Corrigé
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Commentaire du sujet
Pour bien comprendre le sujet, il semble opportun d'interroger la notion de justice scolaire en recourant à son antithèse : l'injustice scolaire. En effet, interroger ce qui peut être considéré comme injuste permet de dégager des arguments d'analyse pertinents pour examiner l'organisation de l'École en France, qui repose depuis sa création sur le principe d'un accès équitable pour tous à l'éducation.
Que serait l'injustice scolaire ?
Il s'agit d'abord de la « discrimination éducationnelle », qui désigne le fait de ne pas avoir accès à l'éducation scolaire pour divers motifs, ce qui est contraire aux droits de l'homme et aux droits de l'enfant ainsi qu'aux valeurs de la République française. Le droit à l'éducation est valable pour tout enfant à partir de trois ans vivant sur le territoire français, qu'il soit de nationalité française ou non.
Mais l'injustice ne s'arrête pas à cela : sont considérés comme injustes au regard des principes énoncés par les droits de l'homme, la pauvreté, l'exclusion sociale, l'instabilité politique, les inégalités de santé, la discrimination. Les inégalités scolaires constituent également une forme d'injustice : elles traduisent une répartition inégale des biens distribués par l'école (parcours d'apprentissage, diplômes, compétences). Cette injustice, qui prive un certain nombre d'élèves d'un accès égal aux biens scolaires, semble incompatible avec les valeurs républicaines et le principe d'équité qui fonde la répartition des biens sociaux et culturels en France. Notre démocratie repose en effet sur le principe de l'État-providence, qui vise à compenser les inégalités sociales de départ, celles qui distinguent les individus selon leur origine et leur position sociale.
À l'inverse, le juste dans notre système politique est donc conçu comme l'équitable, c'est-à-dire ce qui se manifeste, à l'École, par l'égalité des chances et se traduit dans certains dispositifs sous la forme de la discrimination positive, fondée sur des critères objectifs visant la compensation des inégalités sociales de départ. Pour mieux comprendre ce système, on peut se référer à la philosophie politique de John Rawls et à sa théorie de la justice.
Les politiques d'équité visent donc à compenser ce qui, au départ du parcours scolaire, n'est pas juste, d'un point de vue moral. Notre conception du bien public repose donc sur l'idée que chaque individu a un droit égal à accéder aux positions sociales valorisées, et que c'est à l'État de compenser ce qui pourrait empêcher cette égalité d'accès. S'ajoute également la question du mérite : dès lors que chacun est mis sur un pied d'égalité grâce au principe d'équité, chacun obtiendra ce qui lui est dû selon son mérite.
D'un point de vue moral, il n'est pas acceptable que certains élèves ne disposent pas de conditions de vie suffisamment décentes pour bénéficier des biens scolaires. Il n'est en effet pas juste que certains enfants aillent à l'école le ventre vide et ne puissent, de ce fait, suivre correctement les apprentissages. Il n'est pas non plus juste que certains soient privés de toit. Ces critères de jugement sont fortement ancrés dans les politiques éducatives, bien que la situation réelle soit tout autre : il y a en effet toujours sur les bancs de l'école des élèves qui subissent une précarité sociale, que l'École seule ne peut résoudre. Néanmoins, elle tente de compenser ces inégalités, d'une part en donnant plus de moyens scolaires à ceux qui en ont le moins, sous la forme de bourses par exemple, d'autre part en leur permettant d'acquérir les comportements qui seront propices à leur insertion sociale. En promouvant la mixité, par exemple grâce à la carte scolaire, l'institution permet aux élèves les moins favorisés d'acquérir les codes de ceux qui le sont le plus. En outre, notre système scolaire reposant sur la méritocratie, il est juste que les plus méritants, quel que soit leur milieu d'origine, soient placés dans les conditions les plus favorables pour exploiter toutes leurs compétences.
Par ailleurs, ce sont bien ces codes, règles et normes que le sujet nous demande de traiter. Dans l'État de droit, les citoyens ont des droits mais ceux-ci sont associés à des devoirs. Si j'ai le droit de conduire, j'ai le devoir de m'assurer que les autres ne sont pas mis en danger par ma conduite. Si je commets des infractions aux règles de conduite, je serai sanctionné pour retrouver un comportement conforme à ce que la société attend de moi. Les sanctions, dans leur sens général, visent à faire cesser et à signaler le franchissement des normes, qui met en danger la pérennité du corps social. Dès lors qu'un comportement est publiquement identifié comme nuisible, il est sanctionné dehors par la justice et à l'intérieur de l'établissement par les adultes qui représentent la société. Évidemment, toutes les infractions aux normes ne sont pas sanctionnées, ni nécessairement punies. Parfois, un simple dialogue suffit à remettre l'élève dans « le droit chemin ». Le règlement intérieur établit ce qui est tolérable ou non, et met en garde grâce à l'échelle des sanctions. Les règles sont ainsi rendues publiques, mais elles sont aussi considérées comme justes, puisqu'elles mettent en œuvre une gradation mais aussi une individualisation. La règle s'applique en fonction de l'acte commis mais aussi en fonction des spécificités de l'individu, qui a en outre le droit de se défendre.
