Normandie, 2016, ETS
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« Le clair-obscur d'Internet », Laurent Cohen-Tanugi, Pouvoirs N° 97, 2001.
Questions
I. Compréhension de texte (10 points)
1.1 
Dégagez les idées essentielles de cet article de presse. (4 points)
1.2 
Expliquez le sens dans le texte des mots soulignés : (2 points)
  • illicites
  • cybercriminalité
  • atomisation
  • juridique
1.3 
Commentez en une quinzaine de lignes le premier paragraphe du texte « Le réseau… se numérise ». (4 points)
II. Dissertation (10 points)
Peut-on préserver sa vie privée sur Internet ?
Pour répondre à cette question, votre devoir comportera une introduction, un développement avec paragraphes et une conclusion.
Pour cette épreuve, il sera tenu compte de la présentation, de l'orthographe et de la syntaxe (de 0 à -5 points). Aucune feuille de brouillon ne sera acceptée.
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Le clair obscur d'Internet
Le réseau des réseaux permet en effet la diffusion planétaire et quasi instantanée de données de plus en plus nombreuses et variées, l'accessibilité via une pluralité de supports de ce qui ressemblera de plus en plus au patrimoine informationnel de l'humanité, ainsi que la propagation de l'information, de la connaissance et de la démocratie dans les régions politiquement et géographiquement les plus reculées et les plus fermées. Internet et l'interactivité créent également des liens et des usages sociaux d'un type nouveau, favorisant la communication et l'ouverture entre les individus et les communautés. […] Ce règne de la transparence a néanmoins son revers. Internet permet en effet la divulgation immédiate et universelle de toute information, aussi intime ou embarrassante soit-elle et l'accessibilité (souvent gratuite) des contenus les plus divers, y compris illicites, «préjudiciables», ou protégés par des droits de propriété intellectuelle. Le commerce électronique est tout entier fondé sur l'exploitation systématique des données personnelles, qu'elles soient collectées avec le consentement des intéressés ou à leur insu. De plus en plus indiscrètes, les nouvelles technologies de la communication et de l'information restreignent considérablement le champ de la vie privée au fur et à mesure que notre environnement se numérise.
Le secret, la confidentialité sont donc désormais sur la défensive et s'en remettent au droit et à la technologie. Le droit à la vie privée et ses dérivés (droit à l'image, secret des correspondances, etc.) est le socle de toute résistance juridique au spectre de la «maison de verre». Instaurée en France dès 1978, la protection légale des données personnelles est devenue un dispositif clé de la « société de l'information » et un sujet de tension entre l'Europe et le reste du monde.
[…]
Mais la technologie, tout comme le droit, n'est pas invulnérable aux agissements des hackers et autres pirates, et aux systèmes de surveillance des Etats eux-mêmes. Qu'il s'agisse de démanteler les systèmes de sécurité de grands sites, de se livrer à l'espionnage, au sabotage informatique, ou encore à des intrusions intempestives dans un système informatique, les hackers — de l'anglais hack, tailler, mettre en pièces — ont révélé les fragilités du système et sont aujourd'hui responsables d'une croissance exponentielles de la cybercriminalité, qui suscite la mobilisation des Etats et, plus récemment, des entreprises.
Mais les États ne sont pas uniquement victimes de la violation du secret sur Internet. La création du très contesté réseau Échelon, qui regroupe, semble-t-il, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la Grande-Bretagne, permet l'interception de tout type de communication émise dans le monde.
La confidentialité sur Internet serait-elle donc seulement secret de Polichinelle, et les réseaux numériques seraient-ils irréductiblement transparents, au moins aux yeux de Big Brother 1 et d'autres ingénieux disciples ?
[…]
L'environnement numérique n'en opère pas moins quelques déplacements significatifs par rapport à cette problématique. Observons tout d'abord que la relation «chronologique» entre transparence et secret semble s'inverser par rapport au monde réel. Dans celui-ci, le secret est en quelque sorte premier, et la transparence, une conquête sur l'atomisation et la privatisation de la connaissance. Dans la société de l'information, au contraire, la numérisation et la mise en ligne entraînent à priori une publication et une collectivisation des informations de chacun, que la technique et le droit viennent ensuite s'efforcer de limiter ou de cantonner. Le secret protège en quelque sorte la transparence inhérente au cyberespace.
Conséquence de ce qui précède, la culture du Net conduit à expliciter la frontière entre transparence et secret, laquelle, dans l'ère anténumérique, demeurait plus floue. Aujourd'hui, les opérateurs comme les utilisateurs d'Internet doivent afficher ce qui sera (ou doit être) gardé confidentiel et ce qui sera (ou peut-être) divulgué. La diffusion numérique étant potentiellement planétaire, et en tout cas sujette à effraction, se pose systématiquement la question du statut de l'information mise en ligne ou simplement numérisée au regard de la confidentialité, et ce d'autant plus que la diversité des modes de communication sur le Net (one-to-many, one-to-one, many-to-many…) brouille la distinction juridique entre communication publique et correspondance privée. La question des stratégies de communication devient ainsi, dans l'environnement numérique, une nécessité absolue pour résoudre la tension entre désir de communication (ou contraire de publicité pour certaines institutions) et souci de confidentialité, tension qu'illustre par exemple le phénomène des « pages personnelles , sorte de projection volontaire de la sphère privée dans le cyberespace public.
Laurent Cohen-Tanugi
Le clair-obscur d'Internet, Pouvoirs N° 97,2001.