Louis-Michel Le Pelletier, « Rien de moins répressif que la peine de mort simple », 1791
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Introduction

Introduction

La révolution de 1789 entend imposer un ordre nouveau. Dans la continuité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'Assemblée nationale issue des États Généraux se penche dès l'automne 1789 sur la question de la réforme judiciaire et plus particulièrement du système pénal, qui concentre l'arbitraire et la cruauté de l'Ancien Régime. Le 1er décembre, le député Guillotin fait voter le principe démocratique de l'égalité des peines pour tous les citoyens, quel que soit leur état. Il propose en outre, dans le cas de la peine de mort, que le criminel soit décapité (le supplice jusqu'alors attaché à la noblesse) et qu'il le soit par l'effet d'une simple mécanique, indolore et sûre ; mais cette deuxième proposition suscite des réticences. La question est renvoyée devant un comité de législation, qui propose un projet de Code pénal à l'Assemblée fin mai 1791. La discussion sur la nécessité ou non de garder la peine de mort dans l'arsenal pénal révolutionnaire fait l'objet de vifs débats entre le 23 mai et le 3 juin ; y défendent l'abolition, notamment, Le Pelletier, Duport et Robespierre. Le 1er juin, l'Assemblée vote le maintien de la peine de mort, et le 3, la fin des supplices ; « le condamné à mort aura la tête tranchée ».
Louis-Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau (1760-1793), ancien président du Parlement de Paris, prend la parole comme rapporteur pour le comité, favorable à l'abolition. Ses arguments sont à la fois philosophiques et pragmatiques ; l'abolition des supplices, qui fait l'unanimité et ne peut être remise en cause, rend obsolète la peine de mort, devenue peu dissuasive et peu pédagogique. Reprenant les théories de Beccaria, il propose d'y substituer les fers et le cachot. Le Pelletier, qui votera la mort de Louis XVI, sera assassiné par un royaliste quelques heures avant l'exécution de celui-ci, et deviendra le premier martyr auquel la Révolution rendra un culte.
« Rien de moins répressif que la peine de mort simple », 1791

« Rien de moins répressif que la peine de mort simple », 1791

Mais avant tout il faut enfin aborder et résoudre cette grande question : la peine de mort formera-t-elle ou non l'un des éléments de notre législation criminelle ? Dans la discussion de cette haute et redoutable théorie, nous ne nous arrêterons pas, Messieurs, sur la première partie de la question, savoir, si la société peut légitimement ou non exercer ce droit. Ce n'est pas là que nous apercevons la difficulté ; le droit nous paraît incontestable ; mais la société doit-elle en faire usage ? Voilà le point sur lequel des considérations puissantes peuvent balancer et partager les opinions. Un mot nous paraît suffire pour établir la légitimité du droit. La société, ainsi que les individus, a la faculté d'assurer sa propre conservation par la mort de quiconque la met en péril. Chacun peut tuer légitimement celui qui attente à sa vie. La société a le droit de faire périr, en cas de guerre, l'ennemi du dehors qui vient l'attaquer. La force physique peut, dans les cas de sédition, employer la violence des armes contre les citoyens révoltés qui troublent le repos de l'État.
Le crime est un ennemi intérieur. Il n'existe point de société là où il n'existe aucun moyen de le réprimer. Si la peine de mort est indispensablement nécessaire pour en arrêter le progrès, la peine de mort doit être prononcée. Mais si le fond du droit est incontestable, de sa nécessité seule dérive la légitimité de son exercice : et de même qu'un particulier n'est dans le cas de l'homicide pour légitime défense que lorsqu'il n'a que ce seul moyen pour sauver sa vie, ainsi la société ne peut légitimement exercer le droit de vie et de mort, que s'il est démontré impossible d'opposer au crime une autre peine suffisante pour le réprimer. Si nous pouvons employer des punitions non moins efficaces pour l'exemple, il faut rejeter la peine de mort : et combien nous semblerait-il désirable d'atteindre ce but, si nous nous pénétrons de tous les inconvénients qu'il y aurait à en perpétuer l'usage !
Pour resserrer la question dans des termes plus précis, prenons pour bases des vérités généralement reconnues en ce moment.
Tout le monde est d'accord que la peine de mort, si elle est conservée, doit être réduite à la simple privation de la vie, et que l'usage des tortures doit être aboli. Un second point sur lequel toutes les opinions se réunissent également, c'est que cette peine, si elle subsiste, doit être réservée pour les crimes d'assassinat, d'empoisonnement, d'incendie et de lèse-nation au premier chef. […] Or évidemment la peine de mort dans cette hypothèse opère un grand mal pour les mœurs publiques, et n'a aucune efficacité pour arrêter le crime. C'est un remède violent, qui, sans guérir la maladie, altère et énerve les organes du corps politique.
