Session 2011 : Dissertation portant sur une ou plusieurs questions relatives à l'éducation et à la formation des jeunes
Dernier essai le - Score : /20
Énoncé

Énoncé

Sujet
« L'expérimentation dont nous venons de rendre compte fournit la preuve qu'une politique relativement peu coûteuse de communication en direction des parents d'élèves permet de beaucoup mieux impliquer ces derniers dans la scolarité des enfants, avec pour effets induits une baisse très sensible de l'absentéisme, une diminution des problèmes de discipline et même une amélioration des résultats scolaires dans une matière aussi fondamentale que le français. Ces effets vertueux sont perceptibles non seulement au sein des familles les plus réceptives aux informations en provenance du collège, mais également (par effet d'entraînement dans les classes) dans le groupe des familles les moins investies, celles que les politiques de communication des établissements ne touchent jamais vraiment directement.
Ces résultats devraient, selon nous, encourager les pouvoirs publics à essayer d'étendre ce type de politique à un nombre plus important d'établissements, tout en continuant d'encourager de nouvelles expériences. Plusieurs questions importantes restent en effet posées. Comment faire en sorte que les effets repérables en fin de sixième persistent et s'amplifient au cours des étapes suivantes de la scolarité ? Comment adapter la communication des établissements en direction des familles d'élèves plus âgés ? Comment mieux les sensibiliser aux problèmes d'orientation ? Pour éclairer rigoureusement ces questions, il serait évidemment bienvenu que de nouvelles expérimentations soient mises en œuvre et évaluées, selon un protocole aussi proche que possible de celui retenu pour la "mallette des parents". »
École d'économie de Paris, « Quels effets attendre d'une politique d'implication des parents d'élèves dans les collèges ? Les enseignements d'une expérimentation contrôlée », Rapport pour le Haut Commissaire à la Jeunesse, janvier 2010
En vous appuyant sur vos connaissances historiques, philosophiques et sociologiques, ainsi que sur les débats actuels et les réformes en cours, vous exposerez les réflexions que suscitent pour vous les conclusions du présent rapport. Vous insisterez en particulier sur l'évolution du rôle et de la place des parents au sein de l'École, au regard des missions dévolues au service public d'éducation.
Corrigé

Corrigé

Introduction
Entre parents et enseignants : un dialogue impossible ? En 1987, Cléopâtre Montandon et Philippe Perrenoud cosignaient un essai sous ce titre éloquent. La question posée par ces deux sociologues est plus que jamais d'actualité.
Historiquement, l'école de la République est née d'une conception égalitaire de la société : elle se devait d'assurer un enseignement diffusant des valeurs et une morale communes, d'abolir les particularismes et d'uniformiser les normes collectives. Ce projet fondateur fut celui de l'élaboration d'un système scolaire homogénéisant les différents milieux d'appartenance sociale, sexuelle, ethnique, régionale, idéologique et surtout familiale des enfants, dans un lieu de savoir, par-delà la concurrence des autres lieux supposés exogènes. Il fallait construire un savoir pour une nation. L'école – créatrice de valeurs centrales de cohésion sociale – a dès lors participé à la production du citoyen par cette « socialisation méthodique » des jeunes générations, selon l'expression d'Émile Durkheim. Ce parti pris supposait la négation des milieux d'appartenance des élèves, c'est-à-dire principalement les familles.
Ce passé instituant influe nécessairement sur les potentialités de dialogue et de collaboration entre l'école et les familles, d'autant qu'avec les vagues successives de massification scolaire – des collèges, puis des lycées – l'école scolarise des enfants aux modes de socialisation familiale de plus en plus éloignés de la socialisation scolaire. Par ailleurs, l'école joue désormais un rôle déterminant dans la vie quotidienne des élèves et des familles, comme dans leur futur parcours professionnel et social. Et il est indéniable que la famille transmet des savoirs, des savoir-faire et des valeurs essentiels à la réussite scolaire. Mais, depuis la Seconde Guerre mondiale, l'institution familiale elle-même a connu sinon une crise, du moins des mutations structurelles, engendrées par les ruptures macro-sociales du marché du travail, des structures économiques, de l'urbanisation, mais aussi par le délitement des principes de cohésion sociale. Selon le chercheur Daniel Gayet, le temps de la communion harmonieuse entre parents et enseignants est révolu : soit parce que des enfants dont la socialisation familiale est radicalement allogène à la socialisation scolaire sont scolarisés durablement ; soit parce que le niveau d'instruction moyen des parents – et donc leurs exigences vis-à-vis de l'école – a considérablement augmenté.
