Le 17 mars 2008, le baccalauréat
(1) fêtait ses deux cents ans. La commission des affaires culturelles du Sénat a saisi cette occasion pour faire l'état des lieux de ce « monument national », véritable pierre angulaire de notre système éducatif. Son obtention consacre l'ensemble de la scolarité primaire et secondaire et ouvre les portes de l'enseignement supérieur ou de la vie active.
Nul doute que ce diplôme occupe dans l'imaginaire collectif français une place singulière : « le baccalauréat », diplôme de référence dans les esprits en France, n'a pas de réel équivalent étranger et il n'existe pas d'autres pays où la fin de scolarité secondaire soit à ce point ritualisée.
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Croissance des effectifs
La croissance des effectifs du baccalauréat a connu une très forte accélération au sortir de la seconde guerre mondiale. En quelques années, le nombre de bacheliers reçus est passé ainsi de 28 644 en 1946 à 49 101 en 1959.
Loin de se ralentir, la démocratisation s'accélère encore au tournant des années 1960, car six ans plus tard, ce nombre a doublé et on compte désormais 105 839 nouveaux bacheliers. En moins de 20 ans, les effectifs annuels de reçus à l'examen ont donc presque quadruplé. Cette première étape de la démocratisation, particulièrement soudaine, s'explique par les très fortes transformations que connaît alors l'économie française : les besoins en qualification de la France des Trente Glorieuses ne sont plus ceux de la France rurale de l'entre-deux-guerres.
La réforme de 1959
La réforme du baccalauréat de 1959 renforce le cœur disciplinaire de l'examen, en intégrant des disciplines qui jusqu'ici étaient restées largement optionnelles (histoire-géographie, physique-chimie ou sciences de la vie et de la terre). Des humanités modernes, fondées sur la maîtrise d'exercices essentiellement réflexifs, le passage est confirmé à une promotion de la culture générale, qui s'exprime par la maîtrise extensive d'un large spectre de savoirs disciplinaires.
La croissance des effectifs de l'enseignement secondaire fait toutefois naître des difficultés de plus en plus redoutables : le quasi-doublement du nombre de candidats rend en effet de plus en plus difficile l'organisation matérielle de l'épreuve, qui a été conçue au moment où le baccalauréat concernait quelques dizaines de milliers d'élèves (tout au plus).
Le baccalauréat, comprend toujours deux parties, deux sessions chaque année, (l'une en juin, l'autre en septembre), qui comportent chacune un écrit et un oral. Deux parties, deux sessions, deux étapes : les modalités du baccalauréat sont donc particulièrement lourdes et dans un contexte de forte croissance des effectifs et l'organisation du baccalauréat devient un véritable défi.
Les années 1960
À partir de 1963, l'examen va donc progressivement s'alléger : la session de rattrapage est supprimée, tout comme l'oral, qui sera désormais réservé aux seuls candidats n'ayant pas été reçus à l'issue des écrits, mais dont la moyenne des notes obtenues est supérieure à sept sur vingt. La dissociation des deux parties est abandonnée. Dans un premier temps, les épreuves de la première partie sont remplacées par un examen probatoire organisé au sein de chaque établissement.
La loi du 11 juillet 1975, dite « loi Haby »
Avec l'adoption de la loi du 11 juillet 1975 relative à l'éducation, dite « loi Haby », l'enseignement secondaire entre dans l'ère de la démocratisation. La conséquence mécanique de la création du collège unique entraîne l'augmentation progressive du nombre d'élèves dans les lycées. L'époque est en effet à la spécialisation la plus fine possible des filières et chacune des séries se subdivise en d'infinies variantes. Le baccalauréat entre ainsi dans une phase d'éclatement, caractérisée par la multiplication des séries et des options.
Ce processus atteint son terme avec la création du baccalauréat professionnel. Dès juillet 1984, le Gouvernement de M. Laurent Fabius fait de la formation professionnelle le ressort de la modernisation du pays. Quant au ministre de l'Éducation nationale d'alors, M. Jean-Pierre Chevènement, il prend conscience, lors d'un voyage au Japon, de l'élévation générale du niveau de qualification qui se profile. L'organisation du travail est en effet en train d'évoluer et il faut, pour répondre à ces transformations, faire évoluer de manière très significative le système de formation.
Un mot d'ordre est alors lancé : « 80 % d'une génération au niveau du baccalauréat », l'ambiguïté de la formule tenant moins à la distinction entre l'accession à la terminale et l'obtention du baccalauréat qu'au souci de ne pas anticiper sur la forme prise par le diplôme professionnel qui viendra sanctionner des études professionnelles vouées à s'allonger.