Les punitions et les sanctions scolaires sont donc réglementées.
Textes réglementaires :
Mais ces réglementations ne suffisent pas, des règles implicites doivent également être acquises. Ce qui n'est pas puni n'est ni forcément juste moralement ni tolérable dans un espace commun. Si la punition et la sanction doivent être explicitées, des règles implicites doivent également être observées pour ne pas s'exposer à la sanction ni à la punition.
Les règles explicites peuvent être exemplifiées comme suit : un élève en retard doit-il être puni ? C'est le cas dans de nombreux établissements lorsque ce comportement est réitéré. Mais quel en est l'objectif, est-il juste de punir les retards ? Être à l'heure est une règle explicite, fixée dans le règlement intérieur des établissements scolaires, mais qui s'applique aussi dans le monde extérieur, ne serait-ce que pour prendre un train. En permettant à l'élève de devenir plus autonome, la sanction et la punition guident l'individu pour qu'il acquière les normes communes.
Les règles implicites sont les normes de comportement habituelles et coutumières : on ne punira pas un élève qui ne dit pas bonjour, mais on s'attend à ce qu'il le fasse, c'est pourquoi on lui rappellera de le faire. Ce sont des compétences à acquérir au sein de l'École, à défaut d'avoir été acquises en dehors. Philippe Perrenoud, dans Métier d'élève et sens du travail scolaire (1994), montre que l'élève navigue entre l'implicite et l'explicite dans l'acquisition de curricula, qui se déclinent ainsi : formel, réel, caché. L'École fixe des objectifs, l'élève en assimile une partie, et ses pairs transmettent implicitement des codes au sein même du milieu scolaire. Chaque élève s'adapte à ces trois curricula, ce qui lui permet de devenir un être sociable, prêt à affronter le monde économique et politique. L'implicite est tout ce que le corps social transmet sans que nous en ayons réellement conscience mais qui permet au groupe de se maintenir. On pourra se référer à la question des représentations collectives chez Émile Durkheim pour approfondir.
Une autre piste d'analyse mérite d'être explorée dès lors qu'il est question de punitions et de sanctions, c'est celle de l'autorité. Le but de l'autorité est d'asseoir le cadre politique au sens grec du terme polis, la cité, c'est-à-dire le cadre de vie en commun. On respecte l'autorité des institutions parce que l'on sait que chacun fera de même, mais aussi parce que ces dernières protègent nos activités individuelles. C'est l'acquisition de ces règles qui nous rend autonomes. Si nous abandonnons le droit de nous gouverner nous-mêmes à une autorité supérieure, c'est parce que nous faisons confiance à cette dernière pour régler les conflits, c'est le cas notamment avec l'institution judiciaire. Dès lors, à l'école, les parents abandonnent une partie de leur droit à l'éducation de leurs enfants à la société, car ils sont conscients que les règles sociales doivent être acquises à un niveau qui n'est plus seulement celui de la famille. Ainsi, trois institutions éduquent : la famille, l'École, la société. Chacune a autorité à éduquer mais toutes le font sous des formes différentes. L'École a la tâche de transmettre des savoirs communs, qu'il s'agisse de connaissances ou de comportements (savoirs, savoir-faire, savoir-être). Ici intervient également la question de la justice scolaire : c'est parce que l'École a autorité pour éduquer les enfants, qu'on lui fait confiance pour mettre en place la justice, d'une part dans le règlement des conflits, et d'autre part dans la distribution équitable des moyens d'accès aux positions sociales valorisées. L'équité est doublement illustrée : dans la répartition et l'adaptation des sanctions (au sens général), mais aussi dans la répartition des biens scolaires (connaissances et compétences).
Enfin, dès lors que l'on s'interroge sur la justice et sur les sanctions, il semble difficile de faire l'économie d'une réflexion sur la question de la violence. Les premières violences scolaires (atteintes physiques graves entre élèves ou vis-à-vis du personnel), apparues à une échelle inhabituelle dans les années 1990, nécessitent de soulever la question de la perturbation anomique, comme on le verra dans le devoir. La réglementation des punitions et sanctions scolaires fait en effet suite à un nombre important d'atteintes à l'ordre public scolaire par des comportements parfois proches de ceux de la délinquance adulte. Le sentiment de perte de sens de l'expérience scolaire, mis en évidence par des sociologues tels que François Dubet, provoque un sentiment d'injustice vis-à-vis de l'institution, qui se manifeste dans des comportements violents dont il faut traiter à la fois les conséquences et les causes. Les conséquences sont traitées sous la forme de l'échelle des sanctions et des principes du droit, les causes sont évaluées à l'aune de la question du climat scolaire, dont découle la problématique de la justice scolaire, ou encore du bien-être à l'école.