Pourtant, la loi a institué la nécessité de partenariats et d'échanges entre l'école et les parents, qui en deviennent partiellement acteurs. Le Code de l'éducation indique que « les parents d'élèves sont membres de la communauté éducative. Leur participation à la vie scolaire et le dialogue avec les enseignants et les autres personnels sont assurés dans chaque école et dans chaque établissement » (art. L. 111-4.). Mais, si l'implication des parents dans l'accompagnement de la scolarité de leurs enfants est l'un des principaux facteurs de réussite scolaire, elle ne va pas de soi. C'est dans les catégories sociales populaires que la distance sociale et symbolique avec l'école est la plus forte. Difficile, par exemple, de faire venir les parents dans les collèges des zones d'éducation prioritaire, dont les projets d'établissement et autres contrats prévoient souvent des actions en direction des familles.
Une expérience a été réalisée dans l'académie de Créteil : financée par le haut-commissariat à la Jeunesse, « La Mallette des parents » avait pour objet de réfléchir aux bénéfices éventuels d'une politique d'implication des parents d'élèves dans les collèges. Le cahier des charges incluait la présence d'une équipe de recherche de l'École d'économie de Paris à laquelle étaient confiés le protocole d'expérimentation sociale et l'évaluation de l'efficacité du dispositif. Celui-ci semble avoir obtenu de premiers résultats positifs, grâce à une politique relativement peu coûteuse de communication à l'égard des familles. En effet, le « Rapport pour le haut-commissaire à la Jeunesse » (janvier 2010) conclut, pour les classes de sixième soumises à cette expérience, à une plus grande implication des parents volontaires dans l'institution scolaire et à une amélioration sensible de leur connaissance et de leur perception du collège. Les parents concernés rencontrent plus souvent les enseignants, participent davantage aux activités des associations de parents d'élèves et déclarent être mieux informés des options proposées par l'établissement. Ce surcroît d'engagement se manifeste aussi par une évolution positive du comportement de leurs enfants : moins d'absentéisme, moins d'exclusions temporaires, moins d'avertissements en conseil de classe, plus de félicitations et d'encouragements. Enfin, par effet d'entraînement dans les classes, ces changements d'attitude sont également perceptibles chez les enfants des parents n'ayant pas participé au dispositif. L'impact de cette politique, bien qu'elle ne touche directement qu'une petite fraction des parents d'élèves, s'est donc étendu au-delà de ses limites initiales.
En quoi la collaboration entre l'école et les familles est-elle utile ? Comment comprendre les difficultés d'une collaboration entre l'école et les familles ? Comment la communication à l'égard des familles doit-elle évoluer ?
En tant que membres de la communauté éducative, les parents d'élèves sont requis de participer à la vie scolaire. En effet, la régularité et la qualité des relations construites avec les parents constituent un facteur déterminant de l'accomplissement de la mission confiée au service public de l'éducation. Si le rôle des parents est croissant à l'école, des obstacles demeurent pourtant, qu'il convient d'évaluer pour améliorer la communication des établissements. Mais s'agit-il d'un simple problème de communication ou de malentendus plus profonds ? Nous verrons que les bouleversements de nos sociétés consécutifs à la seconde modernité ont favorisé la prise en compte des parents comme partenaires. Cependant, les obstacles à cette collaboration, liés aux rapports à l'école et aux attentes différentes des familles et des enseignants, n'ont pas disparu. Aussi des dispositions et des pratiques sont-elles mises en œuvre pour rapprocher l'école et les familles, visant à améliorer la communication entre les deux parties.
I. La société a beaucoup changé depuis un quart de siècle, engendrant de nouvelles relations entre école et famille, et attribuant une place accrue à la famille comme partenaire de l'école.
I. 1. Mutations de la famille, de l'école et de la société
Les mutations économiques et culturelles de nos sociétés, les transformations de l'institution familiale et des rapports sociaux ont rendu possible une conception plus libérale de la famille, favorisée par de nouveaux courants pédagogiques, eux-mêmes relayés par des évolutions rapides du système éducatif liées à la massification.