Rien de moins répressif que la peine de mort simple.
La nature, il est vrai, a mis dans le cœur de l'homme le désir de conserver son existence ; mais à côté de ce sentiment se trouve placée la certitude qu'il doit mourir un jour. La nécessité le familiarise avec cette idée ; il s'accoutume à envisager sans un grand effroi le moment où il cessera de vivre. Les préjugés, les vices, le crime même ont souvent avec la vertu cet élément commun, le mépris de la mort. Chaque nation, chaque caste, chaque profession, chaque individu est susceptible de ce sentiment. Chez les Indiens, la puissance de l'opinion ; chez les musulmans, la religion ; chez les Anglais, un calcul tranquille ; chez d'autres peuples, les principes d'un faux honneur font braver une mort certaine, ou font affronter le danger d'une mort possible. Le courage du soldat se compose des divers sentiments de la gloire, du devoir, de l'espérance du pillage, de la force de l'exemple, de la crainte de la honte. Il combat, il ne redoute pas la mort, et pourtant chaque soldat n'est pas un héros. Voyez finir l'habitant des campagnes ; non pas celui pour lequel la misère et le malheur rendent souhaitable l'instant où il va cesser de souffrir, mais l'être dont l'existence a été la plus douce et la moins agitée ; celui qui a vécu dans une chaumière qui lui appartient, et qui meurt entouré de sa femme et de ses enfants, que son champ a toujours nourris ; sa dernière heure approche ; il subit la commune loi, et dans son regard paisible, vous ne trouverez point l'expression de l'effroi ni de l'horreur de la mort.
Les criminels ont aussi leur philosophie. Dans les chances de leur destinée, ils calculent froidement ce qu'ils appellent le mauvais quart d'heure, et plus d'une fois sur l'échafaud ce secret leur est échappé : non, disaient-ils, l'idée de la potence ne nous a jamais détournés d'un seul crime ; la roue seule étonnait notre farouche courage. Je prévois l'objection qu'inspireront quelques-uns des exemples que je viens de citer. Pourquoi, dira-t-on, tant de gens s'exposent-ils sans peine à la mort ? C'est que le danger n'exclut pas la possibilité et l'espoir d'y échapper. Pourquoi une mort certaine paraît-elle douce et supportable ? C'est parce que l'honneur, et non l'infamie, l'accompagne.
Je réponds d'abord que pour le criminel, l'espérance d'éviter la peine est à côté du crime, de même que le soldat, qui monte à l'assaut, voit l'espérance placée au haut des tours qu'il escalade. Je conviens ensuite qu'on ne peut comparer l'effroi d'une mort glorieuse à l'effroi d'une mort infâme ; mais voici l'argument que je tire de cette objection : c'est donc l'infamie et non la mort qui prête au supplice le plus d'horreur ! Eh bien, réservez le coupable pour une longue infamie, au lieu de le délivrer par la mort du sentiment pénible et salutaire de l'opprobre. Je conclus de ces réflexions, que la mort sans douleur étant affrontée ou supportée sans effort, et par l'effet d'un sentiment assez ordinaire de l'homme, la peine de mort simple, la seule que l'humanité vous permette de conserver, c'est une peine très peu efficace pour la répression des crimes.
[…]
Si vous conservez cette peine, mais la mort simple, et réservée pour quelques grands crimes, quel effet produirez-vous dans l'esprit du peuple ? Vous allez y opérer un mouvement très funeste ; vous baisserez d'une manière claire et visible l'échelle des peines ; tel crime puni de la peine de mort va s'en trouver affranchi. Tel autre crime donnait lieu à la condamnation aux plus cruels supplices, et désormais ce même attentat ne sera réprimé que par une mort prompte et sans douleur. Voilà le ressort de la terreur affaibli ; votre Code pénal, si l'on peut parler ainsi, paraîtra mis au rabais. Par un calcul facile, le méchant se démontrera à lui-même cette dangereuse vérité, qu'il gagne aujourd'hui dans les chances nouvelles que lui présente l'avenir d'un crime. Et quelle efficacité pourrez-vous vous promettre de la conservation de la peine de mort pour quelques grands attentats, lorsque le peuple verra appliquer à l'empoisonneur, à l'assassin, le même supplice qu'il a vu subir pendant longtemps au serviteur infidèle qui avait volé cinq sous à son maître ?
Il n'est qu'un seul moyen d'adoucir la barbarie des peines, sans affaiblir le sentiment du salutaire effroi qu'elles doivent inspirer ; c'est de frapper l'esprit des hommes en renouvelant le système pénal dans sa totalité ; vous évitez par là l'évidence et l'inconvénient des rapprochements et des comparaisons ; vous inspirez certainement aux malfaiteurs un plus grand effroi, par l'établissement d'une peine, d'un exemple imposant, et jusqu'alors inusité ; vous produisez l'effet tout contraire, en descendant visiblement la punition terrible d'une action atroce au degré moins rigoureux d'une peine bien connue qu'autrefois on appliquait à de moindres crimes.