La loi d'orientation de juillet 1989
La loi d'orientation du 10 juillet 1989 consacre cet objectif dans son article 3 : « La Nation se fixe comme objectif de conduire d'ici dix ans l'ensemble d'une classe d'âge au minimum au niveau du certificat d'aptitude professionnelle ou du brevet d'études professionnelles et 80 % au niveau du baccalauréat. »
En effet, dans les 10 années qui suivent la première évocation de cet objectif, les effectifs des lycées connaissent une croissance aussi forte que subite. Cette augmentation concerne l'ensemble du secondaire et se traduit par un afflux d'élèves dans toutes les séries. En 1985, il y a en effet 376 435 candidats au baccalauréat, dont 251 217 dans les filières générales et 125 218 dans les filières techniques.
En 1995, ils sont 639 007, dont 372 619 dans les séries générales, 177 268 dans les séries technologiques et 89 120 dans les séries professionnelles.
Le nouvel objectif consacré par le Gouvernement trouve donc un indéniable écho dans l'opinion et dans la communauté éducative. Il déborde toutefois largement la filière professionnelle et conduit à une brusque augmentation du nombre de lycéens et de bacheliers : le secondaire tel que nous le connaissons, est alors véritablement né.
Les différentes filières du baccalauréat général et technologique sont profondément revues, avec un double objectif :
- limiter la croissance des filières scientifiques qui tendent à devenir très largement prédominantes parmi les baccalauréats généraux,
- moderniser les différentes filières générales et technologiques qui ne répondent plus nécessairement aux différents besoins économiques et sociaux. Le baccalauréat général s'ordonne donc désormais autour de trois séries : littéraire (L), économique et sociale (ES) et scientifique (S). La traditionnelle dichotomie séparant les disciplines littéraires et les matières scientifiques se trouve ainsi surmontée : pour la première fois, les sciences économiques et sociales se voient reconnaître une place éminente. Le baccalauréat technologique est quant à lui restructuré autour de quatre séries :
- sciences médico-sociales (SMS),
- sciences et technologies industrielles (STI),
- sciences et technologies du laboratoire (STL),
- sciences et technologies tertiaires (STT).
Les filières technologiques font actuellement l'objet d'une profonde rénovation, destinée à mettre mieux en rapport les programmes d'enseignement et les besoins des secteurs professionnels auxquelles elles préparent. La section STT est ainsi devenue depuis 2007, le baccalauréat sciences et technologies de la gestion (STG), la section SMS correspond désormais au baccalauréat sciences et technologies de la santé et du social (ST2S), qui sera délivré pour la première fois en 2009. Par ailleurs, une rénovation des filières STI et STL est à l'étude depuis plusieurs années.
Évolutions et transformations
La signification de ces transformations correspond au passage d'une vision cumulative et encyclopédique des savoirs à la juxtaposition de champs culturels, beaucoup moins hiérarchisés. Ces derniers tendent à définir la culture générale validée par le baccalauréat comme la rencontre, autour de valeurs cardinales (la rationalité, la citoyenneté, l'ouverture au monde, le patrimoine, la créativité, le développement durable, etc.) qui mettent à contribution les méthodes de plusieurs disciplines. La logique du baccalauréat, comme celle des programmes de l'enseignement secondaire, reste disciplinaire. La question se pose moins en termes de « territoire » disciplinaire, de périmètre de savoirs monopolisés par une discipline bien protégée par ses frontières, qu'en termes de complémentarité autour de méthodes et d'objets de connaissances.
En deux cents ans, le baccalauréat a été régulièrement mis en cause. Dès ses premières années d'existence, son niveau fait l'objet des plus grandes inquiétudes et depuis lors, cela n'a jamais cessé, témoignant par là de l'importance symbolique qui lui est accordée.
Si le baccalauréat ne signifiait rien, les connaissances et les compétences dont il certifie l'acquisition n'auraient que peu d'importance. Le rituel offert par le baccalauréat est irremplaçable : sa nature même d'examen national, passé au même instant et sur les mêmes sujets par tous les candidats, en fait un rituel à la fois social et égalitaire. Le baccalauréat est loin d'être une formalité pour les jeunes adultes qui le préparent. Seuls 18,4 % des lycéens trouvent le baccalauréat facile. L'immense majorité des élèves éprouve ainsi une certaine inquiétude, voire une inquiétude certaine, à l'idée de le passer. Le baccalauréat général, référence implicite de tous les discours critiques portant sur l'examen, ne concerne quant à lui qu'un peu plus de 34 % des jeunes français.