La question de la justice scolaire est donc intimement liée à celle du climat scolaire, dont les origines sont assez anciennes (presque 40 ans en arrière). Elle est présente dans les textes qui encadrent le fonctionnement du système éducatif français, notamment dans les textes du pédagogue Éric Debarbieux et dans le
texte de référence Éduscol reproduit ci-après :
Conseils de présentation de la copie
Le plan en trois parties a le mérite de favoriser la clarté en évitant l'effet catalogue que produisent trop d'arguments mis bout à bout dans un plan en deux parties. L'opportunité de rédiger deux transitions dans le plan en trois parties permet de rappeler au correcteur l'essentiel de la partie précédente de façon à faciliter sa lecture.
La construction de la copie doit être équilibrée : 3 parties, 3 ou 4 sous-parties (ou paragraphes) dans chacune des parties, une transition entre les parties 1 et 2 et 2 et 3, une introduction et une conclusion. La forme est importante pour la qualité de l'évaluation. Titres et sous-titres ne doivent évidemment pas apparaître dans la copie. Un paragraphe débute par un retrait de première ligne et on ne doit sauter de ligne qu'entre les parties. Les sous-parties devront faire référence à un point bibliographique et à une référence réglementaire ou historique.
Nous attirons votre attention sur la construction de l'introduction, première image que se fait le jury de la qualité de la copie. Une introduction claire se déroule en quatre temps : un paragraphe pour la contextualisation du sujet, un paragraphe pour sa reformulation, un paragraphe pour la problématique et enfin un paragraphe pour l'annonce du plan.
Dernier point important : la qualité de l'écriture, du style et de l'orthographe. Pour une meilleure lisibilité, il est préférable d'écrire au stylo à bille noir. Il faut également veiller à garder du temps pour se relire et à varier le vocabulaire en utilisant des connecteurs logiques, pour montrer l'enchaînement des idées.
Introduction
Les récentes études Pisa montrent que les inégalités entre les élèves les plus performants et ceux qui le sont le moins en mathématiques et en langues se creusent, non seulement en termes de performance scolaire, mais aussi d'inégalités socioculturelles. Or, une École juste, depuis la loi d'orientation de 2005, est une École qui repose sur la promotion de l'égalité des chances. L'École doit donc s'appuyer sur une politique compensatoire d'équité qui met en exergue le principe selon lequel c'est à l'État de compenser les inégalités sociales de départ : autrement dit, donner plus à ceux qui ont moins, de façon que tous puissent réussir. Ce postulat repose sur l'idée développée par Philippe Meirieu de l'éducabilité de tous : si tous les élèves possèdent au départ les mêmes capacités à apprendre, leurs conditions de vie y sont parfois moins propices. L'École, en offrant des conditions de réussite justes, c'est-à-dire qui prennent en compte les difficultés de chacun, se veut juste également en formant des citoyens capables de jouer leur rôle social et politique. Le rôle de l'École est fondamentalement de créer une unité autour de valeurs et de savoirs qui permettent à chacun de se sentir lié aux autres et de promouvoir la paix en société.
