Fiche n° 4 : accident de car, affaire dite de « la Calade »
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Il semble que l'un des freins aux initiatives pédagogiques que pourraient mettre en œuvre les enseignants quand ils envisagent des sorties scolaires, est la méconnaissance des circonstances précises dans lesquelles un accident scolaire, se produit, voire une interprétation des faits et des conséquences, déformée par le prisme médiatique.
C'est la raison pour laquelle nous allons, dans cette fiche, revenir sur l'accident dit de la « Calade » afin que les contingences exactes et complexes de l'accident soient connues de tous et ne fassent pas l'objet de commentaires divers, quelquefois inexacts qui justifieraient l'annulation de projets pédagogiques forts intéressants pour les élèves.
Il s'agit ici d'un accident routier au retour d'une sortie scolaire, qui avait à l'époque fortement frappé les différents acteurs de la communauté éducative. Cet événement dramatique avait eu comme conséquence la production par le ministère de l'Éducation nationale de plusieurs textes réglementaires.
Les faits
Le 8 avril 1993, à Aix-en-Provence, au retour d'une sortie scolaire de la classe de CM2, où les enfants avaient visité Aigues-Mortes, puis les Saintes-Maries de la Mer, accompagnés de leur institutrice et du directeur de l'école, le minicar qui transporte les enfants doit traverser une voie ferrée.
À proximité du passage à niveau de la « Calade », qui comportant deux demi barrières, le chauffeur, bien que les feux rouges aient été en action, a ralenti mais ne s'est pas arrêté. La deuxième barrière a heurté le toit du minibus.
Le conducteur, après avoir donné un brusque coup de frein a tenté de redémarrer mais sans succès et s'est immobilisé sur la voie ferrée. À ce moment là, le train de la ligne Marseille-Grenoble était à environ 1 km.
L'institutrice a alors ouvert avec difficulté la porte avant droite. Elle est descendue et a fait descendre une partie des enfants et a essayé de pousser le minibus. Le chauffeur essayait de faire redémarrer sans succès son véhicule sans se préoccuper de l'évacuation des enfants, or treize d'entre eux ne pouvaient sortir par la porte avant.
Un adulte (le chauffeur) et trois enfants sont décédés, sept enfants sont blessés et l'institutrice (non blessée), a subi une incapacité temporaire de travail par suite d'une décompensation. Les autres enfants ont bien évidemment été extrêmement choqués.
Les acteurs et leurs responsabilités
Les personnes qui ont été mises en cause dans cette affaire, sur la base des articles 221-6, 221-10 et 222-20 (homicides et blessures involontaires) du Code pénal, sont les suivantes :
  • M. Daniel(1), le chauffeur.
  • M. Marc, vice président délégué du CCAS (centre communal d'action sociale) et président de l'OMASA.
  • M. Pierre, directeur de l'OMASA et attaché territorial.
  • M. Claude, le directeur de l'école.
  • Mme Annie, l'institutrice.
1) Le chauffeur  (mis en examen sur la base des délits d'homicides involontaires et de blessures involontaires)
Ce « chauffeur » était une personne qui n'était pas véritablement un professionnel. Il avait été recruté par la Centre Communal d'Action Sociale de la ville (vice-président : M. Marc) pour un emploi d'aide agent technique à mi-temps et était affecté à un emploi de chauffeur pour de petits transports urbains. C'était une personnalité fantasque et controversée, tel qu'il ressort des nombreuses auditions pratiquées.
En réalité, le vice-président du CCAS, M. Marc, prenant en compte les difficultés de cette personne et l'absence de poste d'employé municipal proprement dit, décidait d'affecter provisoirement le chauffeur à l'OMASA(2), structure beaucoup plus petite, au sein de laquelle il pensait que ses difficultés relationnelles seraient moindres.
Il impose donc le chauffeur, au directeur de la structure, par une mise à disposition au demeurant non concrétisée par un arrêté.
Mais il apparaît que M. Pierre (directeur de l'OMASA) ne savait pas, au départ, comment employer le chauffeur dont l'affectation devait rester provisoire. Il a cependant décidé en accord avec le vice-président du CCAS de lui confier le transport de personnes pendant le mois d'août. À cet effet il a pris en location un minibus. Par la suite, lui a été confiée la charge de transport d'enfants pour les sorties scolaires des écoles implantées sur les sites de développement social urbain, dont l'école des L.