Quant au taux de réussite, s'il est sans doute élevé, il doit être ramené au nombre de candidats pour prendre sa pleine signification : en 2007, 626 000 candidats passaient le baccalauréat et parmi eux, 521 000 l'ont obtenu, ce qui signifie donc que 105 000 élèves ont échoué.
Mais le baccalauréat ne vient pas seulement sanctionner l'achèvement des études secondaires, il est également le premier grade de l'enseignement supérieur.
Aucune distinction n'est donc établie entre les différents baccalauréats : tous confèrent le grade universitaire de bachelier, y compris le baccalauréat professionnel, dont la vocation principale, (il est utile de le rappeler) mais non unique, est l'insertion professionnelle. L'article D. 337-51 du Code de l'éducation dispose ainsi que « la possession du baccalauréat professionnel confère le grade universitaire de bachelier. Elle atteste que ses titulaires sont aptes à exercer une activité professionnelle hautement qualifiée ».
Or si tous les baccalauréats permettent à leurs titulaires d'entamer des études supérieures, ils n'ont pas pour fin de préparer aux mêmes études. Les taux de poursuite d'études sont fort inégaux d'un baccalauréat à l'autre : elle est en effet quasi systématique chez les bacheliers généraux et, dans une moindre mesure, chez les bacheliers technologiques, mais beaucoup moins fréquente chez les bacheliers professionnels.
Dans certaines filières du supérieur, les bacheliers professionnels n'ont des chances qu'assez faibles.
Enfin l'organisation du baccalauréat est ainsi de nature à donner le vertige. Tous les personnels administratifs le confirment : la tâche est d'une complexité inimaginable et requiert rigueur, anticipation et imagination.
Pour certaines disciplines, comme l'anglais, l'allemand ou l'espagnol, plus de 116 sujets seront nécessaires pour les séries générales, auxquelles viendront s'ajouter les 54 énoncés requis pour la voie technologique. Le nombre de sujets requis est d'autant plus important que des sujets de secours sont également élaborés. Ils se substitueront aux énoncés principaux si, pour une raison ou pour une autre, ces derniers venaient à être connus avant l'heure d'ouverture des sujets.
Une fois les projets de sujets rédigés, ils sont « essayés « par au moins deux professeurs de lycée, qui disposent, pour les traiter, d'un temps égal au maximum aux trois quarts de celui de l'épreuve. Ces enseignants sont choisis de manière à représenter la diversité des établissements et du corps professoral. Après avoir pris connaissance des devoirs rédigés par les professeurs et des rapports qu'ils ont remis, ils sont retenus définitivement ou ils sont modifiés. Lorsque ces modifications sont substantielles, les énoncés font l'objet d'un nouvel essai.
Une fois la version définitive du sujet arrêté, c'est-à-dire vers la fin du mois de janvier ou dans les premières semaines du mois de février précédant l'examen, il est présenté au recteur qui a seul compétence pour signer le bon à tirer.
La surface représentée par l'ensemble des énoncés imprimés est impressionnante. Pour la session 2007, le SIEC avait ainsi reproduit et stocké l'équivalent de 6 380 864 pages équivalents A4 noires ainsi que 27 583 pages en quadrichromie. Au total, ce sont ainsi plus de 6 400 000 pages de sujets qui ont été imprimées pour la seule région parisienne…
Conclusion
Le baccalauréat marque l'entrée dans l'âge adulte pour plus de 6 jeunes français sur 10. Il apparaît donc à tous essentiel que ce diplôme reflète bien quelque chose comme un « niveau », jamais réellement défini, mais crucial sur le plan symbolique. C'est ce qui explique que le baccalauréat n'ait jamais disparu. En juin 2008, ce sont en effet 615 625 élèves de terminale et 482 939 élèves de première qui ont passé les épreuves écrites du baccalauréat. Ils ont composé sur près de 4 800 sujets dans environ 3 800 centres d'examen et à l'issue des épreuves, ce sont 4 millions de copies qui ont été corrigées par 150 000 enseignants mobilisés pour l'occasion.
Le baccalauréat soude la communauté nationale autour d'un rituel de passage éducatif. Toutes les familles qui comprennent un enfant en âge de passer l'examen vivent alors au même rythme, les proches du candidat ayant tout autant que lui le sentiment de subir les épreuves. Le baccalauréat est avant tout un examen, et son efficacité se mesure non à la qualité de la sélection qu'il opère, mais à sa capacité à attester de la possession d'un certain niveau de connaissances et de compétences.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.