Mais si la peine de mort, ainsi tempérée, perd toute l'efficacité que l'ancien Code pénal trouvait dans son atrocité même, cette peine, tout insuffisante qu'elle soit pour l'exemple, n'en perd rien de son immoralité ni de son influence néfaste sur les mœurs publiques. […] L'effet que produit la peine de mort est immoral sous ses rapports. Tantôt il alimente le sentiment de la cruauté, nous venons de développer cette vérité ; tantôt aussi par la pitié cette peine va directement contre son objet. C'est un grand malheur lorsque la vue du supplice fait céder le souvenir du crime à l'intérêt qu'inspire le condamné ! Or cet effet est toujours auprès de la peine de mort. Il ne faut que quelques circonstances extérieures, l'expression du repentir, un grand calme, un courage ferme dans les derniers instants pour que l'indignation publique se taise ; et tel sur l'échafaud a été plaint par le peuple, dont le peuple avant le jugement demandait la tête à grands cris.
Jusqu'ici nous avons raisonné en supposant la peine de mort justement prononcée. Mais un innocent ne succombera-t-il jamais ? De trop funestes exemples n'ont-ils pas réalisé cette hypothèse ? Si la forme des jurés est tutélaire contre les fausses accusations, les jurés ne sont-ils pas pourtant des hommes ? Et entre tous les avantages que nous présente la suppression de la peine de mort, n'est-ce pas une pensée consolante d'imaginer qu'à chaque instant les erreurs de la justice peuvent être facilement réparées, et que l'innocence reconnue respire encore ?
Le Pelletier propose alors de remplacer la peine de mort par une peine d'emprisonnement.
L'une est peu répressive sous les divers rapports de la brièveté de sa durée, de la funeste philosophie des coupables, de la trempe des âmes des criminels pour lesquels elle est réservée, de l'évidence de son infériorité aux peines actuellement encourues pour les mêmes crimes ; l'autre, par des épreuves pénibles, durables, par la réunion des plus douloureuses privations, prolongées pendant une longue partie de la vie des coupables, étonnera plus efficacement leur constance ; et cette chance funeste est capable de les retenir davantage que le danger toujours incertain de rencontrer dans l'événement du crime, l'instant plus prochain du passage sans douleur de la vie à la mort.
L'une endurcit les mœurs publiques ; elle familiarise la multitude avec la vue du sang. L'autre inspire, par l'exemple touchant de la loi, le plus grand respect pour la vie des hommes. L'une punit, en faisant perdre à l'État un de ses membres. L'autre réprime le crime également, en conservant la personne du coupable.
L'une rend irréparable les erreurs de la justice. L'autre réserve à l'innocence tous ses droits dès l'instant où l'innocence est reconnue.
L'une, en ôtant la vie au criminel, éteint jusqu'à l'effet du remords. L'autre, à l'imitation de l'éternelle justice, ne désespère jamais de son repentir ; elle lui laisse le temps, la possibilité et l'intérêt de devenir meilleur.
Un grand inconvénient se présente dans le système de la conservation de la peine de mort. Vous n'avez qu'une seule peine pour une foule de délits dont aucun ne peut être puni de moindre peine que la peine capitale, si elle subsiste, et qui pourtant ont des degrés d'atrocité très différents. Ainsi le meurtrier par fureur sera puni de même que le parricide prémédité ; car tous deux méritent la peine capitale, et il n'y a point de nuances dans la peine de mort simple. Au contraire, dans le système pénal que nous vous présentons, la durée, le plus ou moins de rigueur des privations étant susceptibles de beaucoup de graduations, l'échelle des peines s'étend, et elle se prête à marquer d'une manière moins imparfaite la différence des délits.
Enfin, daignez saisir, Messieurs, ce dernier rapprochement. La peine de mort ne présente à la multitude que le spectacle d'un moment. Celle que nous vous proposons, prolonge et perpétue une salutaire instruction : tout dissipe et distrait cette foule de citoyens oisifs, qu'attire à une exécution, le mouvement de la curiosité : on ne visite pas un cachot sans un pénible recueillement. Et si un exemple frappant peut rendre sensible cette théorie, supposons, Messieurs, qu'un ministre prévaricateur ait osé attenter à la Constitution et à la liberté ; s'il est frappé du glaive, l'effet de son supplice sera passager : que pendant vingt années, chaque mois, le peuple le voie dans les fers, il bénira la puissance protectrice des lois, et l'exemple vivra efficacement avec le coupable.
Archives parlementaires, tome XXVI, pp. 325-329 (disponible sur le site http://criminocorpus.cnrs.fr/).