La crise du roman au xxe siècle
Dernier essai le - Score : /20
Protéiforme, se ramifiant en d'innombrables sous-genres, le roman est un particulièrement difficile à cerner. Toutefois, des constantes semblent se dégager, qui constituent les conventions romanesques : selon la définition du Grand Dictionnaire de la langue française, le roman est ainsi une « œuvre d'imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, nous fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures ». Lorsque l'on ouvre un roman, on s'attend à y retrouver ces éléments : c'est ce que l'on appelle l'horizon d'attente du lecteur. Or, certains romanciers du xxe siècle ont pris le parti, dans leurs œuvres, de rompre avec les conventions romanesques, de déconstruire le genre. En quoi consiste cette « crise du roman » ?
1. Avant le xxe siècle, le roman est-il mis en cause ?
L'histoire littéraire est jalonnée de textes qui, bien avant la crise du xxe siècle, ont mis en cause le roman.
Déjà, Furetière, en 1666, révolutionne les conventions romanesques de son époque, d'une part en prenant pour personnages principaux de simples bourgeois (et non des aristocrates comme il était d'usage), d'autre part en construisant son récit de façon décousue, interrompant sans cesse la narration par des anecdotes, des commentaires, des fragments de discours, etc. Dans l'extrait suivant, il évoque avec humour la tradition des romans qui veut que l'on rapporte en détail les paroles d'un amant venu enlever sa belle (ici, Javotte) :
« Je ne tiens pas nécessaire de vous rapporter ici par le menu tous les sentiments passionnés qu'il étala et toutes les raisons qu'il allégua pour l'y faire résoudre, non plus que les honnêtes résistances qu'y fit Javotte, et les combats de l'amour et de l'honneur qui se firent dans son esprit : car vous n'êtes guère versés dans la lecture des romans, ou vous devez savoir vingt ou trente de ces entretiens par cœur, pour peu que vous ayez de la mémoire. Ils sont si communs que j'ai vu des gens qui, pour marquer l'endroit où ils en étaient d'une histoire, disaient "J'en suis au huitième enlèvement", au lieu de dire : "J'en suis au huitième tome." »

Citons également l' du roman de Diderot, Jacques le fataliste (1796) :
« Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. »

Dans cet extrait comme dans l'ensemble du roman, Diderot joue avec les conventions romanesques : il mime les questions traditionnelles du lecteur et refuse délibérément d'y répondre. Le de ce roman est omniscient (comme c'est souvent le cas), mais au lieu de tout dire des personnages, de leur passé et de leurs sentiments, il joue justement de son omniscience pour dérouter le lecteur.
Faire les tests
2. À quelles conventions s'attaquent les romanciers du début du xxe siècle ?
De nombreux grands romans du xxe siècle témoignent de recherches formelles et thématiques qui mettent en cause le genre : Ulysse de James Joyce (1914-1921), À la recherche du temps perdu de Marcel Proust (qui ne sera publié qu'en 1927), Voyage au bout de la nuit de Céline (1932), L'Homme sans qualités de Robert Musil (1930-1943), L'Étranger d'Albert Camus (1942).
Toutes ses œuvres, chacune à leur façon, mettent en cause les grands traits du genre romanesque : la psychologie des personnages, la notion de héros, la narration linéaire, etc. Chez l'écrivain autrichien Musil ou Céline, par exemple, le héros n'est plus cet être hors du commun, choisi par le destin, ou dont les épreuves forgent le caractère. Il est sans consistance, sans histoire (« sans qualités »), et sa vie n'est constituée que de fragments dissociés, privés de sens.
Faire les tests
3. Qu'est-ce que le Nouveau Roman ?
Au début des années 1950, un petit groupe d'écrivains français remet en cause les principes qui fondent le roman réaliste traditionnel. Ils se nomment Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Michel Butor, Marguerite Duras, etc. Ils appartiennent à la mouvance du « Nouveau Roman » qui constitue peut-être la plus grande crise que le roman ait connue.
