Un air de famille.
Enfin la fraternité ! Le troisième terme de la devise républicaine est comme un petit dernier conçu sur le tard : moins chargé d'héritage que les aînés, élevé plus librement, un peu superflu, mais secrètement préféré. Derrière la liberté et l'égalité, massives notions du programme de philo, toujours discutées, polémiques, tendues, la fraternité fait figure de cerise sur le gâteau. Du genre qui ne mange pas de pain. Ajoutée à la devise française seulement après la révolution de 1848, on a souvent représenté la fraternité comme la vertu arrondissant le tranchant des deux autres – l'individualisme de la liberté, la froideur de l'égalité – et arbitrant leurs tensions. On peut lui trouver des airs un peu trop pieux, lui dénier tout ancrage politique, se méfier même de son sentimentalisme, rappeler que les fratries sont aussi des lieux de crimes, savoir qu'il n'est de bonne famille qui ne se quitte. Besoin de liens, de mains tendues, de convivialité, d'être ensemble. Mais aussi de se replier entre soi, en communautés, en familles, de sang ou de souche. Etonnante fraternité qui abat les barrières entre les hommes autant qu'elle les dresse…
Le plus souvent, les hommes politiques oublient tout simplement d'invoquer la fraternité. Et pourtant, il semble qu'elle retrouve aujourd'hui une force insoupçonnée, comme une aspiration à un vivre ensemble pacifié, que ce soit pour se replier entre soi ou pour au contraire combattre l'anonymat des grandes villes, se serrer les coudes entre voisins ou se soucier de la survie de la planète. Chacun sent bien la barbarie d'un monde qui aurait définitivement disqualifié tout lien des hommes entre eux.
Fraternité : un désir d'humanité ? Voyage dans l'humain, en tous cas, avec tout ce qui le constitue : jalousies fratricides, recherche de références communes – paternelles, peut-être ? –, besoin d'identité, de frontières entre soi et l'autre, mais aussi expériences de la solidarité concrète, de fraternité de combat, de communauté de destin. Fraternité aux multiples visages que la fraternité d'aujourd'hui. Il y a celle au nom de laquelle nous tenons à une certaine idée de la solidarité, à notre modèle social, à l'État-providence, celle qui se vit au quotidien et ne renonce pas à la politique des petits gestes pour améliorer le monde ; et puis il y a celle au nom de laquelle nous excluons de la famille qui ne nous ressemble pas. Ah ! La famille !…
Pour finir, que reste-t-il de notre belle devise ? Trois mots qui claquent dans le vide sur des identités sclérosées ou bien trois idées fortes, trois horizons élevés auxquels, somme toute, modestement, nous pouvons encore croire ?