Les bouleversements économiques et techniques du xxe siècle ont engendré une évolution des structures familiales qui a modifié les relations entre l'école et la famille. Non seulement le cercle familial s'est considérablement réduit, mais les relations en son sein ont changé. À la famille patriarcale, puis conjugale après la Seconde Guerre mondiale, a succédé la famille « associative », comme le montrent les travaux du sociologue François de Singly. L'enfance est une notion d'invention récente dans l'histoire, selon Philippe Ariès. Dans L'Enfant et la Vie familiale sous l'Ancien Régime, l'historien et démographe émet l'hypothèse que l'idée de l'enfance, apparue selon lui au xviiie siècle, avec l'instauration de nouveaux rapports entre les générations, a fait naître un sentiment de l'enfance et une relation affective forte entre les parents et leurs enfants. Dès le xixe siècle, l'invention de l'adolescence prend le relais ; pendant cette longue période intermédiaire avant l'entrée dans l'âge adulte et le monde professionnel, la vie personnelle des adolescents est valorisée. Le regard des familles sur les enfants change notamment avec les travaux de la psychanalyse et de la psychologie : l'enfant devient un individu dont l'épanouissement autant que la réussite scolaire sont essentiels. Dans ce contexte historique et culturel, mouvement général d'émancipation de l'individu, les courants des pédagogies actives ou nouvelles (Freinet, pédagogie institutionnelle) revendiquent à la fois épanouissement personnel, autonomie, responsabilisation et coopération des enfants, considérés comme des personnes à part entière.
Dans le même temps, la démocratisation de l'enseignement impose également des mutations dans le système scolaire : les vagues successives de massification scandées par la création du collège unique (réforme Haby du 11 juillet 1975), la création des baccalauréats techniques puis celle des baccalauréats professionnels, se sont traduites par une durée moyenne de scolarité de plus en plus longue pour les enfants de toutes catégories sociales, et notamment d'enfants dont la culture familiale était éloignée de la culture scolaire. Déjà, dans La Reproduction. Éléments pour une théorie d'enseignement (1970), Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron expliquaient les difficultés scolaires des jeunes nouvellement scolarisés issus de familles modestes par des différences entre l'habitus primaire et l'habitus scolaire – c'est-à-dire des manières d'être, de penser et de faire communes, issues de l'incorporation non consciente des normes et pratiques véhiculées par le groupe d'appartenance. La distance à la culture scolaire sépare l'habitus primaire d'un élève de l'habitus scolaire dans les milieux populaires. En ce sens, la collaboration et la communication entre l'école et les familles sont aussi nécessaires que difficiles. Dès lors, pour Philippe Perrenoud, la famille peut être autant alliée qu'ennemie de l'école, car, au-delà du capital scolaire qu'elle peut garantir, l'école est en affinité avec les valeurs et les modes de pensée d'une partie des parents seulement, davantage dans les classes moyennes que dans les classes privilégiées ou dans les classes populaires.
I. 2. Rôle croissant des familles à l'école
Ces mutations économiques et sociales conjuguées à certains choix politiques ont favorisé l'évolution des relations entre l'école et les familles, qui se sont vu attribuer un rôle croissant dans l'enceinte scolaire. Les textes fondateurs du système scolaire contemporain, autant que les circulaires récentes, supposent une collaboration et une bonne entente entre les deux parties. Le Code de l'éducation indique que les parents doivent être tenus régulièrement informés des résultats et du comportement scolaire de leurs enfants, qu'un dialogue des parents avec l'école doit être privilégié, que le contrôle de l'assiduité scolaire s'appuie sur un dialogue suivi entre les personnes responsables de l'enfant et celles qui sont chargées de ce contrôle organisé, que les parents prennent part aux décisions par leurs représentants au conseil d'administration. Les lois de décentralisation, transférant des compétences aux collectivités locales et favorisant une autonomie croissante des établissements scolaires, confèrent d'ailleurs une responsabilité plus importante aux conseils d'administration des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE).
L'évolution des textes sur la communication des résultats scolaires aux familles prend en compte les mutations de la famille contemporaine, et notamment l'accroissement des divorces, en accordant le droit à tout parent, même dans le cas où seul l'un des deux exerce l'autorité parentale, de surveiller l'éducation de son enfant. Même le parent ne jouissant pas de l'autorité parentale doit donc également obtenir communication des résultats scolaires de sa progéniture. Le contrôle de l'assiduité scolaire suppose une mobilisation de tous les acteurs de l'école, un dialogue avec la famille autant qu'une prise en compte des situations singulières.