Pour ces romanciers, le monde moderne a fait entrer la littérature dans « l'Ère du soupçon » (selon le titre d'un recueil de Sarraute) : on ne peut plus croire aux histoires trop simples qu'on nous raconte et ce « soupçon » s'applique d'abord aux personnages. Ainsi, par exemple, dans cet extrait du Planétarium (Sarraute, 1959) où Tante Berthe se plaint à son frère Pierre de la méchanceté de son fils Alain, puis observe sa réaction : « Il se renverse en arrière... "Ah, sacré Alain va, qu'est-ce qu'il a encore fait ?" Elle sait, elle reconnaît aussitôt ce qu'il regarde en lui-même avec ce sourire intérieur, le film qu'il est en train de projeter pour lui tout seul sur son écran intérieur : [...] lui devenu tout vieux et pauvre, debout dans la foule, là, au bord de la chaussée, serrant contre lui, car il fait froid, son pardessus râpé, et attendant pour voir le beau cavalier (elle sentait à ce moment quelle volupté il éprouvait à voir dans les yeux de l'enfant, sous les larmes de tendresse, de déchirante tendresse, briller des éclairs d'orgueil), le conquérant intrépide, dur et fort, traînant tous les cœurs après soi..., etc. »
Ce texte montre comment le personnage de Berthe est happé dans l'univers intérieur de l'autre, et comment l'écriture romanesque est elle-même entraînée par la force du « tropisme » : on passe de l'intérieur de Berthe à l'intérieur de Pierre, lui-même fasciné par Alain ; les propos que Berthe se tient à elle-même sont écrasés par un magma de citations et de clichés ; le « moi » n'existe plus en lui-même. Du coup, il devient impossible d'articuler, comme le faisait Balzac, les histoires à la volonté d'un personnage placé au centre de l'aventure.
Faire les tests
L'histoire et l'espace subissent le même traitement. Les temps se mélangent, l'imaginaire prend le pas sur la réalité, la réalité elle-même se transforme dans d'interminables .
Le Nouveau Roman, sans parvenir à supplanter le roman traditionnel, propose ainsi à des lecteurs curieux des narrations insolites où la force du langage et de l'imaginaire perturbent nos repères et modifient notre vision du monde.
4. Qu'est-ce que l'Oulipo ?
Autre mise en cause du roman, l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) est un mouvement créé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. Leur objectif est d'explorer méthodiquement les potentialités de la langue française et de la littérature. L'une de leurs méthodes consiste ainsi à se donner des contraintes formelles très fortes, comme par exemple rédiger un récit complet sans utiliser la lettre e(c'est le cas dans La Disparition de Georges Perec). De même, Queneau construit le roman Les Fleurs bleues sur un schéma mathématique : divisé en quatre séquences séparées par 175 ans, le roman s'achève en 1964 qui est le moment de l'écriture. L'auteur est alors contraint par son propre schéma à prendre en compte les événements qui se sont produits en 1264, 1439, 1614, 1789 et 1964. Tel est l'un des principes de l'Oulipo : c'est la forme choisie qui impose ensuite des thèmes et construit le récit.
La citation
« Le nouveau roman met en cause, en effet, avec une virulence quasiment croissante au fil des livres, un phénomène d'envergure, franchement ou insidieusement actif dans la plupart des institutions humaines, et peut-être l'objet d'une manière de tabou : le RÉCIT. » (Jean Ricardou, Le Nouveau Roman)
Pour aller plus loin

Faire les tests
Question 1
Parmi les propositions suivantes, lesquelles désignent les conventions du roman « traditionnel » ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
Le héros est un personnage positif.
L'histoire suit une progression linéaire.
Le narrateur raconte à la 3e personne.
Les personnages sont fortement individualisés.
Le récit est réaliste.
Le récit a un cadre spatio-temporel déterminé.
Le dénouement est heureux.
On peut appeler conventions romanesques tout ce qui nous paraît aller de soi, comme par exemple le fait qu'un personnage ait un nom, ou un comportement conforme à son caractère, qu'une histoire ait un début et une fin, etc. Lorsqu'un auteur joue avec ces conventions, il surprend le lecteur, l'invite à s'interroger, à réfléchir, ce qui rend la lecture d'autant plus stimulante.
Question 2
Voici un extrait du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline :
« On découvre dans tout son passé ridicule tellement de ridicule, de tromperie, de crédulité qu'on voudrait peut-être s'arrêter tout net d'être jeune, attendre la jeunesse qu'elle se détache, attendre qu'elle vous dépasse, la voir s'en aller, s'éloigner, regarder toute sa vanité, porter la main dans son vide, la voir repasser encore devant soi, et puis soi partir, être sûr qu'elle s'en est bien allée sa jeunesse et tranquillement alors, de son côté, bien à soi repasser tout doucement de l'autre côté du temps pour regarder vraiment comment qu'ils sont les gens et les choses. »
Complétez l'analyse suivante avec les termes populaire, psychologie, intérieure, décousue et discours.