La question de la justice scolaire repose sur la double acception du mot « juste » : il s'agit à la fois d'une question institutionnelle – ce que la loi autorise ou interdit, et la manière dont on règle les conflits – et d'une question d'équité dans l'organisation du système scolaire. Or, la justice comme institution repose sur la juste répartition des peines en cas de manquement aux règles établies. Elle exerce une fonction normative car elle impose le respect des règles et réprime les comportements susceptibles de troubler l'ordre public et de porter atteinte au bien commun. Toutefois, cette distribution des peines doit être équitable : elle doit tenir compte de la nature des atteintes commises, du profil de leur auteur, et des motifs qui conduisent à l'infraction. La justice scolaire semble donc s'organiser autour de deux pôles : d'une part, il s'agit de permettre à l'ordre scolaire de s'établir et de conserver ses objectifs qui visent à préserver le fonctionnement de la vie en commun ; d'autre part, de mettre en œuvre une politique d'équité qui vise à compenser les inégalités entre les élèves afin qu'ils puissent développer leurs potentialités dans les meilleures conditions. Par conséquent, il faut pour cela que la sanction soit éducative, comme le préconise Eirick Prairat dans Sanction et socialisation (2002). La sanction vise à réinscrire l'élève dans un ordre juste, à développer sa responsabilité vis-à-vis de ses actes et des conséquences de ces derniers sur les autres et sur le fonctionnement de l'institution scolaire. Une sanction paraîtra donc juste si elle est équitable, explicite et qu'elle permet à l'élève de comprendre pourquoi son acte ne s'inscrit pas dans le respect du cadre commun, qui est celui de l'école mais aussi, au-delà, celui de la société. L'État doit à chaque élève le droit à une scolarité la plus épanouie et la plus complète possible, en s'assurant que toutes ses capacités sont exploitées. Être juste, dans ce cas, c'est faire en sorte que la règle commune s'adapte également à l'élève dans sa particularité. La politique des punitions et sanctions ne fait pas exception : il faut que celles-ci soient proportionnelles à la faute commise, qu'elles entrent dans le cadre de la légalité, qu'elles soient individualisées, et il faut que l'élève puisse se défendre (principe du contradictoire) et exposer son point de vue. Ainsi, pour être juste, une punition ou une sanction doit respecter ces principes qui encadrent le droit et la législation en général. Une sanction paraîtra alors juste si elle est équitable, que l'on a pris en compte l'individualité de l'élève et que son objectif est de le réinscrire dans le cadre commun.
La justice scolaire repose donc sur la prise en compte de l'individualité dans la transmission des savoirs et des savoir-faire dans le cadre d'une politique inclusive. Mais elle se fonde également sur l'idée qu'il faut transmettre des savoir-être en société par le biais du cadre réglementaire que représente le règlement intérieur. Le citoyen en devenir qu'est l'élève doit donc acquérir via son expérience scolaire le respect des règles du vivre-ensemble. L'école, en tant que cadre protecteur, permet par sa politique de punitions et de sanctions à l'individu comme au groupe de faire l'expérience des règles de vie et du droit, et de s'y confronter.
On se demandera donc dans quelle mesure la justice scolaire trouve sa légitimité auprès des élèves non par sa simple dimension légale, mais parce qu'elle guide leurs pratiques communes au sein des EPLE, donne du sens à l'expérience scolaire et organise la vie sociale dans le respect de l'institution et des personnes.
Dans une première partie, nous étudierons les fondements de la justice scolaire et son sens dans l'organisation de la vie en commun, puis nous montrerons en quoi les évolutions sociétales et politiques ont influé sur l'École et la répartition juste des moyens alloués à l'éducation. Enfin, nous verrons comment l'organisation de la discipline au sein des EPLE permet à la nation de former des citoyens conscients de leurs droits et devoirs.
1. Fondements de l'idée de justice scolaire
La question de la justice est aussi ancienne que celle de la formation des États et autres communautés politiques. Déjà, le philosophe Aristote s'interrogeait dans
Éthique à Nicomaque sur la question de l'adaptation des lois générales aux cas particuliers, autrement dit à l'équité ou justice distributive. Ainsi, la justice en tant qu'institution politique n'est pas suffisante pour rendre justice, il faut aussi que le magistrat fasse preuve de justice, en tant que vertu morale. Celui qui vole pour nourrir sa famille ne doit pas être jugé de la même façon que celui qui vole pour son plaisir ou simplement pour nuire à autrui. La question de la justice est donc double, et cette dualité prend un sens particulier lorsqu'il s'agit de l'École et de l'éducation. D'une part, les élèves sont en formation, ils ne sont donc pas aptes seuls à prendre des décisions et à exercer leurs droits, cela demande un apprentissage. D'autre part, même si le sentiment d'injustice, comme on peut le voir dans les
expériences effectuées sur les animaux supérieurs comme les singes paraît bien naturel, le sentiment de la justice semble l'être moins. Nous aurions donc à titre personnel une tendance à être injustes en privilégiant nos propres intérêts. Ainsi, ce qui nous pousse à être justes, c'est peut-être le regard des autres, c'est notre vie sociale qui détermine la façon dont nous agissons les uns à l'égard des autres.
