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Thèmes
Frontière vie privée / vie publique
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« L'iPad ou la tentation du superflu », Michel Eltchaninoff, Article de presse, 2010.
Questions
I. Compréhension de texte (10 points)
1.1 
Dégagez les idées essentielles de cet article de presse. (4 points)
1.2 
Expliquez le sens dans le texte des mots soulignés : (2 points)
  • « servitudes »
  • « finalité »
  • « aliénation »
  • « insidieusement »
1.3 
Commentez en une quinzaine de lignes le passage du dernier paragraphe : « Dans une société libérale… orienté pour elle. » (4 points)
II. Dissertation (10 points)
En quoi les nouvelles technologies modifient-elles le comportement de l'être humain ?
Pour répondre à cette question, votre devoir comportera une introduction, un développement avec paragraphes et une conclusion.
Pour cette épreuve, il sera tenu compte de la présentation, de l'orthographe et de la syntaxe (de 0 à -5 points). Aucune feuille de brouillon ne sera acceptée.
Document
Michel Eltchaninoff est professeur de philosophie et rédacteur en chef adjoint de Philosophie Magazine. Dans le numéro 41 de juillet-août 2010, il consacre un article à l'iPad.
L'iPad, la tablette tactile lancée à grand bruit par Apple, inaugure l'ère des objets sans destination, soumis au choix de leurs utilisateurs.
Au prix de nouvelles servitudes.
« Heureusement que je ne me suis pas laissé prendre à son boniment. À des gens pareils, on finirait par acheter des tas de choses inutiles », soupire Tintin, sur le pont du navire qui l'emmène vers l'Orient. Il est coiffé d'un chapeau haut de forme, il tient dans ses bras un arrosoir jaune, une paire de skis, un réveil, un seau, un perroquet dans sa cage, des clubs de golf et il traîne une niche à roulettes. En 2010, Tintin aurait à la main un petit plateau brillant orné d'une pomme et, avec un profond contentement, se dirait exactement la même chose. C'est que le camelot génial des Cigares du Pharaon a trouvé un digne successeur en Steve Jobs, le PDG d'Apple. […]
L'objet sans fin
Mais posons-nous la question de l'essence(1) de cet objet qui fait rêver des millions de consommateurs. Malgré les apparences, l'iPad n'est pas un produit comme les autres. Ses grands frères de la gamme Apple possèdent chacun une fonction première bien définie. L'ordinateur personnel (depuis 1984) sert d'abord à produire des textes, des tableaux et des images. L'iPod (2001), baladeur numérique, permet d'écouter de la musique et l'iPhone (2007) de téléphoner. La tablette, elle, ne remplit aucune tâche prioritaire. Son utilisateur peut naviguer sur Internet, écrire des mails, des textes, lire livres et journaux, regarder des films, écouter de la musique, se diriger dans l'espace… C'est à la fois un ordinateur, un téléphone, éventuellement un livre électronique (e-book) et un GPS. Bref, l'iPad incarne la contingence électronique, ce que l'on pourrait appeler le pur superflu. […]
Tout, partout, n'importe comment
L'iPad est donc un gros iPhone ou un tout petit ordinateur. Surtout, c'est l'objet zéro. Il brouille la notion de lieu. Il a sa place partout : sur les genoux, le buste, au bout des bras, posé sur n'importe quelle surface. À la fois nomade et sédentaire, il est consultable de n'importe quel endroit, que l'on soit assis, debout, couché, affalé. Déconstruction des lieux, des postures, des tâches. Intimité encore plus puissante avec le corps : suppression de la souris, intensification des possibilités tactiles. La tablette d'Apple est conçue pour devenir un compagnon quotidien et intime. Davantage encore que les applications de l'iPhone, elle tend à ramener l'image numérique vers le concret : le livre électronique que l'on feuillette est presqu'aussi réel qu'un vieux bouquin. Le carnet de notes imite le bloc papier jaune gribouillé. Ce rassurant mélange de haute technologie et de familiarité signe la politique de Steve Jobs. […]
Liberté ultime ou servitude volontaire ?
La chose ne nous oriente pas. C'est elle qui se conforme à nos choix. Il s'agit, à première vue, d'une victoire pour notre autonomie. Les objets techniques ne nous imposent plus leur destination. Un appareil comme l'iPad s'inscrit alors dans la longue histoire de la libération de l'homme vis-à-vis de toute norme ou finalité extérieure. Au xviiie siècle. Kant montre ainsi que notre conduite ne doit plus dépendre de valeurs déterminées à l'avance, comme le Bien ou le Juste, mais que notre dignité dépend de notre capacité à élaborer nous-mêmes les règles que nous décidons de suivre. Avec le philosophe allemand, nous n'avons plus besoin d'un orient extérieur pour savoir où aller. […] Mais cette liberté a un prix très élevé : la naissance de nouvelles servitudes.
