Aquitaine, ASS, ETS, ES, EJE
Dernier essai le - Score : /20
Sujet

Sujet

Consignes :
1. Vous résumerez en 12 lignes maximum les idées essentielles du texte.
2. « Au nom de cette croyance dans la fécondité du partage et de l'échange, le groupe fait systématiquement mieux que le meilleur de deux individus »
En vous appuyant sur vos connaissances et/ ou votre expérience et en référence aux réalités actuelles, vous élaborerez un argumentaire structuré (3 pages maximum).
Épreuve notée sur 40
Résumé sur 20 points :
  • Compréhension du texte (8 points)
  • Capacités de synthèse et de concision (8 points)
  • Capacités de rédaction (4 points)
Argumentaire sur 20 points :
  • Capacités à se situer par rapport à la problématique, à émettre des hypothèses, à construire un raisonnement et à organiser ses idées (5 points)
  • Capacités à énoncer une position (5 points)
  • Capacités à mobiliser des connaissances, niveau d'information et culture générale (5 points)
  • Expression écrite : style, orthographe… (5 points)
Texte
Pense-t-on mieux seul ou à plusieurs ?
Nous vivons à l'ère de l'intelligence collective. Conférences citoyennes, labos de chercheurs, assemblées délibératives et autres forums de discussion, partout l'exercice de la réflexion se décline au pluriel au nom de cette croyance dans la fécondité du partage et de l'échange.
Dans tous les domaines, le même processus est à l'œuvre : selon les traités de pédagogie, c'est en échangeant leurs expériences que les enfants sont censés découvrir la raison des choses; selon les nouvelles méthodes de management, c'est en tablant sur la coopération que les employés peuvent faire surgir des idées nouvelles. En sciences, les grands créateurs se font rares, les articles sont écrits à plusieurs mains. En économie, on nous annonce que le partage des compétences immatérielles sera la première source de création de richesse. En politique, on voit surgir de tous côtés des collectifs qui visent à se saisir de manière délibérative des réformes qui les concernent. Enfin, Internet, gigantesque machine à produire du savoir collectif, connecte les humains et les ordinateurs les uns aux autres.
Signe de la puissance acquise par le modèle collaboratif, on se tourne dorénavant vers l'origine de l'humanité et de la conscience pour en traiter la validité. Si Homo sapiens a surpassé ses camarades aux origines de l'histoire, affirme la théorie de l'évolution, c'est parce qu'il aurait été plus collaboratif. Et si le cerveau humain est si puissant, c'est qu'il est « branché » sur celui des autres. Les expériences en neurosciences montrent que le groupe tend à être plus intelligent que l'individu… « En nous laissant partager avec d'autres nos doutes et nos certitudes, la conscience réflexive, écrit le spécialiste en neuroscience S.Dehaene, celle qui évalue en permanence nos propres jugements, nous permet de prendre, collectivement, de meilleures décisions. De sorte que le groupe fait systématiquement mieux que le meilleur de deux individus ».
Succomber à une nouvelle idéologie ?
L'affaire serait-elle entendue ? Suffit-il vraiment d'échanger et de débattre pour penser juste ? Ou succombons-nous à une nouvelle idéologie ? Ne risquons-nous pas d'oublier cet autre moment tout aussi indispensable à l'exercice de la pensée, au cours duquel un individu se retire seul pour exercer son libre examen ? Les mêmes expériences neuroscientifiques qui montrent qu'on pense mieux à deux, révèlent que les individus en groupe tendent à subir l'influence négative d'une série de biais (surévaluation des compétences des autres, crainte d'assumer la responsabilité de penser autrement et de mettre à mal la cohésion du groupe, poids des hiérarchies) qui les rendent moins performants. D'où l'importance des dissidents ou des lanceurs d'alertes, qui prennent sur eux de penser contre le groupe auquel ils appartiennent.
Il y a deux siècles, J. Swift, dans la « Bataille des livres », mettait en scène le conflit entre ces deux modes de pensée sous les traits d'une dispute entre une abeille et une araignée. D'un côté les abeilles qui produisent leur miel et leur cire avec le suc des fleurs que d'autres ont cultivé. Elles symbolisent la pensée de ceux qui s'appuient sur l'expérience et sur la sagesse des autres, butinent les arguments de-ci-de-là et prennent plaisir à faire jaillir des idées nouvelles sans se soucier d'identifier qui en est l'auteur. De l'autre des araignées, qui tirent de leurs excréments le fil qu'elles tissent pour élaborer leurs toiles géométriques. Elles représentent ces esprits épris de certitude qui ne se sentent pas obligés de consulter les autres quand elles ont une décision à prendre et ne croient que dans la puissance de leur libre examen. La dispute des abeilles et des araignées a traversé toute l'histoire de la pensée, de Socrate à Descartes, de Kant aux romantiques. Où en sommes-nous aujourd'hui ? C'est d'abord l'affaire d'un tempérament individuel. Par une sorte de pli naturel, certains auront besoin, pour mettre en branle leur esprit, de solliciter leur entourage ou de se confronter aux thèses des grands auteurs, tandis que d'autres préfèreront se retirer dans leur for intérieur ou s'appuyer sur leur vécu.
Mais finalement, plutôt que de reconstruire l'opposition des abeilles et des araignées, le temps est peut – être venu de concevoir un modèle alternatif qui parviendrait à saisir le point de jonction entre le je et le nous de la pensée, ce court-circuit étrange qui nous branche sur tous les autres au moment même où nous tirons de nous-mêmes une pensée singulière. Tenant de l'araignée autant que de l'abeille, Internet incite à imaginer un nouveau modèle, hybride, de création intellectuelle où notre esprit pourrait d'autant plus inventer par lui-même qu'il est branché à tous les autres.
Selon un article de Martin Legros, dans Philosophie magazine n °92, septembre 2015