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Sujet

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Thématique
La fraternité
Consignes
Le dossier proposé est composé de trois documents :
Document 1
« Être français aujourd'hui et demain », 10/18, de Ady Steg, 1984, La Documentation française.
Document 2
« Le droit et la loi », de Victor Hugo, 1875.
Document 3
« Fraternité : un désir d'humanité », de Catherine Portevin, Télérama, Hors-Série, mars 2007.
Questions
I. Compréhension de textes (6 points)
1.1 
Dans le document 1, pourquoi le professeur s'adresse, selon vous, aux élèves en disant « mes enfants » ?
1.2 
Dans le document 2, expliquez ce qu'entend Victor Hugo, quand il écrit : « c'est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. ».
1.3 
Dans le document 3, expliquez ce qu'entend Catherine Portevin quand elle écrit : « Il y a celle au nom de laquelle nous tenons à l'État-providence. ».
II. Vocabulaire (2 points)
2.1 
Donnez une définition, dans le document 1, d'« intégration ».
2.2 
Donnez une définition, dans le document 2, de « sépulcre ».
III. Dissertation (12 points)
Les hommes sont-ils frères ?
Dans une discussion ordonnée (introduction présentant une problématique, développement avec paragraphes argumentés, conclusion), vous montrerez votre réflexion sur cette question.
Pour cette épreuve, il sera tenu compte de la présentation, de l'orthographe et de la syntaxe (de 0 à -5 points). En estimant qu'on peut attendre des candidats une maîtrise correcte de l'écrit, le correcteur pourra pénaliser (max. 5 points) les travaux non satisfaisants.
Textes
Document 1
Je suis né en Slovaquie, dans les fins fonds de la Slovaquie, peut-on dire, dans ce qu'on appelait la Ruthénie subcarpatique, au bout du monde en quelque sorte. Je suis arrivé en France en 1932, gamin. J'avais tout pour plaire à l'époque ! J'étais juif, métèque, classé globalement dans la catégorie des Moldovalaques, dans Gringoire(1) ou dans Je suis partout(2). Par conséquent, j'avais tous les facteurs de rejet, si vous voulez.
Eh bien, je suis rentré à l'école communale et la notion qui m'apparaît maintenant en vous parlant, c'est que très rapidement à l'école communale, je me suis senti français. J'ai appris à lire et à écrire comme mes camarades, j'ai joué aux billes comme eux, j'ai reçu les « témoignages de satisfaction » qu'on donnait à l'époque. J'ai collectionné les images de Jeanne d'Arc et de Vercingétorix ou d'Henri iv. Non seulement je me suis senti français mais j'ai le sentiment que j'étais considéré comme français par mes camarades. J'en ai non seulement le sentiment mais j'en ai la certitude qui, elle, alors, s'illustre par un épisode plus tardif pendant la guerre et sous l'Occupation allemande, le jour précis où je suis arrivé au lycée Voltaire porteur de l'étoile jaune le premier matin.
Cela a suscité l'émotion dans la classe, la consternation. Consternation car la plupart de mes camarades ignoraient que j'étais juif ou que j'étais étranger. Et j'étais désigné à la fois comme juif et étranger.
Dans un silence très impressionnant, le professeur de lettres, de français, M. Binon dont j'évoque ici la mémoire, a dit : « Mes enfants » – il ne s'adressait pas toujours à la classe en disant « mes enfants », mais là il a dit « mes enfants » – ouvrez votre livre de textes à la page x et nous allons étudier un texte de Monstesquieu qui s'intitule « De la tolérance ».
J'ai le souvenir de cette heure où, vraiment, dans un silence absolu, nous avons parlé de tolérance pendant une heure et, quand nous sommes descendus à la récréation dans la cour, mes camarades de classe se sont véritablement agglutinés autour de moi et certains d'entre eux, cela ne se faisait pas du tout à l'époque, m'ont embrassé. J'ai eu là l'émotion la plus profonde et l'illustration de mon intégration totale.
