caractérisée.
La cour, au contraire, souligne que l'instituteur avait à ce point conscience du risque de chute couru par les enfants qu'il avait, à l'occasion d'activités scolaires baptisées Quoi de neuf, appelé l'attention des enfants sur l'existence de ce danger.
La circulaire du 6 juin 1996 rappelle dans son article 5 que la surveillance des enfants doit être continue et leur sécurité constamment assurée « en tenant compte de l'état et de la distribution des locaux et de la nature des activités proposées »
Les magistrats rappellent que l'instituteur connaissait la dangerosité résultant de l'ouverture des fenêtres et que la probabilité d'un accident était plus grande encore le 20 décembre 1996 que les autres jours.
En outre, la décision prise par la jeune élève d'aller s'asseoir ne peut être mise sur le compte d'une désobéissance, mais sur la liberté de mouvement que l'instituteur avait consenti à ses élèves.
Il doit être rappelé qu'au rang des obligations essentielles incombant aux instituteurs figure celle d'assurer la sécurité et la surveillance des élèves qui leur sont confiés.
Il ne peut être, à l'évidence, exigé d'eux qu'ils soient présents à tous les instants, encore est-il nécessaire qu'ils exercent une surveillance effective, vigilante pendant la totalité du temps scolaire et s'assurent que toutes les conditions de sécurité soient réunies.
En omettant de procéder au retour des élèves dans la salle de classe et en ne rétablissant pas les conditions de sécurité qu'il leur avait jusque-là garanties, générant un risque majeur dont il avait conscience, il a commis une faute caractérisée.
Sa culpabilité a été confirmée.
Commentaires
Voilà donc un enseignant bien évidemment non responsable de la dangerosité des locaux scolaires qui met en garde ses élèves contre les risques présentés par les fenêtres et dont finalement les efforts de prévention seront un élément de sa condamnation.
En effet, c'est la connaissance du danger qui constitue le pivot de la faute caractérisée, une faute caractérisée qui expose autrui à un danger d'une particulière gravité que le prévenu ne pouvait ignorer.
Quelle est donc cette faute ? Avoir ouvert la fenêtre alors que les enfants se déplaçaient dans la pièce.
Il est vrai que l'activité festive inhabituelle mais fréquente à la veille des vacances de Noël dans beaucoup de classes à cette époque de l'année et la libre circulation des élèves dans la classe introduisaient un risque supplémentaire d'accident. Mais peut-on réellement considérer que le fait de ne pas avoir pensé à fermer la fenêtre constitue une faute caractérisée, faute suffisamment grave pour entraîner une condamnation pénale pour homicide involontaire ? Qu'il nous soit permis d'émettre quelques réserves à ce sujet…
Les parents de la victime avaient le droit de connaître la vérité mais était-il vraiment nécessaire de prononcer la culpabilité pénale de l'instituteur… Certes la sanction n'est pas particulièrement sévère mais il n'en demeure pas moins qu'elle reste une condamnation pénale avec tout ce que cela peut impliquer pour l'enseignant…
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.