Dans une société libérale et de plus en plus affranchie des autorités traditionnelles, des espaces d'aliénation inédits se forment silencieusement, notamment dans le monde du travail et dans celui de l'opinion, à travers la surexposition aux médias ou la consommation à outrance. En ce qui concerne l'iPad, si vous décidez de l'usage de votre appareil, celui-ci invente des manières de vous diriger insidieusement. Apple, on le sait, contrôle solidement les contenus proposés, notamment celui des fameuses applications. Par ailleurs, la multiplication des services liés à la géolocalisation, système GPS intégré, fait de l'insouciant possesseur d'un iPad (du moins s'il a souscrit à l'option 3G) un être ciblé par une publicité personnalisée, suivi à la trace, un individu qui oriente sa machine, mais qui est tout autant orienté par elle. Finalement, avec cet objet déchargé de toute fonction déterminée, nous sommes encore victimes du syndrome de Tintin, une forme originale de soumission librement consentie et une licence(2) acquise au prix de futures servitudes.
Daniel Mercier
« Espace privé, espace public : vers un brouillage des repères ? in Café philosophique de Maurassan, janvier 2015.
(1)En métaphysique, ce que l'objet, ce que la chose « est », sa nature.
(2)Liberté.
Corrigé

Corrigé

I. Compréhension de texte (10 points)
Document
1.1 Idées essentielles du texte (4 points) 
• L'iPad, la création d'Apple, symbolise l'ère des objets sans fonction déterminée que choisissent les usagers, aux prises par la suite à de nouvelles dépendances. À Tintin, tenté par le superflu,succède le charismatique Steve Jobs, PDG d'Apple.
• La nature de l'iPad est unique et fascinante par ses multiples utilisations. À la différence de l'ordinateur personnel, de l'iPod et de l'iPhone, elle englobe tous les flux numériques.
• La tablette peut être consultée partout, dans n'importe quelle position. Elle a sa place dans l'univers du quotidien et de la vie privée.
• L'iPad ne nous impose pas sa destination. Au xviiie siècle, avec Kant, l'homme se dégage des valeurs prédéterminées pour choisir un comportement autonome. Cependant, sa liberté se double d'un avertissement. La société du xxe siècle donne naissance à des lieux de servitude dans le monde du travail et des médias. Apple contrôle ses contenus et avec la géolocalisation rend le possesseur de l'iPad libre, mais sournoisement soumis.
1.2 Vocabulaire (2 points) servitudes : (issu de serf) dépendances
synonymes : esclavage, asservissement, assujettissement, contrainte, oppression, soumission.
antonymes : libération, affranchissement, liberté, licence.
finalité : but, détermination, orientation.
aliénation : fait de devenir autre, étranger à soi, état d'une personne qui a perdu son libre arbitre.
insidieusement : sournoisement, perfidement.
1.3 Commentaire (4 points) 
Malgré le sentiment de liberté qu'elle entretient, cette technologie entrée dans notre quotidien peut être aliénante sous plusieurs formes. Tout d'abord, Apple contrôle strictement les contenus de ses applications. Elle interdit la pornographie mais elle pourrait interdire aussi ceux qu'elle considérerait comme amoraux. Ce système est porteur de dérives. Le deuxième élément de servitude, c'est la géolocalisation. Avant, on se sentait anonyme dans les grandes villes. Avec le GPS et les usages qui en sont faits pour la publicité ou les réseaux sociaux, cette liberté de circuler dans l'anonymat est en train de disparaître. La publicité ciblée exploite toutes les données du citoyen qu'elle suit à la trace grâce à son iPad. Le troisième élément rejoint les deux autres. On est plus libre qu'auparavant mais on a une responsabilité nouvelle, celle de résister à ces sollicitations pour préserver sa vie privée.
II. Dissertation (10 points)
En quoi les nouvelles technologies modifient-elles le comportement de l'être humain ?
Introduction
Actuellement, l'invasion du numérique influence de plus en plus notre mode de vie. Dans la société de consommation, l'homme innove et crée des objets pour répondre à ses besoins croissants, qu'ils soient réels ou futiles. En quoi les nouvelles technologies modifient-elles son comportement ? (plan)
Développement
I. Modification propice à la liberté de l'être humain dans sa vie quotidienne
• Appareil iPad multifonction : c'est l'usager qui se l'approprie et oriente sa destination grâce à l'écran tactile.
• Polyvalence des positions et décloisonnement de l'espace privé, professionnel, public ; pas de distinction, comme autrefois, entre objets nomades et sédentaires (ordinateur de bureau…).
• Véritable compagnon contre la solitude et l'ennui par l'interconnexion permanente (chanson sur lecteur MP3, message sur un réseau social…) : l'objet numérique remplit tous les temps morts (place capitale du téléphone portable contre l'anxiété).
• Objet plaisir répondant au rêve des adultes et des enfants «natif du numérique» : facilité de manipulation (surf sur internet, zapping…).
II. Modification porteuse d'aliénation dans notre vie quotidienne
• Usager maître de l'objet, mais dirigé par lui avec le contrôle de la géolocalisation : image du corps machine (l'objet apparaît comme une extension du bras).
• Effacement des frontières entre temps de travail et temps de loisir : possibilité d'accès à son activité professionnelle le soir et le week-end (phénomène d'addiction).
• Remède à la solitude pourtant indispensable à l'exercice de la pensée (méditation, création…) : dispersion de sa conscience par des sollicitations incessantes (smartphone…) avec des contacts virtuels et non réels (danger de la téléréalité).
• Mutation de notre rapport à la vérité au profit de vérités communautaires (abus et mensonges) ; l'objet jetable et en particulier l'objet numérique tend à remplacer l'objet culturel : la notiond'accès prend plus d'ampleur que celle de propriété.
Conclusion
Synthèse et opinion personnelle.