Il faut donc, comme l'explique Kant dans
Réflexions sur l'éducation (1803), que l'enfant soit dans un premier temps « dressé » par la sanction, ou du moins la punition. On fait depuis 2000 une distinction entre les deux dans le droit français : une punition peut être donnée par tout adulte chargé de l'éducation des élèves dans un établissement scolaire, en revanche, une sanction est prise par le seul chef d'établissement, qui représente la loi, et est inscrite (pour une durée certes limitée) dans le dossier scolaire de l'élève. La question d'une contrainte imposée dans l'éducation est intéressante s'agissant de sanction et de punition. En effet, dans toutes les sociétés, les comportements qui dévient de la norme ou de la règle sont signifiés comme tels à leur auteur et on y met un terme. Le juste est alors incarné par le chef ou par les institutions, qui prononcent une sanction pour réinscrire l'individu dans le groupe. La sanction, du latin
sanctio, signifie peine ou punition : il faut donc que celui qui a porté atteinte au groupe en transgressant les règles communes reçoive une sanction, souvent conçue comme réparatrice du lien social, même si l'action ne touche en réalité qu'un seul individu. En portant atteinte au bien de la société, qui s'exprime sous la forme des règles de conduite, le « criminel » nuit à l'ordre général. Il est donc sanctionné dès lors que le groupe souffre de l'atteinte commise. L'École, en tant que microsociété, telle que l'analyse Émile Durkheim dans
L'Évolution pédagogique en France (1938), fonctionne avec des normes qui permettent à chaque élève de s'insérer socialement. Dès qu'une de ces règles est enfreinte, il s'expose à la sanction du groupe. En revanche, certaines infractions sont tolérées à des moments bien précis, lorsqu'elles ne font que renforcer la cohésion du groupe : c'est notamment le cas de ce que l'on nomme le chahut traditionnel (Jacques Testanière,
Revue française de sociologie, 1967), comme faire des grimaces dans le dos du professeur. La perturbation de la classe reste alors limitée à des rires étouffés, qui cessent dès que l'on se remet au travail.
Un autre degré d'analyse nous pousse à explorer la piste de la violence. Les infractions à la norme font violence au groupe. Elles provoquent des perturbations, parfois intolérables, dans le fonctionnement normal de la société. Le « dressage » que manifeste la punition ou la sanction a donc pour visée de juguler la violence inhérente à l'être humain. C'est de la violence des pulsions qui nous animent dont il s'agit en réalité. L'homme est un être de nature double, il est animé à la fois par le sens de la justice et par ses désirs et pulsions, qui l'inclinent à se méfier voire à agresser l'autre, si celui-ci refuse de se plier à la satisfaction de ses désirs. À l'école, la violence qui s'exprime est double également : il y a la violence des individus qui ne parviennent pas à se plier aux normes, et la violence de l'institution, qui répartit inéquitablement les conditions d'accès aux positions sociales. La question du mérite est violente, car elle empêche ou du moins rend plus difficile à ceux qui sont les plus faibles, les moins performants d'atteindre le même niveau socio-économique que les autres.
Cette violence dite institutionnelle ne s'arrête pas là : selon l'ouvrage Apprendre des scolarités abîmées (sous la direction de Régis Félix, 2024), le système confondrait la difficulté scolaire et la précarité sociale. Les témoignages recueillis dans cet ouvrage montrent que l'École peine à exploiter les compétences transversales, qui ne se limitent pas aux purs savoirs scolaires. Seuls les enseignants qui parviennent à exploiter et à motiver des élèves en grande précarité sont considérés par les témoins comme de bons enseignants. Or, une école juste devrait pouvoir prendre réellement en compte les deux extrémités de la masse des élèves scolarisés entre 3 et 16, voire 18 ans. C'est pourquoi la différenciation pédagogique se met progressivement en place depuis 2005, et depuis trois ans sous la forme des groupes de besoins au collège en 6e et 5e.
François Dubet analyse la question des inégalités dans son ouvrage L'École des chances. Qu'est-ce qu'une école juste ? (2004) et montre à quel point l'égalité des chances ne compense pas l'inégalité des places à la sortie du système scolaire. En effet, même si le nombre de sortants sans diplôme s'est réduit en 20 ans, ils sont malgré tout environ 90 000 à ne pas avoir de qualification à l'issue de la scolarité obligatoire. La démocratie française s'est construite autour de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui énonce dans son article premier que « tous les hommes naissent libres et égaux en droits ». La question de l'égalité est donc au centre de notre système politique, mais elle a, avec l'avènement de la démocratie moderne, pris une tournure différente de celle envisagée au départ. C'est ce que nous verrons dans la seconde partie.
Dans cette première partie, nous avons vu que fondements de l'École et fonctionnement de l'École pouvaient entrer en contradiction. Le sentiment d'injustice génère des comportements violents qui portent atteinte à l'ordre public que représente l'institution scolaire. Certains élèves ne trouvent pas de sens à leur expérience scolaire, ce qui remet en cause les fondements bienveillants et moraux de l'École publique, qui se veut un espace unificateur et transmetteur de valeurs communes. La conception du bien commun est en effet fragilisée lorsque certains élèves ne parviennent pas à conscientiser la finalité de leur expérience scolaire. Si avant les crises économiques des années 1980 et les suivantes, il était relativement facile de s'insérer dans la société française sans diplôme, celui-ci a depuis pris une place prépondérante dans l'attribution des places sociales. L'École est donc malgré elle au centre des complexités économiques que connaissent les démocraties modernes. Dans la partie suivante, nous tenterons de donner quelques éclairages sur ces processus, pour mieux comprendre la question du juste et son lien avec l'organisation des sanctions scolaires.
