I. Question relative aux textes proposés (11 points)
L'éducation des filles a toujours été un témoin clé des progrès – ou des régressions – des sociétés modernes, qu'on envisage cette question du point de vue des libertés fondamentales, ou plus spécifiquement de celui de l'égalité hommes-femmes. Le dossier, qui présente comme principal atout de confronter des textes issus de différentes périodes historiques, semble dessiner, en filigrane, une forme de tendance vers une meilleure condition féminine, tout en montrant les entraves à cette révolution culturelle. C'est ce que l'on remarque à travers, d'une part, les écrits essayistes de Fénelon (Traité de l'éducation des filles, 1689) et de Jean-Jacques Rousseau (Émile ou De l'éducation, 1762), et, de l'autre, le récit romanesque d'Émile Zola (Pot-Bouille, 1882), ou encore l'entretien autobiographique d'Annie Ernaux (Le Vrai Lieu, 2014).
D'une manière générale, les regards que portent les auteurs sur ces questions oscillent entre deux mouvements qui sont encore, de fait, d'actualité : d'un côté, une éducation empreinte de préjugés discriminants à l'égard des filles et des jeunes femmes, et, de l'autre, l'apparition de formes d'émancipation qui, sans aboutir pour autant à ce que l'un des auteurs appelle une « révolution » culturelle, témoignent d'une évolution qui va dans le bon sens.
On sent, à la lecture du Traité de Fénelon, combien l'éducation des filles ne s'est pas imposée tout de suite comme allant de soi : l'auteur classique semble contredire la doxa de son époque qui consiste à survaloriser l'instruction des garçons, au détriment de celle des filles, dont « on suppose », nous dit l'auteur, qu'un tel effort d'égalitarisme est d'une faible utilité sociale. Fénelon n'en institutionnalise pas moins cette différence de traitement, en parlant des femmes, avant tout, comme d'une « aide » pour leurs maris. Pourquoi, en fin de compte, voudraient-elles ressembler aux hommes, se demande Rousseau, qui dans l'Émile préconise de laisser l'éducation des filles aux femmes elles-mêmes. En séparant ouvertement les genres féminin et masculin, Rousseau conforte l'idéologie suivant laquelle les « qualités » des uns et des autres ne sont pas compatibles, bien qu'elles s'avèrent d'après lui complémentaires. C'est ainsi que l'on doit comprendre l'affirmation du philosophe suivant laquelle les facultés des hommes et des femmes, sans se mélanger, « se compensent ». Les partisans d'une équité entre les deux sexes sont d'ailleurs décrits comme des « galants », avec tout le mépris que cela implique pour la condition féminine.
Zola, quant à lui, traite dans Pot-Bouille de la question de l'assujettissement des filles dans un récit teinté d'ironie : caricaturée conformément aux tendances du roman naturaliste, Mme Vuillaume représente l'obscurantisme au biais duquel l'éducation des filles est soumise à un « plan d'éducation », dont les principaux objectifs consistent à mettre les jeunes femmes à l'écart de la tentation, mais aussi des pratiques culturelles et des tâches intellectuelles. Cela vaut également pour la religion, qui doit se cantonner à garantir un « frein moral » aux abus auxquels les filles viennent naturellement. Suivant les propos de Mme Vuillaume, les filles ne grandissent pas comme les garçons, l'étude ne pouvant remplacer les restrictions, à tel point qu'elle recommande de « cacher les journaux » et de « fermer la bibliothèque ». Autant d'entraves qu'A. Ernaux dénonce dans ses entretiens avec Michelle Porte, entretiens au cours desquels elle n'hésite pas à évoquer une « domination » masculine, une « suprématie » dont les principales garantes semblent être les femmes elles-mêmes. En effet, qu'il s'agisse de la maîtresse décrite par A. Ernaux, de la mère de Marie mise en scène par Zola, de la communauté féminine dissimulée derrière le « on » raillé par Fénelon, ou encore de la « mère judicieuse » apostrophée par Rousseau, les traditions sont bien ancrées.