Une implication grandissante de la famille est sollicitée : l'information doit être réciproque, de manière qu'école et famille luttent de concert contre l'absentéisme scolaire. La loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005 propose « une école plus ouverte », car « une éducation réussie conjugue à la fois l'action de l'école et l'action de la famille ». Selon la loi, les parents sont membres à part entière de la communauté éducative. Les relations entre les parents et les enseignants et autres membres de l'équipe éducative sont le cœur de « l'éducation concertée ». Le texte précise que « cette relation doit être fondée sur le dialogue, la confiance et le respect mutuel, traduisant la reconnaissance par les parents du professionnalisme des enseignants et la reconnaissance par les enseignants de la responsabilité des parents en matière d'éducation ».
La circulaire du 25 août 2006, qui précise le rôle et la place des parents à l'école, définit le programme personnalisé de réussite éducative. Celui-ci est constitué d'actions qui ciblent des connaissances et des compétences précises, adaptées aux besoins de chaque élève, par un travail d'équipe associant l'élève et sa famille. L'adhésion et la participation de l'enfant et de sa famille sont en effet déterminantes pour la réussite de ce programme. Dès lors, de même que les textes officiels, les pratiques éducatives tendent à développer une coéducation, qui se traduit par une volonté collective de construire un climat de coopération et d'échanges. Dans cet esprit, des associations comprenant des parents d'élèves et des personnels d'établissements scolaires ont fait leur apparition, avec pour objectif de faciliter la coopération entre parents et école. Parents et enseignants ont alors des opinions proches sur les missions prioritaires que l'école doit remplir…
Si la présence des parents dans les instances représentatives (conseils, commissions éducatives) témoigne, de fait, de cette évolution de l'école vers une éducation concertée, les attentes de l'école et des familles divergent encore souvent. Les obstacles à une bonne compréhension réciproque doivent être surmontés, grâce à la mise en œuvre d'un certain nombre de dispositions et de pratiques.
II. Obstacles à la collaboration école-parents et mesures de rapprochement
II. 1. Les obstacles à la communication
Les finalités éducatives de l'école diffèrent quelque peu selon que l'on se place du point de vue des enseignants ou de celui des parents, notamment de milieu populaire. Les parents sont plus attachés à des finalités utilitaires, comme la préparation à la vie professionnelle, et les enseignants à des compétences cognitives, comme le développement de l'esprit critique.
Suivant une logique prioritaire de transmission des savoirs, l'école est en effet centrée sur les apprentissages dans une direction unidimensionnelle, alors que l'épanouissement de l'enfant est sinon prioritaire, du moins aussi important pour les familles. Les valeurs divergent donc en partie : l'école privilégie la dimension collective, et les parents la dimension singulière. Selon le rapport n°2006-057 de l'Inspection générale de l'Éducation nationale sur la place et le rôle des familles, « l'extra-territorialité de l'école et une certaine idée de la laïcité sont toujours très largement considérées comme porteuses d'un idéal de progrès et de libération, ainsi que d'un savoir émancipateur qui préserve l'élève, le maintenant loin des instances économiques et du profit aliénant. Mais, pour les parents, comment conjuguer cela avec l'enjeu d'insertion et d'entrée dans la vie active qu'ils assignent désormais à l'école ? ».
Il s'agit dès lors de construire des valeurs communes entre l'école et les parents pour créer un espace commun de collaboration. Or, ni la famille ni l'école ne sont programmées pour cela. Les obstacles aux rapprochements sont encore nombreux. Pour l'institution scolaire, il ne s'agit plus de traiter des flux d'élèves (pré-)sélectionnés, mais de gérer des générations entières d'enfants. Et l'école ne peut plus garantir à l'élève ni la promotion sociale, ni même le maintien dans sa catégorie socioprofessionnelle d'origine, comme le montre la sociologue Marie Duru-Bellat dans L'Inflation scolaire : La désillusion de la méritocratie (2006). De plus, selon Cléopâtre Montandon et Philippe Perrenoud, la division du travail éducatif crée entre la famille et l'école un système d'interdépendance et de communication. Parents et enseignants se surveillent mutuellement. Ils concertent parfois leurs attitudes éducatives, ils s'ignorent en d'autres occasions ou pratiquent un « dialogue de sourds », les attentes divergeant souvent. En cas de conflit, chacun sera tenté de rejeter la responsabilité sur l'autre, accusé de « ne pas jouer le jeu ».
