Sujet 2025 de français, groupement académique 2 (nouveau)
Dernier essai le - Score : /20
Énoncé

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Sujet
L'épreuve est notée sur 20. Une note globale égale ou inférieure à 5 est éliminatoire. Durée de l'épreuve : 3 h ; coefficient 1
L'épreuve prend appui sur un texte (extrait de roman, de nouvelle, de littérature d'idées, d'essai, etc.) d'environ 400 à 600 mots.
Elle comporte trois parties :
• une partie consacrée à l'étude de la langue, permettant de vérifier les connaissances syntaxiques, grammaticales et orthographiques du candidat ;
• une partie consacrée au lexique et à la compréhension lexicale ;
• une partie consacrée à une réflexion suscitée par le texte à partir d'une question posée sur celui-ci et dont la réponse prend la forme d'un développement présentant un raisonnement rédigé et structuré.
Corrigé

Corrigé

I. Étude de la langue (7 points)
1.
Donnez la fonction des quatre mots ou groupes de mots soulignés.
« C'était pourtant la guerre, cette Cancalaise dure, cette vendeuse de poisson qui avait cessé, le mois dernier, de bavarder et de rire, qui réclamait son dû en argent et en bronze, et refusait les billets de banque, qui regardait au loin venir sur la mer le cortège des jours sans pain ni cidre… » (lignes 8 à 10)
Le groupe nominal « le mois dernier » est un complèment circonstanciel de temps.
Le groupe nominal prépositionnel « de banque » est un complément du nom « billets ».
Le pronom relatif « qui » est sujet du verbe « regardait ».
La locution adverbiale « au loin » est complément circonstanciel de lieu.
2.
Donnez la nature des huit mots soulignés.
« C'était pourtant la guerre, cette Cancalaise dure, cette vendeuse de poisson qui avait cessé, le mois dernier, de bavarder et de rire, qui réclamait son dû en argent et en bronze, et refusait les billets de banque, qui regardait au loin sur la mer venir le cortège des jours sans pain ni cidre…
C'était la guerre, ce garçon épicier à bicyclette qui colportait, au grelot allègre de sa machine, des bruits de disette, des avertissements de cacher le sucre, l'huile, le pétrole… » (lignes 8 à 12)
Pour ne pas confondre l'article défini contracté et l'article indéfini, il suffit de transformer le groupe nominal au singulier :
– Si « des » est un article défini contracté, l'article singulier sera « du ». Ex. : le cortège du jour.
– Si « des » est un article indéfini, l'article singulier sera « un » ou « une ». Ex. : un bruit de disette.
« c' » est un pronom démonstratif.
« la » est un article défini.
« cette » est un déterminant démonstratif.
« rire » est un verbe à l'infinitif.
« des » est un article défini contracté.
« ni » est une conjonction de coordination.
« au » est un article défini contracté.
« des » est un article indéfini.
3.
Dans le passage suivant, donnez le temps et le mode des quatre verbes soulignés.
« Des gens l'escaladent, pour mieux voir et entendre, redescendent sans nous avoir même remarqués, comme s'ils avaient grimpé sur un mur ou sur un arbre ; – dans quelques jours, qui saura si ceci est tien ou mien ?… Les détails de cette heure me sont pénibles et nécessaires, comme ceux d'un rêve que je voudrais ensemble quitter et poursuivre avidement. » (lignes 25 à 28)
Le verbe « redescendent » est conjugué au présent de l'indicatif.
Le verbe « avaient grimpé » est conjugué au plus-que-parfait de l'indicatif.
Le verbe « saura » est conjugué au futur de l'indicatif.
Le verbe « voudrais » est conjugué au conditionnel présent de l'indicatif.
4.
Donnez la nature et la fonction des deux propositions soulignées.
« …on n'écoute pas ce qu'il lit parce qu'on le sait. » (lignes 19 et 20)
La proposition « ce qu'il lit » est une proposition subordonnée relative substantive, elle est COD du verbe « écoute ».
La proposition « parce qu'on le sait » est une proposition subordonnée circonstancielle de cause. On peut la déplacer et la supprimer.
5.
Récrivez :
a. au singulier la phrase suivante.
« Des adolescents pâlissent et regardent devant eux en somnambules. » (lignes 23 et 24)
Un adolescent pâlit et regarde devant lui en somnambule.
b. au pluriel la phrase suivante.
« L'automobile qui nous porte s'arrête, étroitement insérée dans la foule qui se fige contre ses roues. » (lignes 24 et 25)
Les automobiles qui nous portent s'arrêtent, étroitement insérées dans la foule qui se fige contre leurs roues.
II. Lexique et compréhension lexicale (4 points)
1.
Analysez la formation du mot « avidement » (ligne 28) et donnez son sens.
L'adverbe « avidement » est formé par dérivation avec le suffixe « -ment » sur l'adjectif « avide ». Il signifie « de manière vorace, passionnée ».
2.
Expliquez le sens en contexte des mots soulignés.