De ce fait et comme le montre clairement le dossier, l'émancipation féminine est un combat de chaque jour. Même si Fénelon fait mine de se moquer de celles et ceux qui estiment que les femmes doivent se borner à s'occuper de leur ménage, il n'en suggère pas moins de tenir les femmes à l'écart de la politique, de la philosophie et de la théologie, qui « ne leur conviennent pas ». Une prise de position encore plus dogmatique apparaît chez Rousseau, qui borne les femmes à la séduction, à l'esthétique, si ce n'est à la « toilette », à laquelle elles passent « la moitié de leur vie ». Pourtant, là où le premier admet que « la nature leur a donné en partage l'industrie, la propreté et l'économie », le deuxième ne voit pas ce qui doit nous empêcher de « les instruire ». Les femmes, selon Rousseau, ont un esprit « agréable et […] délié » que n'ont pas la plupart des représentants de la gente masculine. Quand Zola, dans son roman, décrit combien l'éducation des filles est avant tout, pour Mme Vuillaume, une corruption, et comment les œuvres romanesques et l'accès des filles à la culture sont critiqués par Pichon, c'est pour ridiculiser d'autant ces opinions anachroniques. De même, s'agissant de l'éducation intellectuelle, Zola évoque les « leçons expurgées » pour mieux vanter ensuite les mérites, à travers ce qu'en dit M. Vuillaume, d'un roman de George Sand, tandis que le personnage d'Octave Mouret s'insurge contre le fait que Marie n'ait pas encore « touch[é] du piano ».
Les romans de femmes occupent d'ailleurs une place prépondérante pour l'émancipation féminine : A. Ernaux revient ainsi sur ce que lui a apporté la lecture du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, qui l'a plongée dans « quelque chose d'immense », dont en particulier l'histoire du mouvement féministe. Certes, Rousseau lui-même s'oppose à ce que les femmes soient élevées dans l'ignorance, mais c'est chez A. Ernaux que cette libération, notamment par « l'étude, le jeu, la lecture », s'exprime le plus ouvertement. Cela étant, l'auteure contemporaine n'est pas dupe, et va jusqu'à déplorer que les femmes, même à l'aube du xxie siècle, soient constamment renvoyées, précisément, à leur « identité » de femmes. Le chemin de l'égalité, en toute vraisemblance, est encore semé d'embûches.
III. Analyse de supports d'enseignement (13 points)
1. Le premier support d'enseignement proposé (document 1) consiste en une liste d'exercices correspondant à des séries de deux questions, avec à chaque fois, d'une part, la question de compréhension elle-même et, d'autre part, une incitation au repérage des éléments confirmant ou non les hypothèses formulées. Ces exercices s'accompagnent d'un texte support : une des
Nouvelles Histoires pressées de Bernard Friot (2007 ; document 2). Dans l'ensemble, il s'agit de travailler en particulier la compétence de
compréhension littérale.
La complémentarité entre ces deux supports d'enseignement (pré-)suppose par ailleurs la prise en compte de deux domaines d'apprentissage qui s'avèrent directement liés, sur le plan pédagogique, l'un à l'autre :
- celui de la lecture elle-même (les Programmes parlent de « compréhension de textes informatifs et documentaires », mais aussi « littéraires », à l'occasion de quoi « l'élève apprend à comprendre le sens d'un texte en en reformulant l'essentiel et en répondant à des questions le concernant ») ;
- celui relevant du langage oral (l'élève « apprend à tenir compte des points de vue des autres, à utiliser un vocabulaire précis appartenant au niveau de la langue courante, à adapter ses propos en fonction de ses interlocuteurs et de ses objectifs », ibid.).
2. Dans le document 1, le rôle pédagogique de la question « Quels sont les mots du texte qui t'ont permis de répondre ? » est très nettement d'apporter, le cas échéant, une corroboration de la première compréhension de l'élève. Autrement dit, cette question a pour objectif de confirmer, d'infléchir ou d'infirmer la réponse donnée en « atelier » sur la « fiche élève ». Ce que ne dit pas le document (qui n'expose aucunement l'organisation du dispositif, les modes d'intervention de l'enseignant(e) et des élèves, ni les démarches pédagogiques à l'œuvre), c'est que le fait même qu'il s'agisse d'ateliers favorise précisément l'échange entre pairs sur cette deuxième partie des « exercices ».
Rappelons que les Programmes, pour ce qui concerne la rubrique de la littérature au cycle 3, suggèrent que « les élèves rendent compte de leur lecture, expriment leurs réactions ou leurs points de vue et échangent entre eux sur ces sujets […]. Les interprétations diverses sont toujours rapportées aux éléments du texte qui les autorisent ou, au contraire, les rendent impossibles ».
Le rôle pédagogique de cette question « spécifique » est bien d'amener les élèves à être en capacité de formuler des réponses en les présentant de manière claire et concise, ainsi que d'utiliser les éléments du texte afin d'en prélever les informations essentielles dans le cadre d'« un questionnaire précis ».
3. Pour un travail sur la compétence de compréhension littérale, l'on pourrait utiliser conjointement les deux documents, qui constituent des ressources pédagogiques complémentaires, en vue d'aboutir peu à peu à une compréhension fine des inférences contenues dans le texte littéraire.