2. Rapport de l'École et de la société : sanctuarisation versus évolutions sociétales
Dès le xixe siècle, un philosophe français, Alexis de Tocqueville, analyse les effets de l'esprit démocratique aux États-Unis dans De la Démocratie d'Amérique (1835-1840). Tocqueville observe que si le principe d'égalité est bien au fondement des démocraties modernes dans son sens formel – les hommes sont égaux en droit –, cela ne signifie pas pour autant qu'ils soient réellement égaux, ne serait-ce que dans leurs compétences. Pourtant, la passion de l'égalité telle que la qualifie l'auteur, incline les hommes démocratiques à se vouloir égaux en tout. À l'école, en effet, comme le dira Hannah Arendt dans La Crise de la culture (1961), ce désir égalitaire tend à niveler les attentes scolaires vers le bas. Ainsi, loin de générer la réussite de tous, en posant des objectifs élevés, il conforte les plus faibles dans leurs faiblesses et pousse les plus forts à ne pas exploiter toutes leurs compétences pour ne pas sortir du lot. Or, cette logique contredit les principes sur lesquels repose l'École républicaine en France. Celle-ci, depuis 1975, se démocratise non dans le sens exposé par H. Arendt mais bien pour que le plus grand nombre d'élèves aient accès aux mêmes savoirs et aux mêmes chances de réussite.
Hannah Arendt qui, dans l'ouvrage déjà cité, analyse également la crise de l'autorité, montre que les institutions autrefois organisatrices de l'espace social et politique souffrent d'un manque de crédibilité en raison même de cette fausse promesse d'égalité réelle. En effet, si on laisse trop les enfants se gouverner eux-mêmes, on les abandonne et on refuse d'assumer la responsabilité du monde commun dans lequel on les a fait entrer. En refusant d'assumer l'autorité liée à la transmission des savoirs au profit de l'apprentissage par le jeu, on fragilise la transmission de la culture commune.
Ceci n'est pas sans rappeler les polémiques autour de la loi d'orientation de 1989, qui entendait « mettre l'élève » au centre, loi quasi concomitante des premières violences anomiques dans les établissements scolaires qui ont conduit les gouvernements successifs à refonder l'éducation prioritaire mais aussi les plans de prévention violence. On constate aujourd'hui dans les études statistiques sur le malaise enseignant que les plans de prévention paraissent parfois inefficaces, du moins au niveau individuel. Même si le sentiment d'insécurité des élèves a tendance à baisser depuis quelques années selon Éric Debarbieux, comme en témoignent les enquêtes de victimation, les cas médiatisés en raison de leur caractère spectaculaire – comme cet enfant de 11 ans récemment trouvé avec un couteau – montrent que le sentiment de sécurité, tout comme le sentiment de justice qui lui est associé, ne sont pas une évidence.
Comme le montrent Bourdieu et Passeron dans La Reproduction (1970), l'École exerce une violence sur le plan symbolique car elle repose sur une culture fondée sur celle des familles des élèves les plus favorisées, c'est pourquoi les politiques de l'éducation prioritaire sont fondamentales. Elles permettent en effet de déconstruire l'idée selon laquelle l'École ne serait faite que pour ceux qui en possèdent déjà implicitement les codes du fait de leur origine sociale. Toutefois, comme le souligne Régis Félix dans l'ouvrage précédemment cité, certains élèves ne supportent pas de rester assis et de recevoir un savoir descendant, quelle que soit la pédagogie utilisée. Ils trouvent injuste qu'on les évalue sur des compétences qu'ils n'ont pas ou parviennent difficilement à acquérir, tant leur expérience de vie ne les prépare pas à affronter le cadre scolaire. Les inégalités sociales de départ, comme le rappelle John Rawls dans Théorie de la justice (1971), ne sont pas toujours suffisamment corrigées par l'institution scolaire, malgré les politiques d'équité, dont l'un des points culminants en France est la loi de 2005 en faveur de l'égalité des chances. L'échec de l'ascenseur social promu par l'École génère chez nombre d'élèves des comportements transgressifs qui manifestent souvent la souffrance ressentie face à l'échec scolaire.