« les journaux assoupis de l'été » (ligne 2)
Le participe passé employé comme adjectif « assoupis » est utilisé dans un sens métaphorique. Il indique que les journaux proposent moins d'informations parce que la période estivale est moins riche en événements que le reste de l'année.
« les rues étranglées » (ligne 17)
Le participe passé employé comme adjectif « étranglées » est utilisé dans un sens métaphorique qui personnifie les « rues ». Il désigne leur étroitesse.
3.
Dans l'extrait du paragraphe 5, depuis « Des femmes » jusqu'à « mien ?… » (lignes 20 à 27), en vous appuyant sur le lexique utilisé, identifiez les émotions suscitées dans la population par l'annonce de la mobilisation générale.
La mobilisation générale suscite la stupéfaction dans la population. L'adjectif « frappées » qui caractérise « des femmes » souligne la violence du choc qu'elles reçoivent. Leur réaction, courir puis s'arrêter, indique la manifestation de cette émotion, comme le verbe « pâlissent » indique que les adolescents ressentent plutôt de la peur. Ils en perdent leurs repères comme le souligne la métaphore des « somnambules ». L'annonce de la mobilisation générale suscite également la tristesse puisque des femmes « pleurent ». Enfin, Colette voit dans le comportement de ceux qui montent sur la voiture dans laquelle elle se trouve, « sans [les] avoir même remarqués » l'annonce de la disparition de l'empathie chez certains, de leur capacité à prendre en compte les émotions des autres.
III. Réflexion et développement (9 points)
À la lumière du texte de Colette, de vos lectures et de votre culture, vous vous interrogerez sur la puissance des émotions collectives, leurs causes, leurs manifestations et leurs effets. Vous ne limiterez pas votre réflexion aux seuls événements dramatiques. Vous présenterez votre propos de façon structurée et argumentée.
En 1917, Colette publie Les Heures sombres, recueil des articles qu'elle a écrits pendant la Première Guerre mondiale. L'extrait proposé est le début du chapitre « La nouvelle ». Daté du premier août 1914, le jour de la déclaration de guerre de l'Allemagne à la Russie, il raconte l'annonce de la mobilisation générale aux habitants de Saint-Malo, où Colette se trouve. Elle décrit comment ils réagissent à cette nouvelle qui les concerne tous. À partir de ce récit de la naissance d'une émotion collective, nous sommes invités à nous interroger sur cette notion. Dans un premier temps, nous verrons quels sont les facteurs déclencheurs des émotions collectives et comment elles se manifestent. Nous nous interrogerons, dans un second temps, sur leur puissance et l'interprétation qui en est faite.
Une émotion est un état affectif intense, qui se manifeste physiquement. Elle devient collective lorsque l'événement qui la déclenche touche toute une communauté, un peuple voire une bonne partie de l'humanité, comme cela a été le cas, par exemple, pour les attentats du 11 septembre 2001 ou la pandémie de COVID-19 en 2020. Cet événement déclencheur peut être attendu – espéré ou redouté – ou il peut être inattendu. En ce qui concerne la Première Guerre mondiale, Colette rappelle que si elle était redoutée et annoncée dans les journaux en cet été 1914, les Français avaient encore l'espoir qu'elle ne les concerne pas. Elle est elle-même partie en vacances et souligne le décalage entre cette nouvelle et le cadre marin estival avec l'opposition entre l'anaphore de la nouvelle, « c'était la guerre », et les descriptions qu'elle fait de Saint-Malo : « Ce paradis n'était point fait pour la guerre, mais pour nos brèves vacances, pour notre solitude. » L'appel à la mobilisation générale dans les rues de la ville bretonne est donc une déflagration, un choc. Colette le compare à « un coup de tonnerre » et insiste sur cette sensation auditive par l'énumération de sons qui associe ce qui déclenche l'émotion collective et sa manifestation : « Et du milieu de la cité tous les vacarmes jaillissent à la fois : le tocsin, le tambour, les cris de la foule, les pleurs des enfants… ».
Elle décrit ensuite la stupeur qui saisit les Malouins. Elle s'exprime chez certaines femmes par un comportement contradictoire : elles « quittent les groupes en courant, s'arrêtent comme frappées, puis courent de nouveau ». D'autres « pleurent brusquement, et brusquement s'interrompent de pleurer ». Elles ne savent pas où aller, ni quoi faire. Quant aux adolescents, cette émotion se mêle à celle de la peur, ils « pâlissent et regardent devant eux en somnambules ». Colette imagine un mélange d'émotions un peu différentes à Paris « plein de cris, fermentant de chaleur et de fureur, d'angoisse et de bravoure », comme si la capitale allait davantage réagir.