Les obstacles tiennent aux usages sociaux différentiels des règles et des normes : les règles de fonctionnement de l'école ne sont pas toujours comprises par les familles. D'ailleurs, la perception de la division du travail entre l'école et la famille varie selon les groupes sociaux. Dans les classes moyennes et supérieures, on pense que l'éducation des enfants nécessite un travail en commun entre les enseignants et les parents. Mais, dans les familles les plus démunies, l'école est perçue comme une unité distincte, nettement séparée de la sphère familiale. Cette perception est d'ailleurs renforcée par l'inadaptation de l'institution à ces nouveaux publics. Les travaux du sociologue Daniel Thin montrent combien le rapport à l'école, à l'institution, aux enseignants, est médiatisé dans les familles modestes par des logiques scolaires non maîtrisées, un décodage difficile des attentes de l'institution et des enseignants. Il existe une connivence tacite entre les parents de milieux sociaux favorisés et l'école, qui facilite le partage des implicites de la communication, dont les familles culturellement modestes ne disposent pas. Ainsi, les décisions de l'école concernant les élèves ne sont pas toujours comprises, souvent contestées en fonction d'une « logique de l'honneur » que l'école ne peut elle-même décoder, certaines familles rejetant toute forme de sanction : notes, punitions souvent considérées comme injustes. Mais les enseignants – eux-mêmes insuffisamment formés aux savoirs sociologiques, à la formation transversale et à la philosophie du système éducatif – ont peu de connaissances pour gérer ces attentes différentielles. Ils vivent alors souvent ces cas de figure comme une remise en cause de leur autorité, de leur savoir, de leur fonction sociale. Sans compter que, comme le développe Philippe Perrenoud, la frontière est mince entre le droit des parents à l'information et le risque, au nom de ce droit, d'une ingérence abusive et contre-productive dans l'action professionnelle des enseignants…
II. 2. Mesures de rapprochement
Des dispositions et des pratiques sont ainsi mises en œuvre pour rapprocher l'école et les familles. Le CPE, entre autre acteur, a son rôle à jouer, notamment en termes de communication à l'égard des familles. Dans les établissements, certaines mesures sont susceptibles de rapprocher l'école et les familles afin de renforcer l'égalité des chances de réussite scolaire de tous les élèves.
De nombreuses circulaires et notes de service ont souligné l'importance d'un renforcement du dialogue entre l'école et les familles. Une circulaire de juillet 1985 a rappelé l'opportunité de diverses initiatives, telles que les journées portes ouvertes. La note de service du 14 mars 1986 a posé le principe de rencontres trimestrielles entre les enseignants et les parents d'élèves. Une circulaire de 1996 a souligné l'intérêt d'une étroite association des familles à la vie des écoles et établissements pour lutter contre la violence en milieu scolaire. Une note de service de 1999 a envisagé l'organisation de manifestations comme celle de la semaine des parents à l'école… Une circulaire interministérielle du 9 mars 1999 a créé les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (Réaap) et défini les principes à mettre en œuvre pour valoriser au mieux leurs interventions. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait obligation d'associer étroitement les parents des élèves handicapés à toutes les étapes de la définition du projet personnalisé de scolarisation.