Écrivez les réponses dans les zones colorées.
Ce passage manifeste l'éclatement de la du personnage : la syntaxe heurtée, , épouse le flux de conscience du narrateur, faisant passer l'affectivité au premier plan, avant même la mise en forme des idées. Dans une sorte de indirect libre, Céline nous fait entendre la voix du personnage et son langage propre, qui est très oral, (« comment qu'ils sont »). Ces procédés lui permettent d'exprimer avec force les sentiments du personnage, sans pour autant se livrer à une analyse traditionnelle de sa psychologie.
Dans ce premier roman qu'est Voyage au bout de la nuit, Céline respecte encore certaines conventions romanesques : le narrateur est clairement individualisé, le récit est assez linéaire, l'histoire a un commencement et une fin. La nouveauté réside avant tout dans le travail de la langue et du style : dislocation de la phrase, emploi d'un langage populaire (mais retravaillé par l'auteur), transcriptions phonétiques, etc. Son objectif est de donner la priorité à la subjectivité, à l'affectivité ; il transcrit le sentiment intérieur de la façon la plus brute possible.
Question 3
Parmi ces trois propositions, laquelle définit le mieux ce qu'est le « Nouveau Roman » ?
Cochez la bonne réponse.
un rejet des conventions romanesques traditionnelles
un mouvement organisé qui se reconnaît dans un manifeste
une remise en cause de la notion de personnage
Le « Nouveau Roman » n'est pas, à proprement parler, un mouvement comme a pu l'être par exemple le surréalisme. Les nouveaux romanciers n'ont pas de chef de file, ni de texte fondateur : simplement, ils se reconnaissent dans la conscience commune de rejeter plus ou moins certains aspects liés au roman traditionnel (psychologie du personnage, chronologie, linéarité du récit).
Question 4
Parmi les romans cités ci-dessous, lesquels appartiennent au mouvement du Nouveau Roman qui apparaît au xxe siècle en France ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
Terra Amata (Jean-Marie Gustave Le Clézio, 1967)
La Route des Flandres (Claude Simon, 1960)
Du côté de chez Swann (Marcel Proust, 1913)
Les Gommes (Alain Robbe-Grillet, 1953)
Les Choses (Georges Pérec, 1965)
Le Planétarium (Nathalie Sarraute, 1959)
Un barrage contre le Pacifique (Marguerite Duras, 1950)
La Vie devant soi (Émile Ajar, 1975)
Le Grand Meaulnes (Alain-Fournier, 1913)
La Modification (Michel Butor, 1957)
Tous les auteurs cités ont publié au xxe siècle. Cependant, seuls certains d'entre eux appartiennent véritablement au mouvement du Nouveau Roman, puisqu'on réunit sous cette désignation un groupe d'écrivains qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont publié leur premier roman aux Éditions de Minuit. Ils se retrouvaient autour du rejet du roman traditionnel, incarné à leurs yeux par le type balzacien. Les autres noms cités leur sont antérieurs (Proust, Alain-Fournier) ou n'appartiennent pas à ce mouvement, même s'ils en ont connu l'influence.
Question 5
En quoi l'extrait suivant illustre-t-il les réflexions des romanciers de la seconde moitié du xxe siècle ?
« Même les plus grands […] n'ont pu que s'approcher, sans l'étreindre vraiment, de ce tissu vivant où s'entrecroisent des milliers de fils, qu'est une destinée humaine. […] Je ne crois pas qu'aucun artiste réussisse jamais à surmonter la contradiction qui est inhérente à l'art du roman. D'une part, il a la prétention d'être la science de l'homme – de l'homme, monde fourmillant qui dure et qui s'écoule – et il ne sait qu'isoler de ce fourmillement et que fixer sous la lentille une passion, une vertu, un vice qu'il amplifie démesurément […]. Ainsi, nous devons donner raison à ceux qui prétendent que le roman est le premier des arts. Il l'est, en effet, par son objet, qui est l'homme. Mais nous ne devons pas donner tort à ceux qui en parlent avec dédain, puisque, dans presque tous les cas, il détruit son objet en décomposant l'homme et en falsifiant la vie. »
François Mauriac, Le Romancier et ses personnages, 1933

Cochez la bonne réponse.