Ady Steg
Extrait de Etre français aujourd'hui et demain, 10/18, 1984, La Documentation française.
Document 2
La formule républicaine a su admirablement ce qu'elle disait et ce qu'elle faisait ; la gradation est irréprochable. Liberté, Égalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont là les trois marches du perron suprême. La liberté, c'est le droit, l'égalité, c'est le fait, la fraternité, c'est le devoir. Tout l'homme est là… Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux ; l'égoïsme social est un commencement de sépulcre ; voulons-nous vivre, mêlons nos cœurs, et soyons l'immense genre humain… Tout ce qui souffre accuse, tout ce qui pleure dans l'individu saigne dans la société, personne n'est tout seul, toutes les fibres vivantes travaillent ensemble et se confondent, les petits doivent être sacrés aux grands, et c'est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. J'ai dit.
Victor Hugo
Le droit et la loi, 1875.
Document 3
Un air de famille.
Enfin la fraternité ! Le troisième terme de la devise républicaine est comme un petit dernier conçu sur le tard : moins chargé d'héritage que les aînés, élevé plus librement, un peu superflu, mais secrètement préféré. Derrière la liberté et l'égalité, massives notions du programme de philo, toujours discutées, polémiques, tendues, la fraternité fait figure de cerise sur le gâteau. Du genre qui ne mange pas de pain. Ajoutée à la devise française seulement après la révolution de 1848, on a souvent représenté la fraternité comme la vertu arrondissant le tranchant des deux autres – l'individualisme de la liberté, la froideur de l'égalité – et arbitrant leurs tensions. On peut lui trouver des airs un peu trop pieux, lui dénier tout ancrage politique, se méfier même de son sentimentalisme, rappeler que les fratries sont aussi des lieux de crimes, savoir qu'il n'est de bonne famille qui ne se quitte. Besoin de liens, de mains tendues, de convivialité, d'être ensemble. Mais aussi de se replier entre soi, en communautés, en familles, de sang ou de souche. Etonnante fraternité qui abat les barrières entre les hommes autant qu'elle les dresse…
Le plus souvent, les hommes politiques oublient tout simplement d'invoquer la fraternité. Et pourtant, il semble qu'elle retrouve aujourd'hui une force insoupçonnée, comme une aspiration à un vivre ensemble pacifié, que ce soit pour se replier entre soi ou pour au contraire combattre l'anonymat des grandes villes, se serrer les coudes entre voisins ou se soucier de la survie de la planète. Chacun sent bien la barbarie d'un monde qui aurait définitivement disqualifié tout lien des hommes entre eux.
Fraternité : un désir d'humanité ? Voyage dans l'humain, en tous cas, avec tout ce qui le constitue : jalousies fratricides, recherche de références communes – paternelles, peut-être ? –, besoin d'identité, de frontières entre soi et l'autre, mais aussi expériences de la solidarité concrète, de fraternité de combat, de communauté de destin. Fraternité aux multiples visages que la fraternité d'aujourd'hui. Il y a celle au nom de laquelle nous tenons à une certaine idée de la solidarité, à notre modèle social, à l'État-providence, celle qui se vit au quotidien et ne renonce pas à la politique des petits gestes pour améliorer le monde ; et puis il y a celle au nom de laquelle nous excluons de la famille qui ne nous ressemble pas. Ah ! La famille !…
Pour finir, que reste-t-il de notre belle devise ? Trois mots qui claquent dans le vide sur des identités sclérosées ou bien trois idées fortes, trois horizons élevés auxquels, somme toute, modestement, nous pouvons encore croire ?
Catherine Portevin
Fraternité : un désir d'humanité, Télérama, Hors-Série, mars 2007.
(1)Journaux de l'époque, collaborationnistes durant la seconde guerre mondiale, classés à l'extrême droite sur l'échiquier politique.