Les cinq « exercices » du premier document, qui traitent de thématiques, mais aussi d'univers fictionnels différents, fonctionnent comme des supports de sensibilisation et de première (ré)appropriation des mécanismes de compréhension textuelle. Ils ne peuvent néanmoins, en l'état, être réinvestis pour une investigation du texte des Nouvelles Histoires pressées.
Sans doute conviendrait-il de sélectionner quelques-uns des exercices, en ateliers puis en groupe classe, tout en se laissant la possibilité d'une pratique individualisée des exercices restants auprès d'élèves en difficulté. Il va de soi, en revanche, que le même dispositif (question liminaire puis confirmation ou infirmation des hypothèses de lecture) est directement applicable à la lettre inventée par B. Friot. On peut imaginer par exemple un premier travail sur le registre de la lettre, avec son paratexte spécifique (situation, apostrophe, PS et PPS, salutations) et ses marques d'interlocution (les pronoms « je », « me », « vous » ; les interjections ; les marques flexionnelles du verbe, comme dans « demandez » ou « dites »), ainsi que les tonalités expressives. De même, les questions ritualisées telles que celles représentées dans le document 1 s'appliquent au cadre fictionnel de la lettre (l'enfant écrit depuis la « planète Mars », dispose de « satellites espions », vit auprès de Martiens « super sympas »). Cela concerne aussi les effets de sens que s'efforce de produire le scripteur, dont celui de la distance « interplanétaire » avant tout (en témoignent les « micros longue distance », les consignes contenues dans les post-scriptum, mais également la description des « choses un peu bizarres » que constituent les us et coutumes de la population locale, à partir du 3e paragraphe).
Un autre ancrage pour une démarche analogue concerne la question de la situation familiale, vraisemblablement tendue, qui constitue le véritable objet thématique de ce courrier imaginaire : à partir de la moitié du premier paragraphe, le lecteur comprend les causes du départ de l'enfant vers ce monde fictif (la dispute avec les parents, le « 9 en géographie »).
Les questions de compréhension littérale sont en soi un point de départ opportun pour une lecture interprétative, qui passe autant par l'explicite que par l'implicite, tout en dégageant la plupart du temps de vrais enjeux d'analyse littéraire. On imagine ainsi facilement la mise en place, lors d'une séance suivante, d'un débat d'interprétation, lequel forme, rappelons-le, l'une des pierres angulaires de la « construction d'une première culture littéraire » (Programmes de 2008).
4. a) Un texte comme celui du document 2 présente toutes les garanties d'une bonne préparation au débat interprétatif. Les Documents d'application des programmes, Littérature cycle 3 en donnent l'orientation pédagogique comme suit : « le sens n'est pas donné, il se construit dans la relation entre le texte, le lecteur et l'expérience sociale et culturelle dans laquelle celui-ci s'inscrit (la signification d'une œuvre n'est pas intangible) ». Un tel débat permettra de mettre au jour les ambiguïtés du texte et de confronter les interprétations, éventuellement divergentes, des élèves.
b) À l'occasion d'une activité d'écriture montée à partir de la question « Où se trouve Félicien ? », l'on pourrait demander aux élèves de livrer leurs hypothèses (sous forme de liste), en les incitant, pourquoi pas, à préciser leurs attentes par rapport au récit (au vu du paratexte ou de certains implicites, par exemple).
En mettant l'accent sur l'écriture narrative, et compte tenu du fait que Félicien décrit Mars, ses habitants et certains traits de leur culture, il serait judicieux de proposer aux élèves d'écrire la réponse des parents, là encore sous forme épistolaire, en ateliers.
On peut aussi encourager les élèves à initier ou poursuivre un « carnet de lecture » pour conserver un passage ou noter une réflexion, et ainsi se donner les moyens d'une relation plus intime avec le livre. L'élève, davantage impliqué dans les événements de l'histoire, la conduite de la trame narrative, la construction du personnage de Félicien, serait ainsi invité à dépasser le seul caractère anecdotique du texte littéraire, tout comme le permet l'utilisation du « livre voyageur » dans un réseau interclasses. Dans ce dispositif, il donne son avis et décrit ses impressions, éventuellement les fait circuler et les expose.
Enfin, on peut évidemment amener les élèves à inventer une suite à cette partie de l'histoire en respectant des consignes de rédaction, autrement dit en utilisant un vocabulaire acquis, ainsi que les outils tels que le dictionnaire (et/ou l'encyclopédie, puisqu'il s'agit de Mars). La lettre suivante aurait des chances, par exemple, de relater une petite « expédition », certes stimulante pour Félicien, mais d'autant plus inquiétante pour ses parents…