Tous ces textes participent d'une même logique que rappelle la circulaire du 3 mai 2001, relative à l'intervention des associations de parents d'élèves dans les établissements scolaires : « La régularité et la qualité des relations construites par les personnels de direction, d'éducation et d'enseignement avec les parents d'élèves, constituent un élément déterminant dans l'accomplissement de la mission confiée au service public de l'éducation. L'obligation faite à l'État de garantir le respect de l'action éducative des familles conduit notamment à une démarche d'éducation partagée et requiert de soutenir et renforcer le partenariat nécessaire entre l'institution scolaire et les parents d'élèves, légalement responsables de l'éducation de leurs enfants. » La circulaire de rentrée 2007 précise que la réussite de tous les élèves est une priorité du système éducatif et que l'égalité des chances suppose l'implication des parents dans l'école à tous les niveaux de la scolarité de leurs enfants. Selon ce texte, il convient de mettre en œuvre des dispositions facilitant l'accès de l'école à chaque famille, notamment en informant les parents sur le fonctionnement de l'école ou de l'établissement : « La qualité de la relation entre l'école et les parents d'élèves contribue en effet largement à une meilleure réussite des élèves. »
L'école doit assurer l'effectivité des droits d'information et d'expression reconnus aux parents d'élèves et à leurs représentants, ainsi que leur participation aux instances collégiales de l'établissement. Elle doit également reconnaître les droits des associations de parents d'élèves. C'est au niveau local de l'école ou de l'établissement scolaire que doit se mettre en place un dialogue confiant et efficace avec chaque parent d'élève. L'ensemble des personnels des écoles et des établissements scolaires sont impliqués dans ces démarches. Certes, une expérimentation comme « La Mallette des parents » montre les effets de synergie que déclenche la venue aux collèges de parents d'élèves sur l'ensemble des établissements. Mais elle se borne à étudier des enfants de sixième dont la socialisation est plus contrôlée que celle des adolescents plus âgés, généralement plus autonomes. Surtout, pour que cette relation puisse être effective, il faut mesurer la distance entre l'école et les familles, objet d'étude des sociologues.
La massification scolaire a changé les règles du jeu. Les familles sont inégales face à un système scolaire transformé en « marché » au détriment des classes populaires scolairement démunies. Pour François Dubet, deux idéaux types de rapports familiaux à l'école s'opposent : dans les familles populaires, les parents évitent l'école, par crainte d'être jugés en tant que parents ou anciens élèves en échec scolaire ; les familles favorisées – dotées d'une bonne connaissance de l'institution et des implicites sociaux de la réussite scolaire, et qui privilégient la performance et l'épanouissement – interviennent fréquemment, et le plus souvent en continuité avec l'école. Mais rien n'est simple dans la réalité scolaire. Ainsi, dans Écoles et savoirs dans les banlieues et ailleurs (1993), les spécialistes des sciences de l'éducation Bernard Charlot, Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex montrent qu'une histoire scolaire n'est pas jouée d'avance en fonction des origines sociales des élèves – malgré la tendance générale des statistiques à associer origine sociale et réussite scolaire. Le parcours scolaire d'un élève est marqué par des rencontres, des affects, des relations avec les tiers (enseignants, CPE, amis, familles). Les dispositions qui visent à rapprocher les familles de l'école prennent donc là toute leur importance, et, notamment, les dispositifs de communication entre école et famille dont le CPE peut être acteur.
Le CPE peut en effet jouer un rôle clé dans la relation entre les familles et l'établissement, même s'il n'en est pas l'acteur exclusif. Il doit contribuer à placer les élèves dans les meilleures conditions de scolarité possibles. Il est un acteur clé de médiation entre l'école et les parents : il est le garant du respect de la loi et de la règle par le contrôle de l'assiduité scolaire, l'application du règlement intérieur. Trois domaines prioritaires d'action décrits dans la circulaire du 28 octobre 1982 caractérisent sa mission : le contrôle de l'assiduité en collaboration avec les autres personnels enseignants, le suivi des élèves (comportements et résultats scolaires) et l'animation éducative. Or, dans ces trois tâches, la collaboration et la communication avec les familles sont essentielles.
En matière d'absentéisme, le CPE recueille les informations, en informe les familles et prend les mesures nécessaires lorsque les absences sont répétées. Mais ces mesures ne peuvent se réduire à des sanctions. Il faut d'abord tenter de comprendre les facteurs explicatifs de cet absentéisme, à un âge délicat, l'adolescence, où la nécessité de tester les repères collectifs et la quête de limites, l'opposition aux représentants adultes de l'autorité sont féconds pour le développement psychique de l'individu, mais compliqués pour l'institution scolaire. En outre, pour que les mesures aient une visée éducative ou préventive, il faut qu'elles soient vécues comme justes, le CPE étant le garant d'un ordre scolaire collectivement juste. C'est donc au CPE de dialoguer avec les élèves et leurs familles, en concertation avec les enseignants, éventuellement l'assistant social ou les personnels de santé si nécessaire. Il peut faciliter le dialogue parfois difficile, permettre la coopération entre les membres de la communauté éducative en gestation. Ne serait-ce que parce qu'il est capable de mettre au jour les zones de « conflit potentiel » qu'il s'agit de pacifier, par des compromis et des règles du jeu. Dans le suivi et l'accompagnement du travail de l'élève, le travail du CPE nécessite de même non seulement une action concertée avec les enseignants, mais aussi une collaboration avec la famille. L'ouverture de l'école suppose de partager le savoir et les savoir-faire, et le CPE peut être acteur de ce partage, en tant qu'élément moteur du lien entre école et famille.