(2)Journaux de l'époque, collaborationnistes durant la seconde guerre mondiale, classés à l'extrême droite sur l'échiquier politique.
Corrigé

Corrigé

I. Compréhension de textes (6 points)
Document 1
1.1 
On peut avancer plusieurs raisons pour lesquelles le professeur dit « mes enfants » :
  • il rompt ainsi avec une habitude pour marquer l'importance du moment,
  • il demande aux enfants de ne pas l'écouter comme un enseignant, mais comme un père,
  • par ce dernier point, il fait d'eux des frères sur un pied d'égalité.
1.2 
Pour Victor Hugo, il est possible de définir la fraternité, ou du moins de saisir dans quelles circonstances, dans quels liens, la fraternité peut s'incarner. Il ne s'agit pas de réduire la fraternité à des liens d'amitié entre les individus. Il y voit des liens relevant d'obligations et de devoirs. Dans la vie sociale, l'inégalité de richesse, de pouvoir étant un fait, ceux qui le peuvent doivent prendre soin des plus démunis. Des liens ainsi tissés entre les membres de la société entrainent mécaniquement celle-ci vers un horizon de lutte contre les inégalités.
1.3 
Pour Catherine Portevin, les français sont attachés à l'idée de fraternité qui unit les membres de la société. Cette fraternité s'est incarnée, s'est institutionnalisée dans l'idée de l'État-providence. L'État-providence, c'est une institution, gérée par l'État, qui organise une forme particulière de fraternité. On la trouve par exemple dans la collecte et la redistribution de l'impôt. On la trouve également incarnée dans la Sécurité sociale, à travers ses différentes branches (maladie, vieillesse, handicap, etc.).
II. Vocabulaire (2 points)
2.1 
Document 1
L'intégration est un processus dans lequel se lance, par différents biais, un individu, lorsqu'il cherche à s'incorporer à une collectivité. Pour l'auteur, son intégration se vérifie à deux titres :
  • le sentiment d'être français,
  • être considéré comme français par son entourage.
2.2 
Document 2
Un sépulcre est un tombeau, une tombe. Dans le texte, l'idée sous-entendue par l'usage du mot « sépulcre » est la mort.
III. Dissertation (12 points)
Il est absolument nécessaire que le candidat ait composé un devoir rigoureusement construit :
  • une introduction en bonne et due forme (accroche, sujet, problématique, plan),
  • un développement composé de plusieurs parties argumentées et illustrées, une conclusion qui montre en quoi les étapes de la réflexion permettent de formuler une réponse.
Dans le développement, on attend que le candidat soit capable d'organiser des pistes de réflexion sur la problématique des rapports humains et de la fraternité.
On attend du candidat qu'il ne « tombe » pas dans des énumérations stériles d'illustrations, mais qu'il pose des pistes et/ou étapes de réflexion.
À titre de « pistes » de réflexion, on peut avancer des tensions ou problématiques suivantes :
  • une lecture plurielle du mot « frère » (en tant que frère et sœur d'une même famille, en tant que membre d'une communauté, en tant que membre de l'humanité)
  • L'instauration d'un lien de fraternité, au sein d'une communauté ne risque-t-il pas de déboucher sur le communautarisme, et finalement sur l'isolement ?
  • Suffit-il d'être membre de l'espèce humaine pour que nous soyons « frères » ?
  • Peut-on se contenter de co-exister avec les autres individus, sans tisser de véritables liens avec ses congénères ?
  • Les liens entre hommes doivent-ils relever de l'initiative personnelle ou bien être institutionnalisés par l'État ?
  • La fraternité qui pousse les hommes à la générosité et à l'accueil des plus "faibles" doit-elle se penser sur le mode de la pitié ou de la charité ?
  • L'individualisme, souvent valorisé dans nos sociétés, n'est-il pas, à l'épreuve des faits, une impasse ?
  • La « chaleur humaine » est-elle nécessaire à la vie des hommes ?