Cette crise de la justice scolaire nous conduit à interroger la question de la violence, déjà évoquée dans le paragraphe précédent. Si les élèves ont perturbé le fonctionnement scolaire dès le xixe siècle, on distinguera avec Jacques Testanière deux types de « violence », auxquelles s'ajoute la violence institutionnelle. Jusque dans les années 1980, l'école fait face à ce que l'auteur nomme le « chahut traditionnel », qui consiste à des moments bien précis à déstabiliser légèrement l'ordre scolaire, comme mettre de la colle sur le bureau de l'enseignant ou cacher les craies. Puis un basculement s'opère dans les années 1980-1990 vers ce qu'il nomme le « chahut anomique ». Le terme « anomique » signifie sans règles ni lois : la violence peut s'exprimer à n'importe quel moment, sans que les personnels puissent l'anticiper ou agir. Elle ne vise plus à ressouder le groupe d'élèves mais à atteindre le sens de l'institution elle-même. C'est à la suite de ces violences incontrôlables et incontrôlées qu'est apparue la nécessité de réviser et d'encadrer les procédures disciplinaires. Le texte fondateur en la matière est la circulaire du 11 juillet 2000, que les textes suivants ont cherché à préciser et améliorer, notamment sur la question des mesures de responsabilisation. Cette circulaire clarifie la distinction entre punitions et sanctions, et, surtout, légalise la sanction en l'inscrivant dans l'ordre général du droit français. Face à la multiplication des violences anomiques, il a fallu les sanctionner pour réaffirmer la sacralité de l'espace scolaire dans sa mission formatrice et émancipatrice. Les intrusions en milieu scolaire sont un bon exemple des tentatives de mettre à bas la sanctuarisation de l'École : les problèmes des quartiers se règlent ainsi partout et tout le temps, faisant fi du caractère protecteur de l'institution.
Ainsi, nous avons vu dans cette partie qu'établir la justice scolaire, ce n'est pas simplement promouvoir l'égalité, c'est aussi donner un cadre à la vie en communauté. L'École en tant qu'antichambre de la société ne fait pas exception aux règles de fonctionnement de celle-ci. Une agression physique est sanctionnée par le droit à l'extérieur, elle le sera aussi à l'intérieur. La publicité de la règle et son uniformisation par les textes permet donc à l'autorité judiciaire de s'imposer dans et hors les murs de l'école. Puisqu'il est difficile d'apprendre dans un espace scolaire troublé, il faut que ceux qui le perturbent soient, par la punition et la sanction, réinscrits dans l'ordre social commun. Ce qui est juste ici, c'est de permettre aux élèves de faire la distinction entre le bien et le mal. Les normes ne servent pas seulement à sanctionner : elles visent également un devoir-être. On sanctionne certes un acte, mais avec l'objectif que la sanction produise un effet sur la construction psychologique et sociale de l'individu.
3. La mise en œuvre de la justice scolaire : sanction, punition, dans quel but ?
De manière concrète, il s'agit de faire vivre les principes de justice au sein des établissements scolaires. Depuis plus de quarante ans, les politiques d'équité concernant l'École n'ont cessé d'être modifiées et améliorées. D'une part, en faisant de la mixité sociale une priorité, notamment par l'aménagement de la carte scolaire, de sorte que les populations se rencontrent davantage et que les échanges culturels soient enrichis à la fois par les élèves les plus favorisés et par ceux qui le sont le moins. La diversité repose en effet sur l'échange de points de vue et permet parfois de belles réussites. C'est ce que montre, par exemple, l'expérience menée dans le xviiie arrondissement de Paris, où un collège relevant de l'éducation prioritaire et un collège ordinaire ont fusionné. L'un accueille les 6e et les 4e, tandis que l'autre accueille les deux autres niveaux de façon alternative. Les populations d'un même quartier, aux profils divers, sont ainsi brassées, ce qui favorise l'évolution positive des uns comme des autres. Et bien que l'initiative peine à être intégralement acceptée par les parents et les enseignants, on constate un effet bénéfique en matière de diversité. L'enrichissement culturel permet en outre l'enrichissement du langage : celui-ci aide à se préserver de la violence physique, souvent occasionnée par une absence voire une incapacité à s'exprimer. C'est pourquoi les sanctions et les punitions doivent être explicitées, c'est-à-dire expliquées à l'aide de mots. (Sur les problématiques liées à l'absence de vocabulaire dans les milieux sociaux moins favorisés, on pourra notamment se référer au film documentaire Et si on levait les yeux ? (2017).)
En outre, l'objectif visé par les établissements, quels qu'ils soient, est l'apaisement du climat scolaire. Ce terme, employé par Debarbieux dès les années 2000, fait partie intégrante des textes qui encadrent le système éducatif et constitue l'un des principaux piliers de l'organisation des établissements scolaires. Différents moyens sont mis en œuvre à l'école pour offrir aux élèves un environnement serein, condition indispensable à l'acquisition des apprentissages. Une école juste est une école où chacun est placé dans les conditions optimales de réussite. Une initiative telle que le petit-déjeuner offert aux élèves, qui pour des raisons diverses, viennent à l'école le ventre vide, renforce le lien des élèves avec leur établissement et leur permet de se concentrer sur leurs apprentissages. On fait ainsi en sorte que les élèves ne soient pas exposés à une double peine : être issus d'un milieu social moins favorisé et en souffrir dans leurs apprentissages. L'amélioration du climat scolaire ne se limite donc pas au renforcement des procédures disciplinaires, bien que celles-ci demeurent essentielles.