Il peut, s'il est au fait des déterminants socioculturels de la communication, décrypter les règles du jeu scolaire pour les familles, expliquer les modalités d'apprentissage et de soutien familial à la scolarité de l'élève, faciliter la mise en mots des difficultés scolaires. La scolarisation croissante d'élèves de milieux sociaux hétérogènes rend indispensable un décodage de l'implicite de la relation pédagogique, pour des élèves qui ne disposent pas de prérequis familiaux du rôle d'élève : au cours d'un processus d'explication de la logique scolaire, le CPE peut être l'interprète des attendus de l'institution scolaire auprès des familles éloignées d'elle. Car l'institution scolaire produit elle-même des handicaps dans sa façon de traiter les enfants des familles populaires ; le CPE peut réduire la distance culturelle en analysant ce que Bernard Charlot nomme le « rapport au savoir » des élèves, non seulement les manques, mais aussi les ressources dont ceux-ci disposent afin qu'ils « se mobilisent ». Or, pour que les élèves se mobilisent, il faut que la situation présente pour lui du « sens » : c'est à la co-construction du sens avec les familles que le CPE peut œuvrer. De plus, chaque élève est singulier, chaque élève est aussi une personne, et le diagnostic que le CPE peut permettre des situations scolaires de chaque élève est premier.
Mais pour une action efficace, le CPE doit mobiliser des acteurs pluriels ; il n'est pas l'acteur exclusif de la réussite des élèves. Tout d'abord, s'il dispose d'une bonne connaissance des élèves et de l'institution, c'est parce qu'il participe à toutes les instances de l'établissement (conseil de classe, conseil des professeurs, conseils des délégués, conseil d'administration, commission permanente, commission d'hygiène et de sécurité par ses représentants) et donc aux dispositifs d'accompagnement du travail des élèves, de prévention des conduites à risque, mais aussi de loisirs : dans sa fonction d'animation éducative, le CPE organise le temps de loisirs (foyer socio-éducatif, activités culturelles) et, par là-même, induit une autre relation avec les élèves. Par la transversalité de son action auprès de l'équipe pédagogique et éducative, il développe des modes de collaboration efficaces avec les enseignants, mais aussi avec tous les personnels et partenaires dans un esprit de dialogue, de reconnaissance du rôle de chacun.
Certains partenariats peuvent porter sur des opérations ponctuelles : une démarche de projet menée en classe ou un voyage nécessitant la coopération des parents et des enseignants ; d'autres peuvent être plus structurels. Mais, chaque fois, il faut trouver des régulations des espaces de dialogue distinctes, à condition que les différents acteurs ne se neutralisent ni ne se dénigrent réciproquement. Le CPE travaille donc à ce que Philippe Perrenoud nomme « un développement durable ». Par un dispositif partiellement indépendant des personnes qui l'habitent, le CPE peut être garant de la continuité du partenariat, œuvrant pour une solidarité entre parents, enseignants et autres partenaires, imaginant des médiations en cas de conflit ou de blocage du partenariat.
Conclusion
Dans la plupart des systèmes scolaires, il est question d'ouvrir davantage l'école aux parents. Le rôle et la place des parents à l'école sont reconnus et affirmés dans les textes. Les mutations contemporaines de l'institution familiale comme de l'institution scolaire rendent la collaboration et la communication entre l'une et l'autre indispensables, complexes et délicates. Pour Philippe Perrenoud, l'enfant y est à la fois messager et message ; il est un go-between (« intermédiaire ») entre l'école et la famille. Loin d'être un simple médium inerte, il agit sur les communications qui s'établissent, à travers lui, entre professeurs et parents. C'est probablement en tenant compte de cette donnée nouvelle, liée à l'autonomie croissante des adolescents d'aujourd'hui, que la collaboration entre l'école et les familles peut évoluer.