Les transports étaient effectués de manière régulière et apparemment sans incident particulier, jusqu'à ce que soit signalé par lettre (un mois avant l'accident) d'un directeur d'association « des comportements peu responsables et au demeurant inquiétants » du chauffeur assurant la conduite pour des activités au cours du week-end.
La lettre se termine ainsi : « ne pouvant vous joindre directement par téléphone, nous tenons à vous informer que ces agissements sont pour le moins incompatibles avec les responsabilités qui nous incombent. »
S'ajoutent à cela d'autres courriers adressés à M. Pierre (directeur de l'OMASA) qui concernaient le comportement du chauffeur dont l'une, émanant d'un centre de loisirs : « le maintien dans la fonction de chauffeur de ce monsieur est incompatible avec les faits qui lui sont reprochés… », « Je vous demande de prendre le plus rapidement possible des mesures conservatoires qui nous éviteraient tout risque d'incident ou d'accident. »
Les sorties prévues par cette école les 22 et 23 mars n'ont pas été réalisées, celle du 6 avril a été annulée pour d'autres raisons.
En revanche, la sortie prévue le 1er avril a été effectuée et lorsque le chauffeur est venu apporter la facture le 7 avril à l'OMASA, il lui a été rappelé que les voyages étaient annulés.
Le chauffeur à ce moment-là, n'indique pas qu'un autre voyage est prévu pour le 8 avril. De son côté, le CCAS faisait examiner le chauffeur à la fois par un médecin et un psychiatre qui ne mettaient pas avant une pathologie psychiatrique caractérisée.
En outre, il est apparu que le permis de conduire dont ce dernier était titulaire ne lui permettait pas d'effectuer des transports de plus de 15 personnes dans un rayon de 15 km.
2) M. Marc
Il est vice-président délégué du CCAS (centre communal d'action sociale) et président de l'OMASA (association de développement et de coordination de toutes les activités d'ordre social, socio-culturel et socio-éducatif).
Dans le cadre du fonctionnement du CCAS, il a procédé au recrutement du chauffeur. La mise à disposition de celui-ci auprès de l'OMASA ne constituait pas en soi une décision discutable.
Toutefois, il ne pouvait imposer à M. Pierre, directeur de l'OMASA d'accepter la présence du chauffeur.
Les raisons qu'il a invoquées pour expliquer le recrutement d'une personne présentant un état de santé déficient sont crédibles. Le chauffeur était titulaire d'un permis de conduire « poids lourds » et pouvait effectivement occuper un emploi au CCAS pour faire de courts transports de personnes en villes ou pour porter des colis.
Toutefois en tant que président de l'OMASA(3), il ne pouvait se décharger sur M. Pierre (directeur de l'OMASA) des conditions d'emploi du chauffeur.
C'est lui qui conservait le pouvoir disciplinaire, et se devait de définir précisément avec M. Claude (directeur de l'école), les tâches attribuées au chauffeur et à partir de sa mise à disposition de donner des directives précises et de contrôler la régularité de ces tâches. Il est donc fautif parce qu'il n'a pas :
  • veillé au respect de la suspension de M. Daniel de son activité de chauffeur, notamment en laissant le minibus à sa disposition et en possession des clefs.
  • informé directement le directeur de l'école des L., de la mesure de suspension du chauffeur.
  • examiné la réglementation sur les transports en commun et particulièrement les transports scolaires.
En définitive, le manque de diligence tant au niveau du contrôle de l'activité effective du chauffeur et de la régularité de cette activité au regard de la réglementation, qu'au niveau de l'effectivité de la décision de retrait de l'activité du chauffeur a permis avec d'autres négligences que le transport accidentel ait pu avoir lieu.
La peine sera de dix mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 francs d'amende.
3) M. Pierre
Il est directeur de l'OMASA et attaché territorial, mis à la disposition de cette structure associative restreinte au nombre de 7 salariés dont M. Marc était le président. La fonction statutaire de l'OMASA est le développement et la coordination de toutes les activités d'ordre social, socio-culturel et socio-éducatif sur le territoire de la commune de A.
