Buc Ressources, 2008, ES, ME
Dernier essai le - Score : /20
Sujet

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Texte
Dans votre livre, vous vous employez ainsi à casser le mythe du « cancre joyeux ».
Mais comment pourrait-il être joyeux, le cancre ? Voilà un gosse qui, dès le départ, se retrouve sous le feu des regards adultes réprobateurs. Celui, angoissé, de sa famille qui a peur pour son avenir. Celui, hostile, du prof qui lui en veut d'être l'incarnation de son propre échec : un élève qu'il est incapable de faire progresser. Et le prof de se débarrasser de la question en rejetant la faute sur son prédécesseur. Tout le système semble d'ailleurs organisé pour qu'on puisse faire endosser la responsabilité de l'échec aux autres, de l'instituteur du primaire accusant la maternelle, à l'industriel tonnant contre l'université.
Comment pourrait-il être heureux, le cancre ? Où puiserait-il la force de s'en foutre réellement ?
Consignes
Comment interprétez-vous ces quelques lignes de Daniel Pennac, lors d'un entretien à l'hebdomadaire Télérama ?
En quoi cela fait-il écho à vos expériences personnelles et/ou professionnelles ?
Élements de réponses

Élements de réponses

Quelques réflexions autour du « cancre »
  • La figure du « cancre » ne date pas d'hier. Traditionnellement, les « cancres » occupent les places au fond de la classe, et ce, depuis que les enfants sont scolarisés.
  • Couramment malmenés par les enseignants qui pensaient ainsi pouvoir les éduquer (ex. ducere : « les conduire hors de », entendons dans ce cas hors de leur état de « cancre »), ils pouvaient aussi être ignorés par celles et ceux qui avaient baissé les bras et la règle en métal (utilisée, la plupart du temps, pour d'autres tâches que celle qui consiste à tracer droit…).
  • Le « cancre » était stigmatisé – selon le terme actuel –, mais intégré toutefois par une société et une économie dont les processus productifs avaient encore besoin de bras… Il remplissait donc, d'une certaine manière, un rôle social et était reconnu comme tel. Ce rôle se doublait, dans certains cas, de celui de faire-valoir négatif, d'épouvantail brandi par le maître sous le nez de ceux (et pourquoi pas de celles ? Il semblerait que le « cancre » soit essentiellement masculin…) qui seraient tentés par la posture à la fois marginale et intégrée.
  • Le « cancre » moderne change de nom : il devient « enfant (ou adolescent) en difficultés scolaires ». Ces difficultés « font symptômes » et justifient la multiplication des professionnels appointés chargés de les expliquer et, éventuellement, de les résoudre.
  • Le « cancre » est inscrit sur l'agenda politique et social depuis que l'économie n'est plus en capacité d'absorber celles et ceux dont les « compétences » ne correspondent plus à l'évolution des process. Le « cancre » est un chômeur ontologique : le chômage le révèle, le rend visible. La collectivité, fondée sur le savoir et la performance, finit par rejeter, puis par ignorer le « cancre » qui devient transparent, « surnuméraire », même si, de temps en temps, il est élevé au rang « de sujet des préoccupations du gouvernement » et « d'objet de politique publique ».
  • Il lui reste, épisodiquement, la fonction de mauvaise conscience d'une société qui ne peut fournir à chacun de ses membres les couverts nécessaires pour participer au grand banquet de la modernité. L'exercice de cette fonction, souvent localisé dans certaines périphéries urbaines, peut être mené de façon plus ou moins démonstrative.
  • Le « cancre », quand il ne s'embrase pas, déprime, la maréchaussée le réprime, les parents « n'y arrivent plus », les enseignants songent à des reconversions professionnelles… Mais, le « cancre » peut aussi rechercher, et obtenir, la reconnaissance de ses pairs (les autres « cancres ») et participer ainsi à la constitution de micro sociétés (appelées parfois « bandes »…) régies par des règles qui dérogent aux normes dominantes mais qui sont calquées sur elles (ce qui prouve, s'il en était besoin, que le « cancre » peut apprendre de son environnement sous réserve qu'il y trouve un intérêt…).
  • Le « cancre » se révèle alors (au grand dam des pouvoirs publics) organisateur de la vie locale, urbaniste, entrepreneur, chargé du maintien de l'ordre, juge de paix…
  • Une rencontre peut aussi révéler au « cancre » ses potentialités enfouies et le rendre « résilient ».
  • Les travailleurs sociaux, entre autres acteurs, sont, pour certains, missionnés par la collectivité pour faire ce travail de révélation et d'accompagnement à la construction /reconstruction du « cancre » qui trouve alors, parfois, les ressources pour comprendre son état et le désir d'en sortir… Il arrive que des « cancres » repentis taquinent la muse et se mettent à écrire.