Dans cette perspective, la justice scolaire doit être ainsi conçue comme une propédeutique à la justice politique. L'École prépare les futurs citoyens à s'inscrire dans un cadre normatif et réglementaire qui est celui du droit. Être citoyen, comme le souligne Jean-Pierre Obin, c'est détenir un ensemble de droits et de devoirs qui marquent notre appartenance à une communauté politique. C'est donc faire preuve de savoirs, de savoir-faire mais aussi de savoir-être. Ce savoir-être est fondamental, dès lors que l'on ne vit ni ne travaille seul. C'est le droit qui organise les rapports sociaux, qui règle les conflits entre les membres de la société. Dans sa mission de transmission, l'École ne peut omettre l'objectif d'établir le bien commun. Or, celui-ci, d'un point de vue politique et juridique, n'est pas la somme des intérêts particuliers. Si tel était le cas, les conflits seraient nombreux. Ainsi, à l'École, il faut que la règle s'applique à tous, en tenant compte certes des besoins de chacun, mais en protégeant d'abord contre les comportements de nature à mettre en péril l'ordre scolaire et social. Cette règle est rendue publique par le règlement intérieur mais aussi par les différentes chartes qui lui sont adjointes : numérique, de la laïcité… Ainsi, tout ce qui est susceptible de porter atteinte au fonctionnement du groupe appelle une réponse normative qui vise à réinscrire celui qui a un comportement déviant dans le groupe. Toute punition et toute sanction doivent être explicitées, c'est-à-dire expliquées et surtout comprises par celui qui les reçoit.
C'est la transparence de la règle qui prime ici : nul n'est censé ignorer la loi, comme l'affirme le philosophe Thomas Hobbes dans son ouvrage Le Léviathan (1651). C'est là l'œuvre de l'éducation publique. Cette règle est au fondement de nos démocraties modernes, et l'École, en tant qu'elle donne les clés d'une compréhension de la loi, est le lieu le plus propice pour faire comprendre le fonctionnement de la justice. Ainsi, c'est à l'École que l'on apprend la règle. Cela demande néanmoins des aménagements, car les élèves sont en cours de formation, ce sont des citoyens en devenir. Pour cette raison, les mesures de responsabilisation sont toujours favorisées comme alternative à la sanction, si l'acte commis permet une réparation de cette nature. La responsabilité est un pilier de la justice : lors d'un procès, on cherche à dégager les responsabilités, à identifier si les actes commis l'ont été volontairement ou non. On fait aussi en sorte que chacun prenne ses responsabilités et reconnaisse avoir enfreint la règle. Cela n'est pas différent en milieu scolaire, où les futurs citoyens doivent être non seulement éclairés mais aussi responsables. Celui qui commet un acte violent à l'égard de l'institution ou des personnes (personnels comme élèves) est rappelé à la règle par une sanction éducative, comme le montre E. Prairat dans Sanction et socialisation. La sanction doit être organisée autour de principes éthiques, qui permettent à l'élève de s'inscrire normativement dans la communauté scolaire à laquelle il appartient. L'acte commis est considéré comme une erreur que l'on peut corriger de la même façon que dans le cadre de l'apprentissage des disciplines scolaires. L'égalité devant la loi exige que chacun soit considéré comme responsable de ses actes, et l'école est le terrain d'apprentissage de ces règles. Ainsi, la sanction et la punition relèvent à la fois de la prise en compte de l'égalité formelle (en droit) et de l'équité. C'est pourquoi les sanctions obéissent aux principes suivants : la légalité, l'individualisation, la proportionnalité et le contradictoire. Chacun mérite une sanction juste. Plus elle est équitable, mieux elle sera comprise, et plus vite l'individu pourra être réintégré au groupe. L'autonomie, entendue comme la capacité à se donner soi-même des lois, ne signifie pas que chacun édicte ses propres règles. Bien au contraire, être autonome suppose d'avoir fait siennes les règles existantes, parce qu'on comprend qu'elles sont les plus à même d'organiser notre conduite. Ainsi, le citoyen éclairé sait pourquoi il se plie aux normes et aux lois : elles représentent le bien, pour lui-même et pour la société.
Sujet corrigé réalisé par Élodie Azambourg, Conseillère principale d'éducation à Paris.