Or ni dans les statuts ni dans la présentation de l'OMASA, n'est fait état de l'organisation directe de transports quels qu'ils soient.
Il avait le devoir à partir du moment où il connaissait les potentialités d'un danger de tout mettre en œuvre pour éliminer tout risque : cela impliquait des instructions écrites au chauffeur, des avis écrits d'annulation des transports programmés et adressés aux écoles. Sachant que le chauffeur était imprévisible, un avis écrit d'interruption des activités de transports pour l'avenir et le retrait du véhicule s'imposait.
Or M. Pierre ne s'est pas assuré que le message de la suspension de conduite était bien passé dans toutes les écoles mais encore il n'a pas pris la seule mesure qui permettait d'assurer que l'ordre était bien exécuté, à savoir le retrait du véhicule. Il s'est contenté de donner des instructions à sa secrétaire et des affirmations du chauffeur.
Il a commis à la fois une erreur d'appréciation et une négligence qui sont en relation de causalité directe et certaine avec l'accident.
La peine sera de dix mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 francs d'amende.
4) M. Claude
Il est le directeur de l'école : à la date des faits aucun texte réglementaire ou administratif n'imposait de prescriptions particulières pour ce type de sorties d'école d'une seule journée.
À ce titre quelques observations : le directeur de l'école a consulté le conseil des maîtres et le conseil d'école qui a accepté le projet de sorties pédagogiques avec ce prestataire, le coût étant moins élevé pour les familles. L'offre avait été faite pour des transports de 21 places soit 20 enfants et un instituteur.
Or les factures démontrent que ce chiffre n'était pas toujours respecté : à plusieurs reprises, ont été pris en charge 24 enfants et une accompagnatrice, 23 enfants et un accompagnateur…
À l'époque une circulaire du 20 août 1976, relative aux sorties et aux voyages collectifs d'élèves, signale que pour les voyages collectifs, il appartient aux chefs d'établissement d'évaluer le nombre d'accompagnateurs nécessaires compte tenu de l'importance du groupe, de la durée du déplacement, des difficultés ou des risques que peut comporter le parcours suivi par les élèves.
Ce texte mentionne que cette obligation incombe aux chefs d'établissements, qui ne sauraient se déclarer étrangers aux problèmes de sécurité des enfants qui lui sont confiés. Quelque soit le sérieux ou la maturité des élèves d'une classe, il est clair que le risque d'un incident ou d'un accident dans lequel des dispositions d'urgence doivent être prises, doit toujours être envisagé. Un groupe d'élèves doit être accompagné d'un nombre suffisant d'adultes pour faire face à des situations qui impliquent autorité, directives précises et exécution rapide.
Telle est d'ailleurs la pratique générale des écoles qui reçoivent le soutien des parents accompagnateurs bénévoles. Il apparaît de bon sens qu'un instituteur qui peut être lui-même victime d'un incident ne soit pas laissé seul avec un groupe de 20 enfants… Et il est étonnant que cette règle de bon sens n'ait pas été envisagée.
En revanche il ne saurait être fait obligation au directeur d'école de vérifier l'état du véhicule alors qu'il n'a aucune compétence à ce titre, ni d'exiger du chauffeur la présentation de son permis ou de la carte violette du véhicule. De telles investigations excèdent les compétences techniques et / ou juridique d'un directeur d'école.
Par contre, il est responsable de la sécurité des élèves et doit prendre les précautions nécessaires pour que les conditions du transport soient conformes aux exigences normales de sécurité. Or l'offre de service avait été faite pour 20 personnes plus un adulte. Il aurait dû dans ces conditions s'en référer à son autorité de tutelle pour savoir s'il était possible d'accepter un dépassement.
En pratique lorsque la classe de 23 élèves prenait place la configuration montre qu'à l'évidence aucune évacuation d'urgence n'était possible. Si l'on ajoute qu'en raison de l'absence d'un accompagnateur supplémentaire autre que l'instituteur (même si cela n'a pas été imputé au directeur), l'évacuation était encore plus difficile, le risque était encore accru.
Le directeur a accepté ce risque alors qu'il aurait dû s'opposer à de tels transports.
C'est une négligence qui est en relation de causalité avec l'accident même si celle-ci reste médiate. De plus, il n'a pas exigé de l'OMASA une proposition écrite définissant les conditions du transport scolaire et ne s'en est pas référé pas à l'autorité de tutelle.
