Normandie, ETS, 2e épreuve écrite
Dernier essai le - Score : /20
Sujet

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Consignes
Texte : « La tyrannie de la vitesse. », Déborah Carrèges, Revue Sciences Humaines n°239, juillet 2012.
Compréhension de texte
1. 
Dégagez les idées essentielles du texte (6 points)
2. 
Expliquez le sens dans le texte des mots ou des expressions soulignés (4 points) :
  • Anxiogène ;
  • Stratégie ;
  • Dislocation de la vie quotidienne ;
  • Marchandisation du temps de travail ;
3. 
Commentez en un texte de 15 à 20 lignes les trois phrases suivantes :
« Selon l'auteur, Harmut Rosa, l'homme use de deux stratégies pour y arriver. La première consiste à augmenter immédiatement la vitesse d'action, consacrant ainsi moins de temps qu'auparavant à une même activité. La seconde stratégie consiste à effectuer plusieurs activités en même temps, de façon à optimiser le temps présent. »
(10 points /20)
Texte
Des journées trop chargées, à se dépêcher, à courir, pour tenter d'effectuer ce qui, en se couchant, restera à faire. À terminer demain […]). Depuis quelques années, des ouvrages de sciences sociales aux titres évocateurs ont envahi les tables des libraires « Accélération » du sociologue allemand Harmut Rosa, « Le Grand Accélérateur » du philosophe Paul Virilio, et d'autres encore. Le phénomène est pourtant ancien : le sentiment d'une accélération est exprimé dès le xixe siècle avec l'apparition du chemin de fer et se concrétise, dans une multitude d'expériences, au cours de la révolution industrielle. Pourtant, de nombreux penseurs tiennent le phénomène comme caractéristique de notre époque récente […]).
Mais que recouvre cette expression « accélération du temps », si répandue ? La formule est à prendre avec précaution, laissant entendre que le temps lui-même s'accélère. Or personne ne dira voir les aiguilles de sa montre tourner plus vite. Donc, le temps que l'on appelle objectif, c'est-à-dire mesuré par des instruments – tels que les chronomètres, montres, horloges –, est stable et ne s'accélère pas. En revanche, l'accélération des rythmes de vie provoque « un sentiment que le temps passe plus vite » selon les mots d'H. Rosa.
Où est passé le temps libre ?
Cette modification perceptive du temps est fondée. Les faits témoignent indéniablement d'une « accélération technique » – la plus visible et documentée : l'augmentation de la vitesse de déplacement, de transmission de l'information et de production. Dans ces domaines, la technique nous permet d'effectuer, par rapport à nos grands-parents, les mêmes actions dans un temps beaucoup plus court. Pourquoi sommes-nous alors débordés, en manque de temps, alors que la technique est censée nous en avoir libéré ? Voici l'un des plus grands paradoxes : plus nous gagnons du temps, moins nous en avons. […]). Voilà le problème : l'homme moderne est si gourmand qu'il veut parcourir, transmettre, produire trois fois plus (de distance, d'informations, de choses) alors même que la technique lui permet d'aller seulement deux fois plus vite. Si bien qu'il en vient à avoir moins de temps que son congénère en avait au siècle dernier.
Par conséquent, un sentiment d'urgence, anxiogène, pousse à accélérer la cadence. Ce qui entraîne, selon H.Rosa, une «accélération du rythme de vie» dans le but d'effectuer plus d'action dans une même unité de temps. Selon l'auteur, l'homme use de deux stratégies pour y arriver.
La première consiste à augmenter immédiatement la vitesse d'action, consacrant ainsi moins de temps qu'auparavant à une même activité. La seconde stratégie consiste à effectuer plusieurs activités en même temps, de façon à optimiser le temps présent. (hellip/>)
Une vie sociale en renouvellement perpétuel
H. Rosa observe également une « accélération du changement social », c'est-à-dire un changement plus rapide des rythmes de transformation eux- mêmes. Si la vie de nos grands-parents était plus ou moins stable tout au long de leur existence, les nôtres sont en perpétuel changement, bousculées par le déchaînement événementiel du monde.
D'abord, la rapidité des rythmes de transformation du monde social est en partie liée à la diffusion plus rapide des nouveautés technologiques […]). Au passage de plus en plus rapide des « nouveautés » technologiques, P. Virilio rapproche les renouvellements, de plus en plus fréquents, des partenaires amoureux.[…])
La dislocation de la vie quotidienne
Il n'y a pas qu'à la maison que les changements se répètent à un rythme de plus en plus rapide, la vie professionnelle en est également affectée.
P. Virilio rappelle en effet que « l'emploi à vie » est en passe de disparaître, d'un temps presque révolu. Par ailleurs, la forte mobilité professionnelle des jeunes amène à déménager plus souvent et à se réhabituer à une nouvelle ville, voire à une autre culture. Sans parler des conséquences sur la création du lien social, amical comme amoureux.
La représentation du temps, qui découle de cette inconstance de la vie quotidienne, modifie en tout cas nos actions. Trop de mouvement réduit considérablement notre horizon temporel, le passé étant déjà obsolète à peine passé tandis que le futur est difficilement prévisible. Reste une durée raccourcie, le présent, ayant encore un caractère durable et offrant ; un degré plus ou moins élevé de stabilité.
Longtemps, l'accélération du progrès technique fut même très valorisée, promettant une plus grande maîtrise du monde. C'est pourquoi la société s'est investie avec autant d'énergie en faveur de la révolution industrielle.
Au début des années 1980, l'éloge de la vitesse s'imposa jusqu'au corps physique avec le développement des pratiques sportives agressives […]).
Cependant, la vitesse semble aujourd'hui un impératif plus subi que véritablement recherché, à écouter ceux qui aimeraient bien un peu se reposer sans se sentir pour autant moins performants, peut-être même plus. Sans doute, l'homme s'est pris à son propre piège de l'innovation technique. L'élément constitutif de la société moderne est, comme le souligne H. Rosa, sans aucun doute « l'accélération en vue de l'augmentation ».
Dans la logique du capitalisme, le moteur essentiel de l'accélération est l'argent. […]) D'où l'introduction de nouvelles technologies qui feront gagner du temps et une accélération éga-lement recherchée au niveau du transport et de la distribution des produits.
L'accélération de la consommation
Par conséquent, la productivité, comme nerf de l'économie capitaliste, modifie considérablement l'activité de travail. La marchandisation du temps de travail pousse sans cesse les ouvriers à « aller plus vite » pour augmenter la rentabilité. […]).
Il est presque devenu impossible de ne pas jouer le jeu de l'accélération, à moins de vivre en ermite. Nous-mêmes devenons complices de notre accélération au travail car le système capita-liste nécessite notre participation, impliquant une augmentation de la vitesse de consommation jt de l'élévation du rythme de vie. Sans doute, le temps est ainsi venu d'y penser, non pas le temps d'un instant fugitif, mais d'y réfléchir pendant une durée suffisamment déployée jusqu'à ce que se profile, à l'horizon, la consistance d'un futur.
Déborah Carrèges
« La tyrannie de la vitesse », juillet 2012, Revue Sciences Humaines n° 239