Enfin, l'effet de groupe, indissociable des émotions collectives, est illustré par les gens qui montent sur la voiture dans laquelle se trouve Colette pour mieux voir. Cette formation d'un corps commun peut aussi naître d'un événement positif, comme lors d'événements sportifs au cours desquels les spectateurs réagissent tous d'une même voix, d'un même élan pour applaudir ou se lever. Colette ressent elle-même la particularité de cette émotion partagée, à la fois douloureuse et vécue comme exceptionnelle : « les détails de cette heure me sont pénibles et nécessaires, comme ceux d'un rêve que je voudrais ensemble quitter et poursuivre avidement ». Cependant, certains individus n'en sont pas affectés. C'est le cas de la Cancalaise, qui, forte certainement de l'expérience de la guerre précédente ou de ce qu'on lui en a rapporté – « qui regardait au loin sur la mer venir le cortège des jours sans pain ni cidre… » –, a anticipé la nouvelle : elle se méfie d'une déflation, et réclame des valeurs plus sûres que les billets de banque. Quant au garçon épicier « qui colportait, au grelot allègre de sa machine, des bruits de disette, des avertissements de cacher le sucre, l'huile, le pétrole… », il symbolise ceux qui tirent profit des émotions collectives, en les cultivant pour leur propre intérêt.
Ces manifestations émotionnelles partagées peuvent avoir des conséquences importantes.
Elles peuvent, en effet, être très puissantes. Dans son premier roman, Les noces de jasmin publié en 2020, Hella Feki raconte les trois semaines de l'insurrection du peuple tunisien en janvier 2011 à travers le regard de plusieurs personnages dont celui de Yacine, un pharmacien de Tunis, qui, comme Colette, se met à consigner ce qu'il vit. Il constate que si la colère du peuple tunisien couvait, c'est bien l'émotion qu'a suscitée l'immolation d'un jeune marchand ambulant, drame partagé sur les réseaux sociaux en Tunisie et dans la diaspora, qui a déclenché les manifestations et fait tomber le régime du tyran. De même, le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof montre, dans Les graines du figuier sauvage (2024), comment l'émotion suscitée par le meurtre camouflé de la jeune étudiante Mahsa Amini déclenche les réactions des étudiants. Le mouvement est amplifié par les vidéos qui montrent la violence de la répression policière et qui ont provoqué de nombreuses actions même au-delà des frontières iraniennes : des femmes occidentales ont rasé leurs cheveux en soutien aux manifestants iraniens.
Cette puissance du groupe porté par une émotion partagée est interprétée de différentes façons. Elle est admirée ou associée à une déshumanisation. L'exemple de la manifestation des mineurs et de leurs femmes en colère dans Germinal en est un exemple éclairant. En effet, Émile Zola choisit de décrire cette marche à travers le regard horrifié de la famille du propriétaire de la mine qui insiste sur la bestialité, la violence, l'hystérie des femmes. La foule est comparée à une sorte de bête monstrueuse. Ce regard s'oppose au message du roman, qui légitime la colère des mineurs, comme l'illustre l'idée de renouveau portée par le titre.
Cependant, si les émotions collectives peuvent provoquer une prise de conscience et des actions pour transformer la société, elles peuvent aussi déformer la réalité, comme si elles agissaient comme une sorte de protection collective face à ses horreurs. C'est ce que dénonce Nathacha Appanah dans son dernier roman, La nuit au cœur, qui évoque le féminicide de Chahinez Daoud, en montrant comment l'émotion des voisins et des proches, amplifiée par les médias, a construit, dans la population, une image stéréotypée de la victime. Évoquée par son prénom, elle est infantilisée et réduite au cliché de la femme voilée qui voulait s'émanciper. L'émotion collective devient stérile puisqu'elle n'aboutit pas à une action pour une meilleure prise en compte des violences faites aux femmes.
Les émotions collectives sont donc ambivalentes. Elles peuvent transformer un groupe en moutons de Panurge, lui faire perdre la conscience de la complexité de l'événement ou le faire participer à un moment important. C'est pour cela qu'elles sont parfois provoquées et deviennent un véritable outil de manipulation pour les régimes totalitaires, comme l'affirme la célèbre expression de Juvénal, « panem et circenses », du pain et des jeux du cirque. Cependant, cette « psychologie des foules » peut également être utilisée uniquement pour faire éprouver une émotion forte aux participants, comme le fait le héros éponyme de Vernon Subutex de Virginie Despentes. Il parvient, en effet, grâce à sa musique, à procurer une émotion collective particulière qui permet à chacun de vivre un moment unique.
Comme le montre l'expérience de Colette, la participation à une émotion collective marque l'individu et lui permet de s'inscrire dans la mémoire collective. L'écrivaine associera toujours cette date à Saint-Malo, comme tous ceux qui ont été confrontés à des événements collectifs savent où ils étaient et ce qu'ils faisaient quand ils en ont appris la nouvelle. Edgar Morin, appelé à témoigner pour le quatre-vingtième anniversaire de la Libération de Paris, affirme qu'il s'agissait d'un de « ces moments de grande poésie », qui reste gravé dans sa mémoire « de façon indélébile ». Ces moments collectifs intenses sont à faire entrer dans la classe quand ils sont de « grande poésie », mais peuvent nécessiter des gestes professionnels précis quand il s'agit d'émotions violentes.
Sujet corrigé réalisé par Cécile Vallée, professeure de lettres au lycée et formatrice à l'INSPÉ.