La peine contre le directeur de l'école sera de dix mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 francs d'amende.
5) Mme Annie
L'institutrice est entendue à titre de témoin : les parties civiles avaient cependant mis en évidence que le nombre des enfants dépassait le cadre réglementaire, qu'elle avait accepté d'être seule accompagnatrice alors que les règlements imposaient un accompagnateur pour 10 élèves et que la présence d'un autre encadrant aurait permis d'évacuer un plus grand nombre d'enfants, enfin qu'elle a eu un comportement inadapté.
Elle sera relaxée.
Commentaires concernant le véhicule
L'expertise a établi que :
  • les freins arrière droits étaient défectueux,
  • le dispositif de redémarrage du moteur était complexe,
  • le verrouillage de la porte arrière ne fonctionnait pas,
  • cette porte arrière ne pouvait être ouverte de l'extérieur,
  • l'évacuation complète des 23 enfants et de l'institutrice par la seule porte avant  droite nécessitait 30 secondes, alors que l'évacuation par les deux portes ne prenait que 15  secondes,
  • ce délai aurait été suffisant, s'il avait été décidé très rapidement de sortir par les deux portes.
Quant à la réglementation applicable au véhicule employé au transport en commun de personnes (carte violette), elle mentionne le nombre de voyageurs autorisés. Dans le cas précis elle mentionne : « transport en commun d'enfants de moins de douze ans. » L'article 52 de l'arrêté du 29 août 1984 concernant les transports en communs d'enfants de moins de 12 ans prévoit que :
  • tout siège transversal sans accoudoir central prévu pour deux personnes peut servir pour trois enfants de moins de 12 ans,
  • il en résulte que le véhicule loué ne pouvait sur les trajets de plus de 50 km de distance totale être utilisé comme en l'occurrence avec 3 enfants sur une banquette de deux sièges et qu'il n'y aurait pas dû y avoir plus de 20 enfants.
On notera, loin s'en faut que tout n'était pas très clair quant à l'entretien de ce véhicule mais il n'est pas démontré qu'un défaut de ce type soit une cause certaine de l'accident.
Les faits datent de 1993, le jugement de 1998, c'est à dire avant la loi Fauchon, (loi sur la définition des délits non intentionnels, 10 juillet 2000). Cette information n'est pas anodine dans la mesure où l'issue du jugement, après cette loi pénale plus douce que celle alors en vigueur (1996), n'aurait sans doute pas été la même.
Nous pouvons donc penser avec le tribunal que l'origine immédiate de l'accident incombe au chauffeur qui ne s'est pas arrêté dans la barrière du passage à niveau alors que la signalisation et l'abaissement de cette barrière étaient visibles. L'origine médiate de l'accident tient à des causes multiples et complexes, dont les liens de causalité avec l'accident, ont été exposés.
C'est à la suite de cette décision judiciaire largement commentée, que deux circulaires ont été produites : celle n°97-178 du 18 septembre 1997 et celle n°99-136 du 21 septembre 1999 qui réglementent strictement les sorties scolaires dans les écoles maternelles et élémentaires publiques.
Un texte supplémentaire s'y ajoute, déjà mentionné dans de précédentes fiches : la circulaire n°2005-001 du 5 janvier 2005 : séjours scolaires courts et classes de découvertes dans le premier degré.
Il s'avère que la connaissance réelle des causes des accidents contribue à une meilleure appréciation des risques si tel est le cas, mais en aucun cas à la suppression pure et simple de ce type d'activités de découverte, très enrichissante pour les élèves.
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur le transport scolaire, vous pouvez consulter le site de l'ANATEEP (www.anateep.asso.fr), Association nationale pour les Transports éducatifs de l'Enseignement public. Cette association, proche de la MAIF, s'est donné pour objectif d'améliorer la qualité et la sécurité dans les transports scolaires. Elle est reconnue comme association complémentaire de l'enseignement public.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.
(1)Les noms ont été rendus anonymes.
(2)OMASA : association pour le développement et coordination de toutes les activités d'ordre social, socio-culturel et socio-éducatif.
(3)Attention : ne pas confondre le directeur de l'OMASA et le président de cette même structure qui sont deux personnes différentes.