Il attaque l'intrusion de la science dans le genre romanesque.
Il reproche au genre romanesque de réduire le personnage à un défaut ou une qualité.
Il souligne que le genre romanesque est trop éloigné de la réalité.
Avant la naissance du courant du Nouveau Roman, dans les années 1930, des romanciers s'interrogèrent sur le genre romanesque afin de répondre à de nouvelles attentes du public qui réclamait que le roman apporte des réponses à ses interrogations morales et philosophiques. Certains écrivains catholiques, comme François Mauriac, Georges Bernanos ou Julien Green, se sont particulièrement attachés à redéfinir le héros romanesque sous un angle éthique en analysant les problèmes de conscience d'individus confrontés aux exigences de la chair ou aux contraintes morales et politiques. Il semble ici à François Mauriac qu'il faille, sous l'influence de romanciers américains comme Faulkner, remettre en cause les bases mêmes du réalisme romanesque tel qu'il était encore en vigueur au début du siècle, sous peine de ne jamais pouvoir atteindre « ce tissu vivant […] qu'est une destinée humaine ».
Question 6
En quoi l'extrait suivant illustre-t-il le rejet de la narration classique théorisée par le courant du Nouveau Roman ?
« Ce prince était un chef-d'œuvre de la nature ; ce qu'il avait de moins admirable était d'être l'homme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettait au-dessus des autres était une valeur incomparable, et un agrément dans son esprit, dans son visage et dans ses actions, que l'on n'a jamais vu qu'à lui seul ; il avait un enjouement qui plaisait également aux hommes et aux femmes, une adresse extraordinaire dans tous ses exercices, une manière de s'habiller qui était toujours suivie de tout le monde, sans pouvoir être imitée, et enfin, un air dans toute sa personne, qui faisait qu'on ne pouvait regarder que lui dans tous les lieux où il paraissait. Il n'y avait aucune dame dans la cour, dont la gloire n'eût été flattée de le voir attaché à elle. »
Mme de Lafayette, La Princesse de Clèves, 1678

Cochez la bonne réponse.
La syntaxe adoptée est trop classique.
Le personnage décrit est trop éloigné de la réalité.
L'intrigue se déroule à la cour de France.
Un des reproches adressés au roman traditionnel par les romanciers du début du xxe sièle est de proposer des schémas narratifs invraisemblables, car centrés sur des personnages qui n'ont rien en commun avec le lecteur. Certes, les critiques ciblèrent principalement sur le roman de type balzacien, mais on retrouve ici, dans ce roman typique des mœurs du classicisme français, le même type d'éléments : un personnage idéal au sens propre du terme, adulé de toute la cour, hommes comme femmes, n'ayant absolument aucun défaut, bref un être auquel le lecteur moderne ne peut croire et encore moins s'identifier.
Question 7
Parmi les œuvres suivantes, lesquelles ont été écrites par Albert Camus ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
Les Justes
Aurélien
La Chute
La Nausée
Le Mur
L'Étranger
Les Fleurs bleues
Romancier et philosophe, Albert Camus est une figure importante de la littérature française du siècle dernier. Sa conception de l'homme absurde qui vit dans un monde dont il ne comprend pas le sens, dont il ignore tout, jusqu'à sa raison d'être, est constante dans ses œuvres romanesques, théâtrales et philosophiques.
Jean-Paul Sartre est l'auteur de La Nausée et du Mur, romans qui incarnent la philosophie de l'existentialisme. Leurs visions de l'homme ont opposé les deux écrivains jusqu'à la mort de Camus, en 1960.
Aurélien est un roman d'Aragon et Les Fleurs bleues un roman de Raymond Queneau.
Question 8
L'extrait suivant est l'incipit de Voyage au bout de la nuit de Céline. En quoi est-il caractéristique des changements apportés au genre romanesque au xxe siècle en France ?
« Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C'était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l'écoute. « Restons pas dehors ! qu'il me dit. Rentrons ! » Je rentre avec lui. Voilà. « Cette terrasse, qu'il commence, c'est pour les œufs à la coque ! Viens par ici ! » Alors, on remarque encore qu'il n'y avait personne dans les rues, à cause de la chaleur ; pas de voiture, rien. Quand il fait très froid, non plus, il n'y a personne dans les rues ; c'est lui, même que je m'en souviens, qui m'avait dit à ce propos : « Les gens de Paris ont l'air toujours d'être occupés, mais en fait, ils se promènent du matin au soir ; la preuve, c'est que lorsqu'il ne fait pas bon à se promener, trop froid ou trop chaud, on ne les voit plus ; ils sont tous dedans à prendre des cafés crème et des bocks. C'est ainsi ! Siècle de vitesse ! qu'ils disent. Où ça ? Grands changements ! qu'ils racontent. Comment ça ? Rien n'est changé en vérité. Ils continuent à s'admirer et c'est tout. Et ça n'est pas nouveau non plus. Des mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont changés ! Deux ou trois par-ci, par-là, des petits… » Bien fiers alors d'avoir fait sonner ces vérités utiles, on est demeuré là assis, ravis, à regarder les dames du café. »
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932

Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
Il contient du vocabulaire argotique.
Il ne répond pas aux questions que se posent les lecteurs.
Il propose une syntaxe proche du langage oral.
Il s'apparente à une parodie.
Le héros n'en est pas un.
Il met en place un cadre fantastique.
Cet incipit est célèbre car il correspond parfaitement aux bouleversements connus par le genre romanesque au xxe siècle en France. En effet, à l'opposé du roman balzacien si décrié par les auteurs du Nouveau Roman, il ne comporte pas d'entrée en matière traditionnelle : le lecteur est plongé in medias res. À lui de comprendre qui est le narrateur, quand et où l'action prend place, et surtout de quoi il est question : ses attentes de lecture ne sont pas satisfaites.
De plus, Ferdinand Bardamu, le narrateur du roman, est tout sauf un héros traditionnel : il n'est pas à l'origine des actions qui se déroulent dans cette scène, se contente de confirmer ce que son camarade affirme. C'est cette passivité, qui n'est pas sans rappeler celle de Meursault, dans L'Étranger de Camus, qui fait de lui le prototype même de l'anti-héros moderne.
On ne peut pas considérer la présence de mots argotiques (« carabin », « bocks ») comme une marque de la modernité puisqu'on en trouve aussi dans les romans naturalistes et réalistes.
Question 9
Quels sont les indices typiques du Nouveau Roman dans le texte suivant ?
« Wallas introduit son jeton dans la fente et appuie sur un bouton. Avec un ronronnement agréable de moteur électrique, toute la colonne d'assiettes se met à descendre ; dans la case vide située à la partie inférieure apparaît, puis s'immobilise, celle dont il s'est rendu acquéreur. Il la saisit, ainsi que le couvert qui l'accompagne, et pose le tout sur une table libre. Après avoir opéré de la même façon pour une tranche du même pain, garni cette fois de fromage, et enfin pour un verre de bière, il commence à couper son repas en petits cubes. Un quartier de tomate en vérité sans défaut, découpé à la machine dans un fruit d'une symétrie parfaite. La chair périphérique, compacte et homogène, d'un beau rouge de chimie, est régulièrement épaisse entre une bande de peau luisante et la loge où sont rangés les pépins, jaunes, bien calibrés, maintenus en place par une mince couche de gelée verdâtre le long d'un renflement du cœur. Celui-ci, d'un rose atténué légèrement granuleux, débute, du côté de la dépression inférieure, par un faisceau de veines blanches, dont l'une se prolonge jusque vers les pépins – d'une façon un peu incertaine. Tout en haut, un accident à peine visible s'est produit : un coin de pelure, décollé de la chair sur un millimètre ou deux, se soulève imperceptiblement. »
Alain Robbe-Grillet, Les Gommes, Éditions de Minuit, 1953

Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
la rupture narrative
l'emploi du présent
le cadre spatio-temporel est contemporain
l'emploi d'un registre de langue incongru dans la description
Pastiche de roman policier, Les Gommes est l'occasion pour Robbe-Grillet de transformer les règles d'un roman réaliste par excellence. Le personnage de Wallas semble complètement vidé de son essence et pose un regard purement objectif sur tout ce qui l'entoure.
Dans cette description d'un quartier de tomate, devenue célèbre, Robbe-Grillet prend plaisir à stopper net la narration à la fin du premier paragraphe pour se concentrer de manière totalement scientifique sur un quartier de tomate ; l'emploi de ce registre crée un décalage par rapport à la situation et prive l'objet de toute fonction narrative : cette description est donc purement « gratuite », elle n'a d'autre but que d'interrompre la narration.